La stratégie d’évitement du peuple

— Contre chroniques d’Yves-Léopold Monthieux —

Fort-de-France, le 30 septembre 2025

De l’autonomie, l’indépendance ou le système actuel, il serait trop simple de demander franchement à la population lequel des trois statuts politiques ils souhaiteraient pour la Martinique ? En effet, chacun sait confusément que les Martiniquais ne veulent pas distendre ou rompre les liens institutionnels avec la France. Dès l’an 2001, dans mon ouvrage Le Refus du débat institutionnel, j’avais perçu le souci des partis de gauche d’éviter faire appel sur le sujet à l’expression populaire, à moins de le faire de façon parcimonieuse et précautionneuse

La peur du référendum par les élites.

Aussi, un référendum a toujours fait peur à la minorité active d’extrême-gauche ou même d’extrême-droite. D’où la stratégie d’évitement ou de contournement de l’électeur qui n’a pas été sans efficacité sur le plan électoral. Elle a permis à des autonomistes et indépendantistes de monopoliser le pouvoir et d’administrer l’assimilation depuis bientôt 50 ans. Sur le plan statutaire elle avance à petits pas de manière plus insidieuse et à coup de votations et de conciliabules. Voilà des partisans de la rupture qui n’ont pas réussi à rompre, et des anti-assimilationnistes conduits à gérer l’assimilation. Pour quel résultat ? Un bateau ivre qui avance vers des rivages incertains, semble-t-il, inexorablement. Doit-on chercher ailleurs les motifs de la déconstruction du citoyen martiniquais et de l’abaissement de la Martinique ? Quoi qu’il en soit, depuis que le congrès a été installé, exclusivement consacré à l’évolution du statut de la Martinique, on ne cesse pas de remettre en question les statu quo successifs. Tel nouveau changement est-il obtenu qu’aussitôt il devient un statu quo, à combattre jusqu’au statu quo définitif. Au vu du grand usage fait du congrès, une institution semblable serait la bienvenue au chevet du développement de la Martinique. Sauf à considérer l’intendance comme un menu fretin.

Le congrès et de la consultation populaire

Ce souci d’éviter la décision populaire mobilise toutes les intelligences politiques dont la Martinique aurait tant besoin pour la sortir de l’état de déliquescence sociale et économique où elle se trouve, lequel la relègue, dans presque tous les domaines, au dernier rang des territoires de la République. Les votations du congrès et de la consultation populaire – qui n’est pas un référendum – rappellent le slogan des gauchistes d’hier : “élections piège à cons”. Sitôt un jugement porté sur le “congrès de la rupture” annoncé et sur ceux qui les portent, de beaux esprits qui n’ont rien de nouveau à proposer se réveillent, nostalgiques d’un passé jalonné par leurs erreurs. Ils ressortent alors les vieilles ficelles pour retisser le voile sémantique destiné à étouffer toute critique s’opposant à leurs rêves et surtout à leur incapacité démontrée dans l’action. Et voilà que réapparaissent, sans être recyclées, les vieux clichés comme le chantage au largage.

Les expériences non concluantes d’autonomie

D’indéniables expériences d’autonomie ont été éprouvées en Martinique depuis le début de la décentralisation, en 1983. La décentralisation est la première marche de l’autonomie. Celle-ci n’est jamais figée. Une collectivité dite autonome peut s’avérer être une coquille vide, sans véritables moyens d’actions. En revanche une collectivité qui ne l’est pas peut se mesurer à un État libre jusqu’à lui porter assistance. Seules ont été reprochées à l’ancien président de région les erreurs commises lors de la construction d’une école à la Dominique, l’État voisin du nord. Ni l’initiative politique ni l’objet de la dépense n’ont été contestés. Les pouvoirs autonomes n’ont fait qu’augmenter alors que les élus des collectivités, tous autonomistes ou indépendantistes, n’ont pas apporté la preuve de leur capacité à donner corps au principe d’autonomie. Notamment à Fort-de-France, l’antre de l’autonomie et le lieu de départ de méthodes qui ont été étendues à toutes les institutions martiniquaises.

A l’orée de la décentralisation, l’échec retentissant de la SEMAIR et d’Air Martinique avait conduit à la mandature blanche du président Émile Capgras. Depuis, la culture de l’échec est devenue inarrêtable. Dans divers domaines, chacun peut mesurer l’expression et l’ampleur des incompétences et des échecs du moment. En conséquence, loin des rêves et des ambitions messianiques, au terme d’un demi-siècle d’expérimentations infructueuses, il est parfaitement possible de porter un jugement éclairé sur l’aptitude ou non des autonomistes martiniquais à mettre l’autonomie en application.