L’Artiste et le Populiste (Quel peuple pour quel théâtre ?), de Jean-Marie Hordé

Nous ne pouvons nous habituer à ce que le mensonge devienne la norme du discours politique. Une parole politique est un acte que l’action ne peut contredire sans dommages pour la démocratie. À cet égard, le lourd silence qui pèse sur la culture la défigure et laisse libre cours aux dérives populistes et démagogiques. L’opposition entre une culture populaire et une culture élitaire profite de ce silence, travestit la réalité et fait passer l’ignorance pour un constat d’évidence.

Ce livre cherche à répondre au rire goguenard du populiste et à rétablir la question dans son étendue. L’expérience théâtrale est à cet égard exemplaire.
Jean-Marie Hordé est directeur du théâtre de la Bastille (Paris) depuis 1989, il entame des études de lettres avant de bifurquer vers la philosophie. Il devient critique littéraire dans différents organes de presse, dont Le Quotidien de Paris et Les Nouvelles Littéraires. Il obtient le poste de conseiller attaché à la préfecture des Hauts-de-Seine en 1973 et, six ans plus tard, prend la direction du théâtre de Cergy-Pontoise, tout en participant au conseil national du Syndeac. En 2003, Jean-Marie Hordé publie La Mort dans l’âme aux Solitaires Intempestifs, avec qui il éditera également Un directeur de théâtre en 2008 et Le Démocratiseur en 2011.

 

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Des mots justes sur un lourd silence

Lundi, 22 Mai, 2017
Humanite.fr

 

La chronique théâtre de Jean-Pierre Léonardini autour du dernire essai Jean-Marie Hordé, directeur du Théâtre de la Bastille, l’Artiste et le Populiste.

Le dernier essai de Jean-Marie Hordé, directeur du Théâtre de la Bastille depuis 1989, s’intitule l’Artiste et le Populiste, avec pour sous-titre « Quel peuple pour quel théâtre ? » (1). Philosophe de formation, il prend ce thème de haut, sans se cantonner au ciel des idées. S’il multiplie les formules irréfutables (« Le populisme, c’est du peuple sans le soulèvement, soit une supercherie » ou encore « Etre réactionnaire, ce n’est pas se référer au passé, c’est le figer »), en lui l’instigateur de théâtre, le citoyen, le connaisseur sensible cohabitent pour analyser la situation concrète au sein du « lourd silence qui pèse sur la culture, la défigure et laisse libre cours aux dérives populistes et démagogiques ». « L’opposition stérile entre une culture populaire et une culture élitaire, affirme-t-il avec force, profite de ce silence, travestit la réalité et fait passer l’ignorance pour un constat d’évidence », le pire danger étant « quand la vertu prend le masque du nombre ». Il parvient donc, en un style vif au service d’une pensée coupante, à faire le tour, en somme, de la mise en question récurrente de « l’échec de la démocratisation culturelle », fallacieux prétexte à l’aveulissement d’une politique d’Etat renonçant peu à peu, depuis au moins 2007, sous le règne de Sarkozy, à un dessin ferme et résolu.
Jean-Marie Hordé : « Ce qui se joue est une porosité, un va-et-vient incessant ».

Il est dans cet écrit des séquences passionnantes, entre autres celles qui ont trait à la singularité de l’artiste face à la norme instituée, d’où il ressort que « l’art n’est pas légitime par son succès, mais par l’imprévisibilité de ce qu’il donne à voir, par l’imprévisibilité de son audience ». Et puis, « sur le champ de la culture, l’opposition du peuple et de l’élite ne correspond à aucune réalité », car « ce qui se joue est une porosité, un va-et-vient incessant ». Mais alors, qu’est-ce qu’une assemblée silencieuse constituée au hasard, de soir en soir ? Il y assemblée possible lorsque, entre le spectacle et le spectateur, quelque chose entre chacun d’eux prend vie. « L’assemblée dispose qu’il n’y a pas d’entre-nous clos ou communautaire, mais qu’il y a entre chacun de nous et en chacun la place d’un tiers ». Au nombre des réflexions stimulantes que nous offre Jean-Marie Hordé, je privilégie volontiers celle-ci : « Il n’y a pas de communauté réelle constituée par la coprésence de subjectivités et d’histoires différenciées ; il y a des communautés imaginaires réunies par les souvenirs différents d’une expérience commune, vécue simultanément ».

(1) Les Solitaires Intempestifs, 77 pages, 13 euros.

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