« La Marseillaise », le nouveau « Happy » du cinéma français

— Par Fabrice Pliskin —

qu_est_ce_qu_on_a_fait-2Dans le fumoir d’un château de Touraine, trois gendres, un Chinois, un Arabe, un juif, chantent « la Marseillaise » à l’unisson, la main sur le coeur, devant leur beau-père, un notaire catholique de Chinon, aux sympathies gaullistes. C’est dans « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? » de Philippe de Chauveron, la comédie dont tout le monde parle.

Corrompu pour 1 million d’euros par le dictateur du Botswanga, l’agent d’un footballeur doit persuader son joueur, un Français d’origine botswangaise, de lâcher les Bleus et d’intégrer l’équipe du Botswanga. Pour convaincre le jeune champion qu’il n’a aucun lien de coeur avec la France, l’agent fourbe le met sournoisement au défi de chanter « la Marseillaise ». Le jeune homme entonne l’hymne. Non seulement cet enfant de la patrie en connaît tous les couplets par coeur, mais il le chante dans un superbe style gospel R’n’B, avec la flamme de Guy Môquet et la grâce de John

La camionnette d’un fromager se dirige vers l’Elysée. A son bord, les marcheurs de la Marche pour l’Egalité et contre le Racisme, auxquels donne audience François Mitterrand. Dans une version initiale de « la Marche  » que le cinéaste Nabil Ben Yadir n’a pas retenue, les militants chantaient « la Marseillaise » dans la camionnette, parmi les senteurs de cantal et de reblochon.


Spectacle républicain

Le cinéma français aime à donner ce spectacle républicain où des patriotes, enfants d’immigrés, chantent l’hymne national. Heureuse appropriation, disent les uns, avec une gourmandise de connaisseurs. N’est-ce pas là une excellente stratégie pour contrer le FN et en finir avec l’insane distinction entre Français de souche et Français louches ? Autre chose que « Ma colère », la chanson pas vraiment achilléenne du sentencieux soldat Noah.

« Vous m’avez mis le frisson », dit le notaire de Chinon à ses gendres, à la fin du chant. On a tous en nous un notaire de Chinon. Celui-là s’appelle Christian Clavier. Clavier ou ce que le sarkozysme a eu de meilleur. Caressée par ces « Marseillaise » de cinéma, la France des droits de l’homme a le « frisson ». Ses yeux s’embuent. Elle jouit d’elle-même, et, comme une Marianne Castafiore, rit de se voir si belle en ce miroir.
L’extase de l’union sacrée

Numéro un des charts avec leur disque « Amen », Les Prêtres sont un trio de curés du diocèse de Gap et d’Embrun, fondé par Mgr Di Falco. Dans notre liturgie républicaine, ce trio de gendres patriotes, c’est nos « Prêtres » à nous. Par eux, nous communions, nous faisons l’expérience lyrique, sinon réelle, de l’extase de l’union sacrée, de la volupté de la cohésion nationale. Nous nous pâmons au « désir de vivre ensemble », comme dit Renan. Nous nous aimons le temps d’une chanson, comme dit Gainsbourg.

Ces feelgood « Marseillaise », ces « Marseillaise » qui font du bien, agissent comme un antidépresseur. Nous les gobons et nous sommes « Happy », pour citer le tube mondial de Pharrell Williams. Et qu’importe si les trois choristes sont des bourgeois. Dans notre patriotisme de multiplexe, dans notre ferveur plébiscitaire de mangeur de pop-corn, tout n’est plus que fraternelle unité, égalité des chances, 1998 for ever. Adieu divisions. Adieu zizanie, bonjour Zidanie.

Pour « Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ? », tout se passe comme si « la Marseillaise » devenait, sinon un produit dérivé, une bande originale et un outil de promotion, comme au « Grand Journal » de Canal+, où le public s’est levé pour chanter avec les acteurs.
La Marseillaise – Le Grand Journal du 14/04

Chez les quatre gendres du film, l’hymne a une valeur comme performative. Chanter « Allons, enfants de la patrie », c’est devenir français. Plus républicain que le droit du sol, le droit du son.

Rabat-joie

Mais ces « Marseillaise » de la « diversité », si enchanteresses pour nous autres, donnent des boutons à certains. Je ne parle pas du FN. Je ne parle pas d’une certaine extrême gauche pour qui « la Marseillaise » est un chant nazi (« Qu’un sang impur… ») et qui compte sur les Rachid ou les Noom pour faire la Révolution à sa place. Je parle de ces Français comme Nina, une étudiante en droit, qui, au sortir d’une projection à Paris, se demande avec lassitude « pourquoi Rachid et les autres devraient, à 40 ans, s’approprier un chant qui leur appartient déjà, comme à tous les Français ».

Ces rabat-joie sont-ils trop ombrageux, vétilleux, scrogneugneu ? Après tout, il s’agit d’une comédie, même si elle s’amuse à cultiver les quiproquos les plus déroutants, comme dans cette scène où Chantal Lauby achète une dinde halal pour complaire à son beau-fils musulman : « Ce pays part en couille. Même les vieilles bourgeoises se convertissent à l’islam ! »

Cela sonne peu ou prou comme la théorie du Grand Remplacement de la population française selon Renaud Camus ou comme les angoisses malheureuses d’Alain Finkielkraut. Mais, ici, cela sonne, en arabe, dans la bouche d’un boucher halal chambreur.

Hypercorrection citoyenne

Que disent les mécontents, les trouble-fête, comme Nina ? Alors que le gros du public s’en émeut, ils dénoncent dans le choeur des trois gendres une avilissante forme d’hypercorrection citoyenne. Au nom de quoi Rachid, David ou Chao, singes savants du civisme, devraient-ils chanter Rouget de Lisle, pendant que belle-maman est toute à la Zumba ? Pourquoi ces héros de fiction (un avocat, un banquier, un commercial) devraient-ils toujours montrer patte blanche, comme… Le loup dans la fable de La Fontaine.

Sont-ils d’éternels suspects ? Combien de temps encore les soupçonnera-t-on de conspirer contre la sûreté de l’identité nationale ? Sont-ils éternellement condamnés à faire « The Voice » pour faire la preuve de leur citoyenneté, avec un test de « Marseillaise » en guise de schibboleth ou de contrôle d’identité ? Qu’est-ce qu’on a fait au bon Dieu ?

Fabrice Pliskin – Le Nouvel Observateur
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