La révolution Dada a 100 ans et toutes ses dents

— Par Jean-Jacques Régibier —

rastadada

Francis Picabia. Tableau Rastadada, 1920. Collage et encre sur papier, 19 x 17,1 cm. The Museum of Modern Art, New York — Photo : 2016 ProLitteris, Zurich

C’est en février 1916, en violente réaction contre les horreurs de la guerre, que surgit dans un cabaret de Zurich le mouvement Dada. Internationaliste dès son origine – des dizaines d’artistes du monde entier y participeront – le dadaïsme s’affiche d’emblée comme une contestation radicale de toute la culture dominante jugée complice du massacre, mais aussi de tout l’ordre social qui l’a rendu possible. Il inspirera de nombreux courants artistiques du XXème siècle, comme le surréalisme et le Pop Art. Toute l’année, la ville de Zurich fête la révolution Dada.

Faut-il n’y voir qu’une coïncidence ? C’est dans la même rue malfamée du vieux Zurich que des artistes exilés fondèrent le mouvement Dada, à quelques mètres seulement de l’appartement où avait trouvé refuge, au même moment, un autre exilé qui allait lui aussi devenir célèbre, Lénine. Un des fondateurs de Dada, Marcel Jacno, se souvient même l’avoir vu dans le cabaret improvisé qui servira de base au groupe : « Dans la fumée épaisse, au milieu du bruit des déclamations ou d’une chanson populaire, il y eut des apparitions soudaines comme celle de l’impressionnante figure mongole de Lénine, encadré d’un groupe. »

Portrait de Tristan Tzara, vers 1920. Épreuve gélatino-argentique, 11,4 x 18,6 cm. Collection Chancellerie des Universités de Paris, Bibliothèque littéraire Jacques Doucet, Paris. Photographe inconnu

En tous cas, peu de rues peuvent se targuer d’avoir concentré en quelques mois, une charge révolutionnaire aussi explosive que celle qui allait ébranler durablement le monde – celui de l’art avec Tristan Tzara et ses amis, et l’Histoire tout court, avec le dirigeant de la Révolution d’Octobre. Tous animés du même désir d’affirmer, face au massacre insensé qui saignait l’Europe, qu’un autre monde était possible, à condition de ne pas lésiner pour abattre l’ancien.

En réalité, rien n’était vraiment dû au hasard dans cet afflux à Zurich, en 1916, de personnalités contestant le grand désordre mondial en train de broyer les peuples d’Europe sur les champs de bataille de Verdun ou de la Somme. Depuis que la guerre a éclaté, la Suisse, pays neutre, est en effet devenue le refuge de tous ceux qui refusent cette folie meurtrière – réfractaires, apatrides, contestataires, anarchistes ou socialistes, et beaucoup d’artistes.
Le nom de Dada aurait été pêché en feuilletant au hasard les pages du Petit Larousse

Max Ernst, Le rossignol chinois, 1920. Collage et encre de Chine sur papier, 12,5 x 9 cm, Musée de Grenoble. 2016 ProLitteris, ZurichAucun mouvement artistique dans ses débuts n’est sans doute mieux connu que le dadaïsme. On sait exactement où et à quelle date il est né : c’était le 8 février 1916, en soirée, au numéro 1 de la rue Spiegelgasse à Zurich. C’est là, dans la salle désaffectée d’un petit bistrot, réouverte pour l’occasion à l’enseigne du « Cabaret Voltaire », qu’une bonne demi-douzaine d’artistes donnent au mouvement qu’ils viennent de créer son nom de baptême : Dada…

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