« La otra rilla. L’autre rive ». Soliloques pour mauvais rêves ?

— Par Christian Antourel —

Photo Paul Chéneau

Ces deux là sont des migrants, en partance pour « un jardin d’Eden » rêvé. C’est clair, ils rythment  la pièce  au son de leur horloge interne et intime.

L’histoire commence ainsi : un fleuve. Apparaissent deux personnages sur la berge, visiblement poursuivis, qui attendent l’arrivée d’un passeur chargé de les faire traverser et rejoindre l’autre rive. Du côté de la Liberté. Toute la pièce se passe pendant leur attente  de ce  batelier  considéré comme un ange de la mort. Dans ce carré, espace limité par le souffle des acteurs tout se joue, l’acuité de ce qui défaille. Ils espèrent, égrènent  leurs souvenirs s’en inventent  même, rêvent, réfléchissent à leur avenir.

Avec un   minimum de ressources  mais   de l’imagination à un moment où les migrations sont modulées  par des guerres et la misère  incessante des peuples : l’actualité nous est donnée  sur un plateau. Le  scénario restitue l’attitude des migrants face à un choix cornélien, ils sont placés face à des dilemmes complexes, à savoir rester où ils vivent et risquer des mauvais traitements, voire la mort  en fonction  de  leur situation  personnelle, d’une part et risquer la mort en embarquant à bord  de l’embarcation  d’autre part La liberté ou la mort !Le fleuve «  c’est une  frontière, ou en tous cas un passage qui conduit à un  lieu différent. » C’est aussi le défi ultime pour ces deux personnes  qui n’ont quasi plus rien à perdre portées par l’énergie du désespoir et qui s’apprêtent à cette traversée (du désert,)  cette épreuve  que représente le franchissement du fleuve, comme autrefois la traversée du Styx, fleuve qui dans la mythologie  grecque coulait aux enfers. Charon  le faisait passer aux ombres des  défunts  moyennant une obole.

Ricardo Miranda  a choisi cette pièce car « elle met en jeu  les patrons fondamentaux de la narration littéraire et  théâtrale : l’amour, la frustration, l’angoisse du changement, la famille la mort, l’oppression, l’exil, le voyage. » Ces mots illustrent  parfaitement  le chant lexical de la migration, du migrant,  que nous sommes tous plus ou moins à un degré ou a un autre et nous touchent  dans leur acception universelle. Les personnages sont engagés  dans l’action  suite à une décision radicale,  malgré l’apparente immobilité de l’attente. Le passé et le futur se rencontrent au bord de ce fleuve à la fois réel et symbolique, par leurs souvenirs et leurs rêves. C’est  dramatique dans le sens ou les personnages semblent enfermés dans un

destin tragique. Cette pièce fait irruption  dans le paysage scénique  par une architecture fondée sur  la dissociation et la déstructuration  mise en scène dans un désenchantement de lignes brisées. Elle devrait trouver au Théâtre Aimé Césaire l’accueil nécessaire pour désenclaver le territoire  théâtral  et développer  la radicalité ouverte  des personnages dans une filiation de l’art visuel. Une démarche qui sans renier l’imaginaire corporel et sonore de la mise en   scène permet  une relation évidente  avec le champ des arts visuels et investit une  expérience sensible de l’image dans l’éclatement des signes  qui morcellent  aujourd’hui  notre perception  du monde.

 

En pratique :

Au théâtre Aimé Césaire

Jeudi 11, vendredi 12

Samedi 13 mai

Mise en scène : Ricardo Miranda

Scénographie et costumes :

Sarah Desanges

Musique : X-Alfonso

Création lumières :

Guido Calli

Distribution :

Astrid Mercie& Nelson Rafaël Madel

 

Une création Martinique 2017

Une production  de Dimwazell’Cie

 

Texte  paru dans         Le Mag France Antilles

 

 

                                                                                            Christian Antourel