« La nuit unique » d’Hervée de Lafond, Jacques Livchine.

— Par Dominique Daeschler —

Ces deux-là n’iront pas planter des choux mais continuent depuis presque un demi-siècle de nous entraîner dans les chemins de l’irrévérence, de la provocation, de la fantaisie débridée, nourries d’un solide bagage théâtral et littéraire.

Entrons dans ce pari d’une nuit unique , sept heures de jeu de 22h30 à 5h30 du matin où les spectateurs sont couchés sur de la palle ,de préférence dans une grande salle style palais des congrès, de chaque côté d’une aire de jeu au sol, route, piste d’atterrissage… Les spectateurs dorment, se réveillent, entourés de comédiens -comédiennes, chanteurs-chanteuses qui sont à la fois garde rapprochée et troupe. Hervée et Jacques nous convoquent dans leurs vies, sans cabotiner ou resasser. Ils racontent l’intime : l’enfance à Hanoï pour l’une et le voyage de retour et de redécouverte, la famille juive décimée dans les camps, cachée pour l’autre. Il y a des passages cousus au petit point, d’autres faufilés, des déchirures et des secrets éclatés dans un déroulé théâtral éblouissant par son savoir-faire donnant parfaitement l’illusion de la simplicité pour accentuer le donné. On pense sans arrêt à Shakespeare et cette vie faite de la même essence que nos rêves. Aux quatre coins de la salle il se passe quelque chose, Livchine passe de Rimbaud à Hugo dans l’aisance absolue, s’octroie un bol de soupe chante en yiddish. Plus loin on danse ,n chante De Balavoine à Barbara, la chienne titania renifle les petits en cas des spectateurs et suit son maître. De Lafond conte, comme elle marche, à petits pas. Là ,sur cette scène de défilé de mode, on se moque de soi-même et on s’écoute ,pas comme come des acteurs attendant la réplique mais comme de vraies gens dans leurs différences.

Au-delà du pari des sept heures, ce qui compte c’est ce qui est donné de tendresse en partage. La vieillesse la mort ,évoquées sans ambages, n’ont qu’à bien se tenir. Maîtres des horloges déboussolées, Hervée de Lafond et Jacques Livchine font théâtre comme ils respirent. Il me revient cette phrase du scénographe Claude Acquart : Hervée et Jacques ce sont les deux hémisphères d’un même cerveau.

On se réveille en sursaut, on saisit une image, on se rendort , l’impression parfois d’halluciner. La chance, ma chance : me réveiller sur cette danse où la petite femme niche sa tête dans l ’épaule de l’homme, chacun laissant ses bras le long du corps : rien, tout, l’amour absolu.

Dominique Daeschler

En tournée et en juillet à Châlons dans la rue