« L’Affamée », le désarroi amoureux comme un pouvoir sur le monde…

—Par Michèle Bigot —

l_affamee-2L’Affamée,

D’après Violette Leduc,

Festival d’Avignon off, Espace Roseau,

4-26 juillet 2015-07-21

MES et jeu : Catherine Decastel

La Compagnie des Myosotis nous propose ici le premier volet d’un triptyque forgé autour des trois premières oeuvres (L’affamée, Ravages et L’asphyxie) de Violette Leduc, figure féminine et littéraire du XXè siècle dont on redécouvre l’importance aujourd’hui. Son écriture, fiévreuse et passionnée sans rien perdre de son acuité et de sa justesse verbale, parvient à nous faire ressentir par le détail les affres de la passion amoureuse : tourments et éblouissement du désir féminin.

Ce premier volet est consacré à l’amour malheureux que L’auteure portait à Simone de Beauvoir. Comment porter sur le plateau un tel sentiment, sinon par le seul verbe ? Il est vrai que l’incandescence de l’écriture est déjà en soi un objet théâtral fascinant, sans qu’il soit besoin de lui ajouter décor, lumière ou musique ! Pourtant la formidable trouvaille de la Compagnie des Myosotis a été de faire porter ce texte par un corps féminin, qui déploie le verbe dans sa matérialité charnelle. L’actrice seule en scène, vêtue d’une robe noire, comme l’auteur était seule dans son réduit d’écriture, dans un décor aussi dépouillé que pouvait l’être la chambre nue de Violette, danse les sentiments et tous les affects qui la traversent à la seule pensée de ses rencontres avec Simone : espoir fou, admiration, déception, béatitude de la présence, regret, toutes les nuances du désir féminin sont ici incarnées par le geste de la danseuse qui, tort à tour, déploie, magnifie son corps dans l’assomption du désir ou au contraire le replie dans le retrait de la déception, de la solitude et du désespoir.

Sa danse évolue autour du corps de Simone, figuré par un mannequin ; mais la force du texte soutenu par le geste, dans sa rythmique propre, actualise la présence lumineuse de la femme désirée.

Le spectateur, quelque peu dérouté et sceptique au départ, se laisse envoûter par ces évolutions sensuelles qui confèrent au texte toute la vie qu’il demandait.

Rarement le désir féminin, ses méandres, ses espoirs, ses déceptions, l’illumination qui lui est propre et ses béatitudes ont été données à ressentir avec une telle force. Il faut saluer ici la performance de Catherine Decastel, qui, avec les seuls moyens de son intelligence du texte et de son corps félin, a su faire vivre pour nous le désarroi amoureux, non comme une négativité, mais comme un pouvoir sur le monde, pouvoir du verbe et de la chair.

« Exister. Etre seule. Vivre avec les autres, pour les autres, contre les autres, sans les autres. S’épanouir. Chercher l’altérité. Panser les blessures d’amour, les vides d’ego, les rêves secrets, les souvenirs d’enfance. Echouer encore et tenter pourtant toujours d’aimer. Aspirer à l’impossible. Vivre. Mourir. »

Michèle Bigot