La lettre de Daniel Mesguich à ses élèves

 Mes chers élèves,

Vous avez, tous ou presque, signé au bas d’une lettre, que quelques-uns avaient pris soin de rédiger pour vous.

Eh voici qu’à mon tour je vous fais une lettre.

Quoi ? Ce sera donc lettre contre lettre ?

Non.

Nos deux lettres, je le crains, ne seront pas, ne pourront pas être, symétriques. La mienne sera d’une autre teneur, et d’une autre visée, que la vôtre. D’un autre style, aussi (elle sera plus longue – encore –, je vous prie de m’en excuser).

Au fond, ma lettre « réagira » à la vôtre, mais ne lui « répondra » pas.

La première différence entre nos deux lettres sera que la mienne, elle, s’adresse à vous. A vous, non pas à notre ministère de tutelle, ni à quiconque d’autre. Je vais pourtant, moi aussi, envoyer cette lettre au ministère de la Culture. En copie. Mais – et c’est la deuxième différence – ce n’est pas dans l’intention que le ministère la lise, et dans je ne sais quel espoir qu’il l’utilise. Non. C’est, comment dire… pour archive. Pour l’Histoire, oserais-je dire, si je ne craignais pas d’exciter là les ricanements de la Malveillance. Pour l’Avenir. Et, donc, c’est – encore – pour vous que je l’envoie : pour ne pas laisser le seul silence résonner autour de ce que vous avez fait, et que je vous dis, moi, être une faute. Pour que cette faute, grave, et à plus d’un titre, ne passe pas… comme une lettre à la poste. 

Au fond, c’est pour faire le professeur, encore ; pour vous expliquer.

Oh, pour m’expliquer moi-même, aussi, tout prêt déjà à vous concéder qu’il a donc bien fallu que moi aussi j’aie commis des erreurs. Qui n’en commet pas ? Qui peut dire sans rire « je n’en ai jamais commises ? ». Mais, je vous le dis, s’il y en a – et il y en a forcément, et nous les examinerons, rassurez-vous –, je les tiens pour sans commune mesure avec ce que vous avez fait là, avec cela que certains ont voulu que vous fassiez. 

Oui, je vous écris pour que 2013 ne reste pas, pour le Conservatoire, l’année, de sinistre mémoire, où des élèves, des élèves en théâtre, avaient envoyé à ce qu’ils imaginaient être quelque patron suprême une telle lettre (qu’il faut bien appeler, malgré toutes les prudes dénégations et cris à la légitimité de ses rédacteurs, « de délation »), sans qu’aucune autre voix ne s’élève, sans que personne, professeurs ni directeur, n’eussent réagi.

La tentation pourtant était grande, savez-vous, d’un souverain silence.

Il suffisait de laisser parler en moi l’amour-propre, la déception, le sentiment de l’injustice… de laisser aller, encore – j’ose ici le mot, même si je n’ignore pas qu’il risque d’apporter de l’eau au moulin de la Malveillance (mais après tout qu’importe, puisque ce moulin, on le sait, n’a nul besoin d’eau pour tourner) – un certain mépris devant la malhonnêteté intellectuelle et l’hypocrisie de quelques-uns – toutes « qualités » auxquelles l’Art du théâtre (l’Art du théâtre tel que je m’en fais l’idée, c’est-à-dire emportant avec lui non seulement une profession, mais une manière de vivre aussi, de penser et d’agir – et toute entière, elle, empreinte de non-violence, d’intelligence de l’autre, de tendresse, de désir de beauté…) auxquelles l’art du théâtre, dis-je, se doit de ne pas répliquer, sous peine de se renier lui-même, de s’avilir, de se faire aussi petit que ses assaillants.

Oh, il suffisait aussi, pour ce silence, de se vouloir « tactique » ; de jouer le rôle du grand directeur au-dessus de la mêlée, d’attendre sereinement que retombe l’agitation (elle ne manque jamais de retomber, n’est-ce pas – surtout lorsque, comme vous (et heureusement pour vous) personne n’est jamais vraiment d’accord avec personne sur tout – et cela, même si, encore une fois, tous pourraient avoir quelque chose à reprocher), d’attendre, donc, et puis, magnanime, de lâcher quelque lest, et le tour aurait été joué. 

Il suffisait, oui, de se prendre pour un adulte qui ne se dispute pas avec des enfants.

Mais voilà : j’ai pensé – je pense – que vous n’êtes pas des enfants. Je l’ai assez répété moi-même, n’est-ce pas ?… Et j’ai pensé – je pense – que je me devais de vous parler. 

Vous parler, mais comment ? 

Si vous n’êtes pas des enfants, alors je dois vous combattre, vous qui m’attaquez… Sans doute l’ignorez-vous, mais attaqué, oh, je l’ai été, je crois, bien souvent, dans ma vie, et plus violemment que vous ne pouvez penser. Je suis un peu aguerri, voyez-vous.Par des journalistes, la plupart du temps (et ici encore, j’en suis sûr, certains d’entre eux ne manqueront pas de saisir là une occasion de s’amuser à nuire, vous verrez). Par des politiques aussi, parfois (toute conviction forte, réalisée ou en voie de l’être, entraîne inéluctablement des violences et même des bassesses). Et chaque fois, j’ai su, je crois, me défendre… Mais c’est la première fois, la première fois en 30 ans de cette « maison » que j’aime et dont j’aime les habitants, que je suis attaqué par des élèves ! Par des élèves-acteurs ! Et, pour la première fois, je l’avoue, je ne sais pas très bien comment m’y prendre.

Et puis, c’est peut-être aussi, il faut bien le dire, que je n’ai guère l’habitude d’être « dénoncé »…

Certes, j’aurais pu, ayant passé ma vie à disséquer les phrases de nos grands écrivains, ayant assimilé quelques petites notions de philosophie ou de sémiologie, ayant lu quelques livres de psychanalyse aussi, et ayant fini par en connaître un petit bout sur les transferts et les déplacements, j’aurais pu, ce texte que vous avez signé, le déconstruire pavé par pavé (j’allais dire pâté par pâté), et, sous les généralisations sciemment abusives, les inexactitudes délibérées, les insinuations faussement naïves, en révéler au grand jour de la raison toute la rhétorique de l’incohérence, de la méconnaissance, voire de la sottise dont il est tissé. L’analyse des textes, je connais, c’est mon métier, les élèves de ma classe, au moins, le savent bien. Et je l’aurais fait de manière si radicale qu’au bout du compte il n’en serait resté, littéralement, rien, et que ses rédacteurs s’en seraient trouvés bien ridicules. Mais quoi ? J’aurais gagné ; mais j’aurais perdu d’avoir gagné. Quand on est directeur, on ne saurait gagner contre ses élèves, n’est-ce pas ? Ç’eut été là, tout simplement, action contre-nature.

C’est ici que toute la tension qui est à l’œuvre en cette sorte d’oxymore en lequel nous évoluons vous et moi tous les jours – une école de théâtre ; une école, mais de théâtre – bat son plein, et pourrait bien, qui s’attelle à la penser, le paralyser parfois : devrai-je ici m’adresser à des écoliers, et montrer une fermeté, une détermination, une rigueur, voire une brutalité salutaire, de directeur ? ou bien m’adresser à des femmes et des hommes, jeunes, certes, et encore, pour la plupart, très inexpérimentés, mais à des adultes, et à des femmes et des hommes de théâtre, et donc avec pondération, raison, et même (malgré tout) confraternité ?… A moins que ce ne soit le contraire : c’est à des élèves, presqu’encore des enfants, que je devrais parler tendrement, quand avec des artistes adultes, à égalité, pour ainsi dire, je pourrais me laisser aller à en découdre à cœur joie… Je n’ai pas tranché. Je rappelais simplement cela pour dire mon désarroi.

J’oscillerai donc, je crois. 

Espérant cependant, au fond de moi, que je vous aurais au moins aidés, à la fin, à discerner : oui, je crois, quelle que soit la situation – et dieu sait combien elle me parait ici hallucinante – que je reste indécrottablement professeur…

Si je vais ici, donc, vous parler sans ambages, sachez seulement, pourtant, que même sous ce qui pourrait vous paraître, en mes propos, netteté, radicalité, tranchant, il reste au fond de moi, inextinguible – je reconnais la saveur de son lait – ce sentiment de tendresse que j’ai toujours eu pour tous mes élèves depuis trente ans de Conservatoire (trente ans c’est long. Comptez jusqu’à 30, et imaginez que chaque seconde est une année… Si, si, faites-le…). Mais, voici – ce sentiment – qu’il me semble s’être en moi déplacé, et – bien étrangement, vous en conviendrez – comme augmenté. C’est que vous vous êtes trompés : je n’étais certes pas – qu’il vous aurait fallu « tuer », n’est-ce pas ; cela est « sain », parait-il – votre père. J’ai d’ailleurs toujours tenu ce genre d’analogies faciles pour dangereuses, et quant à moi je ne parle jamais, au théâtre, de « famille », où, dans une troupe, ou une classe, l’un serait à la place de l’oncle, l’autre du père, un troisième du cousin éloigné, etc. Mais, précisément : c’est peut-être d’avoir voulu me tuer (ou m’éliminer, m’annihiler, m’abattre, me couper la tête, etc. Il faudrait ici un vocabulaire punitif, un vocabulaire de l’exécution qui n’est pas le mien), que vous m’avez soudain fait me sentir un peu père…Allez savoir avec les méandres de l’âme… (Oui, je sais : la Malveillance criera : « Paternalisme !». Eh bien tant pis pour moi… Ou pour elle.)

Je vous le dis donc comme je le dirais à des « adultes » : envoyant, vous, élèves actuels du Conservatoire, une lettre au ministère de la Culture à la fin que celui-ci chasse votre directeur (oui, je sais, ce n’est pas littéralement ce qui est écrit, mais les dénégations de Sainte Nitouche de ses rédacteurs ne trompent personne, hors ceux-là seuls qui veulent être trompés), vous avez commis une triple faute.

Tout d’abord, une faute morale, dans l’absolu

Sauf à concerner quelque grave action néfaste que j’aurais commise et dont vous n’auriez pas pu, et pour cause, vous plaindre à moi, le procédé-même de cette « dénonciation », le procédé en soi, sachez-le, est abject.

Quelqu’un qui ne saurait rien du « fond » de votre lettre, mais saurait seulement que vous l’avez envoyée « à qui de droit » sans discussion aucune, sans demande de rendez-vous, sans prévenir – en cachette pour ainsi dire de l’intéressé – pourrait imaginer, je ne sais pas, que deux ou trois élèves m’ont aperçu, par exemple, me glisser subrepticement, tel soir, dans le bureau de ma secrétaire, ouvrir le coffre où sont soigneusement rangés les billets de la subvention de l’état, en enfouir dans mes poches tout ce qu’elles pouvaient en contenir, puis pénétrer dans quelque bar du quartier, chez l’ami Momo, par exemple, pour claquer tout le magot en whiskies à gogo (je m’empresse ici de décourager d’éventuels véritables voleurs : la subvention de l’état versée au Conservatoire ne l’est pas en billets de banque, qui ne sauraient donc être rangés dans ce coffre, coffre qui d’ailleurs n’existe pas)… ; ou bien – pire – que le directeur du Conservatoire devait exercer quelque harcèlement moral, traquant compulsivement de jeunes, blondes et naïves étudiantes en art dramatique dans les sombres couloirs de l’établissement, et qu’il avait peut-être même, allez savoir, violé l’une d’entre elles dans le petit réduit qu’on dit qu’il a derrière son bureau, que sais-je…

Mais, voyez-vous, je vous le dis, si ce directeur n’a pas commis une telle faute, une faute grave – et vous me concèderez, j’espère, que je ne l’ai pas commise – alors, la faute grave, c’est vous qui l’avez commise.

Je dois à la vérité d’avouer, mes chers élèves, que j’ai, moi aussi, apposé ma signature au bas d’une lettre collective ces derniers jours. C’était – avec quelques autres – pour exiger la libération de Mitra Kadivar. Vous savez qui c’est, n’est-ce pas. Non ?… Elle est la présidente de l’Association freudienne de Téhéran et elle est honteusement séquestrée en hôpital « psychiatrique » à l’heure où nous, nous nous écrivons des lettres… Puisqu’il n’y a, dit-on, que le premier pas qui coûte, et que vous voici, semble-t-il, disons, « dégrippés », je ne saurais trop enjoindre vos leaders, les rédacteurs de votre lettre, puisqu’ils semblent avoir des idées très précises sur l’interaction des enseignements au sein des écoles d’art dramatique, de chercher maintenant à vous faire signer cette autre lettre-là, histoire – au moins – de mettre en connexion des expériences croisées…

C’est – deuxièmement – une faute devant le théâtre

Durant le temps, si court, de la signature, vous vous êtes exclus du théâtre. Je ne parle pas, là, du temps, certainement bien plus long, qu’il a fallu à quelques uns pour concocter le projet en cachette et le rédiger… Qu’il a fallu, oui, à quelques uns seulement, toujours les mêmes, qui en ont entraînés d’autres, qui en ont entraînés, « mutins de Panurge », d’autres encore… Jusqu’à ce qu’il soit devenu difficile à chacun, et de plus en plus difficile, de ne pas signer, sous peine de sembler des « jaunes », ou des « béni-oui-oui ». De cela, j’ai déjà tant de preuves, et – sans que je n’ai rien demandé jamais, je m’empresse de le dire (la Malveillance, vous savez…) – tant d’aveux, de tous ceux qui, un par un, m’ont fait entendre, depuis quelques jours – et toujours de manière très émouvante et, oui, courageuse, cette fois –, qu’ils se sont fourvoyés, qu’ils ont été entraînés, qu’ils ne savaient pas, qu’ils reprennent leur signature… 

Mais vous connaissez l’histoire de Winston Churchill (c’était le premier ministre de la Grande-Bretagne  pendant la dernière guerre) qui se retrouve un jour à faire pipi dans les toilettes d’un grand hôtel londonien, juste à côté – qui faisait pipi lui aussi – d’un journaliste qui venait de le trainer dans la boue dans les colonnes d’un très grand journal. Au journaliste, qui lui disait : « je vous ai insulté, Sir Winston Churchill, mais, sachez-le, au fond de moi, je vous admire beaucoup », Churchill avait répondu, tout en continuant à faire pipi : « ce que vous me dites là me fait chaud au cœur, merci, vraiment. Mais j’avoue que j’aurais, toutefois, préféré que vous m’insultiez dans les toilettes d’un grand hôtel et que vous disiez toute votre admiration dans le journal… ». 

Car, voyez-vous, le mal est fait. Mais bon, ce discernement est peut-être le plus important…

Oui, durant, donc, ce temps si court de la signature, vous vous êtes, mes jeunes élèves, exclus vous-mêmes du théâtre : je n’arrive pas à imaginer (je manque peut-être d’imagination) Gérard Philipe, Daniel Sorano ou Jeanne Moreau, écrire en cachette pour se plaindre « à qui de droit » de tel défaut de l’organisation du TNP de Jean Vilar, ou de son action si singulière… ni, que sais-je, Michel Bouquet… ni Laurent Terzieff écrire pour se plaindre de Tania Balachova (peut-être savez-vous qui sont ces gens)… ni se plaindre du directeur de son école à ce qu’il aurait imaginé lui être quelque patron suprême, un élève de Charles Dullin…

C’est que vous jugez là votre école, qui, malgré tel ou tel « dysfonctionnement » comme vous dites (ce mot technocratique ne fait pas, lui non plus, tout à fait partie de mon vocabulaire) – et vous n’avez pas à me convaincre qu’il peut en exister (nous sommes près de 200 à vivre ici les uns sur les autres, il serait bien improbable qu’il n’y en ait jamais) –, vous n’avez là jugé de votre école, dis-je – qui va bien aujourd’hui, très bien même, c’est un témoin attentif depuis trente année (vous n’étiez pas nés), et qui peut comparer, qui vous le dit (mais aussi tous les anciens élèves, vos aînés, qui, chaque fois, la revoyant à présent, s’écrient : « ah, si j’avais eu la chance, élève, de connaître ce Conservatoire-là ! » ; et encore les responsables de quelques unes parmi les plus grandes écoles d’art dramatique dans le monde, qui souvent la prennent comme exemple – vous ne le saviez pas ? – et veulent l’imiter), vous n’avez là jugé de votre école, dis-je, par cela seulement – c’est, hélas, normal – que vous connaissez de l’extérieur : vous voyez que, là-bas, tel personnel de telle entreprise est en guerre (et si souvent à juste raison) avec le « patron » de cette entreprise et, par analogie, vous vous êtes mis en guerre contre votre directeur. C’est donc, avant tout, que nous, professeurs, moi, directeur, n’avons pas su vous faire entendre que le Conservatoire n’était pas une telle entreprise, mais qu’il était, au contraire, fiché entre telle banque et tel magasin de chaussures… comment dire… un « abri »…

Voyez-vous, depuis quelques années, une guerre immense, sans merci, une guerre qui n’a jamais dit son nom, se livre en France et en Europe, et certainement bien au-delà même de ces frontières. Malgré quelques passerelles ici ou là – au demeurant très belles car, étrangement, chacun des deux camps a parfois besoin de l’autre, et il y a des gens merveilleux dans l’un et l’autre de ces camps, – deux mondes s’affrontent sans merci, disons, pour aller vite, celui de l’art, de la poésie, de l’utopie, de la confiance, de la recherche, de « l’humanisme », et celui de l’efficacité, de la consommation, de l’argent, du rendement, celui des technocrates et des « communicants ». Vous êtes nés dans cette guerre. Je vous le dis, notre monde, votre monde – que feriez-vous, sinon, au Conservatoire ? –, c’est le premier.

Mais vous avez écrit (n’avez-vous donc pas d’oreille ?) : « discours de la direction », « déficience dans l’organisation interne », « absence de planification », et autre « politique d’échange pérenne », qui sont mots et « concepts » de la langue du second. Ce ne sont pas, là, je vous le dis, des mots d’acteurs, des mots d’artistes… Je vous en conjure, jeunes gens, ne passez pas, sans même vous en rendre compte, à l’ennemi.

C’est, troisièmement, une faute devant la République.

Une telle action (et une telle lettre, j’y viendrai), inédite dans l’histoire du Conservatoire (qui a commencé, elle, au XVIIIè siècle), se produit – comme par hasard – l’année où, pour la première fois dans la dite histoire, s’instaure un Conseil d’administration. Conseil où – comme par hasard – les rédacteurs de la lettre sont aussi, pour une part au moins, ceux qui siègent au titre de « délégués des élèves ». Je me risquerais bien à penser que ceux-là n’ont pas tout à fait compris leur rôle. Et qu’à siéger à la table de ce conseil, à entendre sans fard s’énoncer et se commenter les problèmes, à parler en cette instance à égalité et sans contrainte avec les responsables et les professeurs, ils se sont sentis grisés et se sont crus… comment dire… en cogestion, en codirection. Mieux (ou pire) : un « autre » directeur était là, au milieu, qui les gênait, et qu’ils ont voulu éliminer. Eh bien, je me dois de vous l’enseigner aussi : non. La démocratie n’est pas cette parodie, et les élèves restent les élèves, les professeurs les professeurs, les directeurs les directeurs. Une confusion des statuts ferait éclater l’idée même d’école.

Ces délégués se sont pris au jeu, et bien que fort jeunes et dans l’ignorance quasi-totale de la plupart des difficultés inhérentes à la marche d’une institution comme la leur, ils « y ont cru » : comme un acteur amateur jouant Iago ou Napoléon qui se prendrait réellement pour Iago ou Napoléon, ils ont oublié que ce rôle-là, celui de délégué, s’il comportait, certes, quelque « pouvoir » (quelque « responsabilité », devrais-je dire), comportait aussi quelque devoir. Celui, par exemple, de parler, d’expliquer, dès que l’on soupçonne un problème : je n’ai jamais, depuis trente ans que je suis professeur et plus de cinq ans maintenant que je suis directeur, je n’ai jamais, je dis bien jamais, quel que fût le moment et la pression qu’ont pu exercer sur moi mes travaux, refusé un rendez-vous à un élève. Mais voilà, ceux-là ne m’ont jamais demandé l’ombre d’un rendez-vous, et ils ont préféré aller vers ce qu’ils imaginaient être « l’action », trahissant simplement là, du même coup, pardon de le dire, la confiance qui leur était accordée. Même dans les entreprises les plus en conflit de notre société, les représentants du personnel les plus virulents et les plus radicaux n’agissent pas ainsi, sans discussion, sans préavis, et contournant les instances qui précisément servent à régler les conflits, s’il y en a ; instances dont– ironie – ceux-là prétendent, d’autre part, tirer autorité… Ils sont jeunes, me dit-on, impulsifs, et ils ne savent pas… Euh… Non : ils ne sont déjà plus si jeunes, c’est trop facile, et ils devraient savoir.

Et si vraiment ils ne savaient pas, ils n’avaient qu’à me demander… Ah, oui, bien sûr, j’oubliais : pour me demander, il eût fallu me parler, et c’est précisément ce qu’ils voulaient éviter de faire. C’est bien dommage, car je leur aurais dit : « est-ce la bonne « procédure », mes chers « délégués », que de ne pas passer par le Conseil des Etudes ou, si c’est plus grave et infrastructurel, par le Conseil d’Administration. Est-ce bonne procédure, encore, que d’enregistrer une réunion comme celle que nous avions tenue avec quelques uns de vos professeurs ? (Auriez-vous eu peur que nous vous disions des choses que par la suite nous aurions nié avoir dites ? devant 80 personnes, c’eût été difficile…»).

Qui vous a enseigné cela ? Sûrement pas nous, vos professeurs. Quelqu’un, qui, à coup sûr, ne sait pas qui est Shakespeare, croit que Claudel est une marque de beurre et Calderon une marque de chocolat. Je ne félicite pas, s’il existe, cet étrange « professeur ». Quant à moi, je passerai très bientôt par un Conseil des Etudes, et y reprendrai point par point tout ce qui est en votre lettre, et ce conseil, démocratiquement, donnera, comme il se doit, son avis ou son verdict.

 « Daniel, il n’y a pas de fumée sans feu », me murmurent quelques pseudo bonnes âmes (pas si loin, « œcuméniques », d’ajouter, si on les y poussait, que le viol n’est certes pas beau, mais que se promener en mini-jupe n’est pas très malin non plus). 

Eh bien, si. Il y a de la fumée sans feu… Tous les soirs, en ce moment, le Hamlet que j’ai mis en scène présente, à tel ou tel moment, de très belles volutes de fumée, et j’affirme pourtant que pas l’ombre d’une flamme ne brûle en coulisse. Il y a de la fumée sans feu, mais c’est que c’est, alors, une fumée… de fiction.

Il vous aurait fallu du recul, et le recul n’est pas, par définition, l’apanage de la jeunesse. Nous le savons bien, nous les professeurs (je veux dire : nous les artistes qui avons bien voulu aussi faire les professeurs, qui avons voulu, d’une certaine manière, rendre ce que nous avons eu la chance qu’il nous fût donné), nous le savons bien : une certaine ingratitude nous revient la plupart du temps en partage, et nous avons appris à ne pas en souffrir (ce n’est souvent que bien plus tard que nous recevons des lettres d’amour qui commencent à peu près par : « à l’époque je ne savais pas assez, mais je me rends compte aujourd’hui de la chance que… ». J’en ai moi-même une petite collection.

Pourtant, vous le savez, je n’ai rien vu venir : ça, c’est une faute, je le reconnais (Il est vrai que je n’ai pas été le seul à tomber de haut : personne – administration, technique, corps enseignant – personne n’a rien vu venir). Pire pour moi, et je vais continuer de m’accabler, et la Malveillance – qu’elle est donc bête, la Malveillance ! – va rire très fort et en faire ses choux gras : si l’on m’avait dit, par exemple, qu’une initiative avait été prise d’une fête en mon honneur pour mes 30 ans de Conservatoire, et pour me remercier de ce que je fais pour vous, à ma grande honte, je l’avoue, je l’aurais cru, voyez ma nullité en matière d’anticipation. Mais… Comment vous faire entendre cela, mes chers élèves… Hum… Saint Thomas (le philosophe Saint Thomas d’Aquin, ce n’est pas seulement le nom d’une église) était moine, et il était très gros. Énorme ; et il se mouvait avec difficulté. Un jour qu’il était assis dans un fauteuil du réfectoire de son monastère, de jeunes moines de ses amis, pour lui faire une farce, lui crièrent : « Thomas, Thomas, viens vite, dépêche-toi, viens voir à la fenêtre, il y a dans le ciel des anges qui volent ! » Et le pauvre Thomas se lève avec difficulté et court comme il peut, les yeux illuminés, à la fenêtre. Évidemment, il n’y avait pas d’anges, et les moines, ses copains, hurlaient de rire. Et Thomas leur a dit doucement : pourquoi riez-vous, mes bons amis ? Il était bien plus probable de voir des anges voler que des moines mentir…

Voyez-vous, ici, nous sommes, en principe, entre acteurs, et il est vrai que la pensée de la possibilité de cette lettre ne m’est pas venue. Pas assez de probabilités pour moi.

C’est que vous n’avez pas écrit au ministère pour « dégommer » un « patron ». Vous avez écrit au patron dans l’espoir qu’il « dégomme » l’un de vous. Le comprenez-vous ?

C’est d’ailleurs, je l’espère (et ce n’est pas, faites-moi la grâce de le penser, pour moi-même) un mauvais calcul. En dépit d’une idéologie « jeuniste » qui sévit un peu partout, je ne vois pas les ministères obtempérer chaque fois que des élèves d’une école exigeraient d’eux le renvoi d’un directeur ou d’un professeur : le concept même d’école exploserait, et toutes les écoles de France. Depuis quelques jours, je croise, dans les couloirs du Conservatoire, tel ou tel élève que, comme à l’accoutumée, je salue (un peu froidement, faut rien exagérer tout de même, mais enfin bon, que je salue), et souvent, le voyant répondre timidement ou baisser les yeux, ou regarder vite ailleurs, je me prends à penser : « bon, elle (ou lui), elle, bon, elle, ça va ; elle a peut-être, elle a sans doute, signé cette lettre indigne, mais enfin bon, lui (ou elle), c’est un gentil, je vois bien que c’est un gentil, je vois bien qui il est ; bon, il a signé, quel con, mais enfin bon, je vois bien qu’il est sûrement, aussi, intéressant, et même intelligent, que c’est, au fond, quelqu’un de bien, et puis, il aime le théâtre, c’est un acteur, il est, au fond, des miens ; il est sûrement vulnérable et sensible, et je ne peux avoir que de la sympathie pour le presqu’enfant qu’il est encore. » – « Oui, mais il a signé », me dit un autre moi en moi, plus sec, plus belliqueux, plus jeune que moi peut-être, artiste seulement et c’est tout (je veux dire moins professeur), et davantage prêt à en découdre. – « Oui, oui, je sais, il a signé », dit en moi le premier moi ; « mais, bon, si c’était ton fils ou ta fille, tu continuerais à l’aimer, non ? Tu penserais qu’il a fait une grosse connerie, que d’ailleurs il ne mesurait pas, mais tu l’aimerais quand même, pas vrai… » – « Oui, mais ce n’est pas un enfant, plus du tout, insiste le deuxième moi en moi ; alors quoi, on t’attaque et tu ne réponds pas, c’est ça, tu te laisses faire ?… » – « Mais non, idiot, ce n’est pas ça, dit le premier moi en moi… » etc. Toute cette scène, remarquez-le, ne dure, étrangement, guère plus d’une ou deux secondes. Ni l’élève ni moi n’avons d’ailleurs le temps de la lire. Eh bien, voyez-vous, je vous le dis en confidence, c’est toujours le premier moi en moi qui l’emporte : l’élève à peine croisé, je me dis (cette fois-ci j’ai le temps de me dire) : « non celui-là, ça va ; celui-là (ou celle-là), même s’il a signé, je l’aime, allez… ». Le problème, c’est que ça m’arrive avec tous. Je n’ai, depuis « la lettre », encore jamais croisé – mais je n’ai pas, je crois, croisé tout le monde ! – je n’ai encore jamais croisé un élève à propos duquel j’aurais pu me dire, hugoliennement : « meurs, lâche, chien, tu as voulu me frapper dans le dos, je te hais ! ».

J’ai parlé, à maintes reprises, de « la Malveillance » ; et j’ai dit souvent : « quelques uns »… Mais de ceux-là aussi, je suis le directeur. C’est, certes, plus difficile, mais bon, ceux-là aussi, au fond, au fond-fond, je ne leur en veux pas. « C’est, va dire la Malveillance (encore elle, il faudrait pourtant une fois pour toutes qu’on la chasse, j’ai bien envie d’écrire une lettre au ministère), qu’il se croit supérieur, vous voyez bien, rien ne l’atteint, il ne nous hait même pas, il plaisante encore, il plaisante tout le temps, il est si sûr de lui, etc. ». – Non. Ce n’est pas ça, jeunes gens. C’est seulement que je sais qu’à vouloir combattre la « jouissance », la « jouissance » d’un autre qui plus est, nul ne peut rien, ni n’a jamais rien pu. 

Mais j’ai, pourtant, un allié de taille : le temps. Laissons-le faire.

Que je pense que toutes les récriminations en la lettre que vous avez signée sont des déplacements, ne sont pas « vraies », vraiment vraies, n’entraîne pas que je m’autorise, ces récriminations, à les repousser d’un revers de main comme n’étant que symptômes vides du mal lui-même. Je voudrais seulement tenter de vous montrer qu’elles manquent, ces récriminations, disons, de justesse (de justice aussi, mais ça, c’est tant pis pour moi).

Oh, j’ai vu tout de suite que cette lettre ne reflétait nulle vérité, ne disait, au fond, presque rien, et qu’elle se voulait surtout – presque seulement, même – « punitive ». Insinuant ici, montant en épingle là, éclatant à chaque paragraphe en confusions volontaires, en généralités de mauvaise foi, le tout enrobé de flagorneries (d’ailleurs en langue de bois), et des mines et allures du (faux) désarroi d’une jeunesse bien sympathique (« nous ne sommes que de jeunes élèves », etc.) ; au contenu en harmonie, finalement, chers rédacteurs, avec la méthode qui a présidé à son envoi.

Puisque j’avance impudemment que cette lettre est vide, indigente en son fond, mais considérant, d’autre part, qu’elle doit bien être, quoi qu’il en soit, le symptôme au moins de quelque chose, permettez-moi de prendre les devants, peut-être imprudemment, tant pis, et de vous commenter déjà ici quelques points (mais nous passerons en revue tous ceux que je vous jugerez bons de présenter au Conseil des Etudes, les examinerons et trancherons), points que je crois être cause de certains mécontentements ; de passer en revue ce que je crois être les mesures, ou les idées, qui, de déplaire à quelques-uns, ont pu devenir « impopulaires ».

S’il existe véritablement, dont « l’enchevêtrement trouble votre compréhension du projet global de l’école », dites-vous, chers rédacteurs, « un discours officiel et une parole officieuse », je ne vois pas que l’officieuse puisse être de mon fait : je ne connais, moi, que la première (que d’ailleurs je ne qualifierais pas « d’officielle »). « L’officieuse », si elle existe, combattez-la, ou ignorez-la. C’est mon conseil.

« L’opacité de la ligne pédagogique perturbe l’administration » ; et elle perturberait aussi « les professeurs » ? Vous en êtes sûrs ? Il faudrait qu’ils me le disent alors… Mais, encore une fois : vous en êtes sûrs ? Vraiment sûrs, mes chers rédacteurs ?

Vous découvririez « d’une manière aléatoire votre parcours » ? Alors qu’on vous donne un emploi du temps détaillé dès le premier jour ?… Aléatoire : vous êtes sûrs ?

Pour les six élèves du tout nouveau 2ème cycle, je vous l’accorde, hélas : nous n’avons ouvert ce cycle que depuis quelques mois, et nous cherchons – mais nous avons toujours dit que c’est ainsi que nous ferions – en avançant. 

Mais pour le reste, tout le reste, je le répète : vous en êtes sûrs ?

« Le conseil des études et ses membres ont été déconsidérés » ? En quoi, quand, comment ? Ils ne me l’ont jamais dit. Ils l’auraient donc souffert en silence ?… 

–  « Le Conservatoire se coupe progressivement du monde » ? Euh, non, je ne crois pas. Je ne crois pas, d’abord, que traverser comme vous le faites toutes les « disciplines », tous les répertoires, accompagnés par quelques uns parmi les meilleurs professeurs d’art dramatique de France, « coupe progressivement du monde ». Je crois même, oui – allez, je me lance – j’irais même jusqu’à croire, voyez mon impudence, le contraire.

J’avoue que je n’aime pas beaucoup la manière dont vous avez tenté de présenter, mes chers rédacteurs, mon rapport à « l’étranger ». Elle est même, pour moi, franchement nauséabonde et, je vous le dis, pour le moins offensante : je serais, à vous en croire, je ne sais quel protectionniste « franchouillard » et xénophobe. Si je n’étais déjà connu pour exactement le contraire, cette accusation serait, je vous le dis, des plus graves. Vous en doutez-vous ?

L’étranger : oui, bien sûr, tout, tout (et pas seulement votre désir déclaré), pousse à établir des liens avec les autres pays (vous prônez cela à un internationaliste et un européen convaincu), avec les autres peuples, les autres cultures et, pour ce qui nous occupe, avec les autres écoles d’Europe et d’ailleurs. Mais, discernez, ne comparez pas l’incomparable : le théâtre, lui, ne s’exporte pas comme le peuvent la danse, les arts plastiques, la musique… Il le fait beaucoup moins bien. Question de langue. Et quand un festival international des écoles d’art dramatique invite le Conservatoire, c’est, traditionnellement, au mois mai. Imaginez la tête de votre professeur d’interprétation si je lui annonçais que trois semaines avant les « journées de juin », je coupais dans le tricot et réquisitionnais quatre ou cinq de ses élèves pour qu’ils aillent jouer un spectacle à Belgrade ou Spoleto… Je ne suis pas sûr, jeunes et impulsifs rédacteurs de lettres, que vous ayez assez réfléchi au problème.

Vous dites que les cours ne sont pas « connectés » les uns aux autres… Comment imagineriez-vous qu’ils le soient davantage ? Je le demande sincèrement. C’est la tradition du Conservatoire – celle de cette école-ci et pas d’une autre (et j’aime, moi, cette tradition, et c’est cette école-ci, et pas une autre, vous, que vous avez choisi d’intégrer, n’est-ce pas) – d’être structurée davantage comme le sont les classes préparatoires (comme Khâgne et Hypokhâgne) que comme une suite linéaire de « stages de formation », comme la plupart des autres écoles d’art dramatique. Je ne dis pas que ce soit forcément mieux, mais c’est ainsi. Si, à peine entrés, cette « structure » ne vous convenait pas, que n’aviez-vous tenté le concours d’entrée d’une autre école ? Oui, la plupart des écoles collectionnent, parfois avec grand bonheur, ces « stages » : après celui-ci, cet autre, et qui souvent n’a rien à voir ; y a-t-il là-davantage de « connexion ». Au Conservatoire, les cours sont tuilés et entrecroisés toute l’année. Comprenez-le, c’est précisément ce tuilage qui est la « connexion » : toujours plus d’un thème, toujours plus d’une ligne, chaque jour. Mais – cela est vrai – l’histoire du théâtre n’est pas l’anglais qui n’est pas le chant et les cours d’aïkido ne se font pas en chantant l’histoire du théâtre en anglais (encore que, vous le savez, j’aie voulu que l’anglais fût « du théâtre », que l’histoire fût « du théâtre », et que j’aie voulu, par la « comédie musicale », instaurer que la danse s’entremêle avec le chant). Si vous aviez d’autres idées, parlez m’en, parlez-en au Conseil des Etudes, étudions, réfléchissons, rêvons. S’en plaindre de manière incantatoire seulement, et croire (ou faire croire) que c’est la personne du directeur qui est l’obstacle est, au mieux, sot, au pire, malhonnête. Les deux, chers rédacteurs ? Non, ça, je ne veux pas le croire…

Un corps enseignant « ami » et anachronique.

Malgré le temps qui passe (et certes, je suis dans le paysage depuis que vous existez, et j’ai monté de très nombreux spectacles, joué dans de nombreuses pièces, de nombreux films, écrit, même, quelques livres), je reste résolument, sachez-le, un « moderne ». Un artiste connecté aux pensées et aux textes les plus avancés, les plus aigus – et minoritaire souvent. Mais j’aime aussi la mémoire et l’histoire, et tiens que les mondes en apparence révolus ne le sont jamais vraiment. Ainsi, le « moderne » que je suis n’a pas voulu, pour autant – il en va de la plus importante école d’art dramatique de France – se laisser aller à tel penchant à « l’expérimental », procéder à quelque alliance avec l’image et les allures, pourtant parfois très célébrées, de je ne sais quelle – souvent fausse – « avant-garde » : j’ai voulu vous préserver des effets de mode (fulgurants, en nos métiers) qui, à coup sûr, auraient redoré l’image de votre directeur à vos yeux, et sans doute aux yeux d’une certaine presse, mais ne vous auraient, à vous –malgré ce que certains d’entre vous pourraient pourtant penser– servi de rien, ou pire. Oui, j’ai voulu vous éviter les « tubes de l’été ». Et je n’ai pas sollicité les metteurs en scène qui, auraient réussi un spectacle, qui auraient momentanément les suffrages de Télérama ou des  Inrockuptibles (et pourquoi pas à juste titre), mais resteraient cois devant une scène de Shakespeare que vous leur présenteriez, ou de Tchekhov, ou de Racine…

Et puis, surtout, sachez-le, les qualités qui sont nécessaires à un bon professeur du Conservatoire sont multiples, contradictoires, et rares à se retrouver toutes en quelqu’un. Il faut à ce professeur d’être savant en son art ; détenteur d’une culture générale solide ; « généreux » ; savoir s’ouvrir à des acteurs qu’il ou elle n’a pas choisis, avec un amour égal ; etc.… et avoir une, comment dire, « morale », car c’est souvent ce que ni lui ni ses élèves ne savent qu’il enseigne qu’il enseigne véritablement : une hauteur de vue, une dignité, une élégance, une façon « noble » de réagir devant telle ou telle situation, etc. L’exigence de toutes ces qualités restreint considérablement, au fur et à mesure, le panorama possible, voyez-vous, et souvent, quand enfin on en trouve un, il n’a tout simplement pas envie de venir vers vous (peut-être n’a-t-il pas la principale qualification : la « générosité », voire l’abnégation…), et préfère rester libre pour quelque projet personnel… Et vous demandez pourquoi nous ne les engageons pas trois ans à l’avance ? Vous voulez rire ? Vous croyez-vous donc le centre du monde ? D’être privilégiés, et pas qu’un peu, auriez-vous imaginé le privilège illimité ?… Mais, d’autre part, dites-moi, un tel, un tel et un tel, qui vous font travailler en ce moment, ne sont pas si nuls, non ? Car je ne sache pas que vos professeurs en général soient les plus vieillots des enseignants, même si, comme vous le suggérez en le déplorant, la plupart sont de mes « amis »… Eh bien, oui. J’avoue volontiers cela : c’est que je me vois mal engager pour vous des professeurs… que je n’aimerais pas. Je respecte, j’admire et – oui – j’aime les professeurs que je vous donne. Certains ont été mes élèves, et parfois mes acteurs, c’est vrai. Mais j’ai eu des centaines d’élèves, travaillé avec des centaines d’acteurs, et c’est ceux-là– pour un certain temps du moins – que j’ai choisis, comme si c’était à l’issue (mais à leur insu et au mien) d’une longue audition… Pouvez-vous, chers rédacteurs de lettres à signer, penser un moment qu’il puisse là ne pas s’agir de simple « copinage », mais qu’ils sont mes amis parce qu’ils seraient – d’abord – de grands artistes et de grands professeurs  Oui, j’engage des gens que j’aime plutôt que des gens que je n’aime pas, il parait que ça se fait… Et je ne sache pas qu’ils soient des clones de moi, loin s’en faut : parlons-nous, trouvez-vous, d’une seule voix ? Il apparaitrait, plutôt, me semble-t-il que non, et c’est précisément pour montrer à quel point nous pouvons ne pas être d’accord sur les notions et les thèmes les plus élémentaires de l’art dramatique (le personnage, la situation, la violence au théâtre, le théâtre populaire, etc.) que j’ai voulu, cette année, ces cours de « controverse », où nous disputons devant vous (avec amitié, oui, encore, pardon) et vous montrons à quel point les professeurs d’une aussi grande institution que la nôtre peuvent (et doivent) diverger, à quel point le Conservatoire n’est pas univoque, mais pluriel, et tire, même – et c’est tant mieux – à hue et à dia.

Quant aux problèmes « organisationnels » : je ne rappelle pas cela pour m’esquiver – et j’en assume, au seul titre de directeur, la responsabilité pleine et entière –, mais ils ne sont pas directement de mon fait : je ne me charge pas de « l’exécutif » : il y a, en notre administration, des postes, pourvus de qualifications et de tâches précises, pour cela. Puisque c’est ma personne elle-même qui est attaquée, je vous devais, autant qu’à la vérité, de le dire.

Concernant le professeur que vous ai trouvé pour mettre en scène l’atelier d’histoire du théâtre, j’admets que je me suis trompé. Ça n’était pas, à l’évidence, la personne qu’il vous fallait. Deux remarques, pourtant :

1) Ce n’est qu’un des professeurs parmi tant d’autres que j’ai ralliés au Conservatoire (Eloi Recoing, Sandy Ouvrier, Jean-Damien Barbin, Gérard Desarthe, Yvo Mentens, Pierre Aknine, Véronique Vella, Eric Forestier, Henriette Walter, Michel Fau, Olivier Py, Jean-Paul Wenzel, Philippe Calvario, Christophe Maltot, Pierre Debauche, Hans-Peter Cloos, Julien Lubek, Hacène Larbi, etc.), et qui, n’est-ce pas, je crois, ont réussi ou réussissent avec vous un travail de la plus haute qualité.

2) J’ai tout de même des circonstances « atténuantes » : cette personne n’est pas n’importe qui, elle a un curriculum vitae long comme le bras, elle est actrice, metteur en scène – cela avec un certain succès – elle a déjà enseigné… puis, oui, je cherchais plutôt une femme… Mais, bon, je vous l’accorde, hélas, volontiers : elle n’était pas – pas avec vous, en tout cas – celle qu’il fallait, et ça n’a pas pris.

Directeur, j’aurais pourtant pu – l’aurais-je dû ? –, lorsque je vous ai reçus dans mon bureau, vous quinze qui travailliez avec elle, j’aurais pu vous répondre : « Non ». « Vous voulez arrêter un spectacle ? – C’est non ». Depuis quand des élèves auraient-ils le droit de « congédier » un professeur ? Ce serait, systématisé, la fin de l’école.

Dans telle école, par exemple, où l’on fait des mathématiques, tels élèves, qui pour telle ou telle raison auraient des difficultés à travailler avec tel professeur de math, pourraient dire « on n’en veut plus », et le professeur s’en irait ? Ou, lors de telle formation professionnelle, tels stagiaires qui éprouveraient des difficultés à travailler avec leur formateur ? L’idée-même « d’école », jeunes gens, « l’école »-même, me demandait de vous répondre : « Non. Non, c’est comme ça. C’est dans cette école que vous avez voulu entrer – que vous auriez, pour certains, tué père et mère pour entrer – ce n’est pas à vous, élèves éphémères, de la façonner à votre main. Le spectacle aurait été difficile ? Eh oui. Les exercices en les écoles de sapeurs-pompiers aussi. Qui vous a dit que dans l’école d’art dramatique la plus « pointue » de France, il était admis que tout devait être facile ? »

Ce « non », j’aurais d’autant plus pu le prononcer que les raisons qui m’étaient données étaient pour le moins contradictoires, voire incohérentes, rappelez-vous : l’un disait : « elle est trop directive, elle nous arrête sans arrêt, elle nous dit tout, elle nous prend pour des enfants »… Bon… Mais, l’autre, qu’elle laissait faire sans visiblement savoir où tout cela allait, qu’elle n’avait, finalement, rien à dire, et se taisait, ne donnait jamais aucune indication… L’un disait : « elle est méchante, cassante, humiliante, elle nous parle mal »… Bon… Mais l’autre, qu’elle ne savait faire que des compliments, qu’elle trouvait toujours tout et tout le monde merveilleux, et que cela n’aidait en rien les élèves, etc… N’importe nawak, jeunes gens, n’importe nawak… Et pourtant, je n’ai pas dit non. « L’école » me le demandait, oui, mais « le théâtre » ? Et j’ai dit : « d’accord, vous ne voulez plus faire ce spectacle, ne le faisons pas ». C’est, voyez-vous, que je n’avais pas voulu là… comment dire ?… instaurer officiellement le malheur. C’est que je tiens le théâtre pour un moment fragile qui ne peut être que de bienveillance, de plaisir, de confiance, et j’ai compris, si j’imposais ce spectacle, que vous alliez tous être, bien que pour des raisons parfois diamétralement opposées, malheureux ; et votre professeur aussi. Et j’ai préféré – c’est ici, d’ailleurs, que « l’école » revient, par la bande – vous préserver de cela aujourd’hui. Vous en préserver dans l’école. Car, je vous le dis, jeunes gens, des metteurs en scène avec qui, plus tard, et quelles qu’en soient les raisons, vous ne vous entendrez pas, vous en rencontrerez. Vous en rencontrerez même – je ne vous le souhaite pas, naturellement, mais c’est souvent le cas, sachez-le, dans le temps d’une vie professionnelle – plusieurs, au moins. Et chaque fois, vous resterez. Parce que vous avez signé un contrat. Parce que c’est votre métier. Ou tout simplement parce que vous saurez, alors, que l’impatience est mauvaise conseillère, et que c’est après coup, je veux dire après l’épreuve du travail, après avoir laissé toutes ses chances d’arriver à « ce qui peut arriver » (après, donc, la dernière répétition et l’accueil d’un public seulement), que l’on peut vraiment se déterminer…

Mais, bon : je vous ai dit « oui ». Le théâtre – non pas, encore une fois, le théâtre « professionnel », mais le théâtre, comment dire, tendre, en herbe, que je lisais dans vos yeux – m’a fait, contre « l’école » (mais vous le voyez, à cause d’elle aussi), vous dire oui.

Tous, vous avez immédiatement semblé soulagés, et certains, même – dont vos « délégués » – m’ont remercié… L’un d’entre vous m’a dit alors : « nous pourrions, en remplacement de ce spectacle, travailler entre nous, en faire un que nous voulons, d’ailleurs, j’ai déjà un titre… » J’ai ri, je crois, rappelez-vous, et vous ai dit : « Ah non, ça, mes amis (à cette époque-là, naïvement je le vois, je parlais encore ainsi), non, ce ne sont pas les élèves qui font eux-mêmes leur parcours dans l’école, là, vous exagérez un peu, non ? »…  Petit rappel : cet « atelier d’histoire du théâtre », c’est moi qui l’avais voulu tel : les traditionnels cours d’histoire du théâtre – nécessaires, et que toutes les écoles de théâtre dignes de ce nom, à juste titre, dispensent, – c’est moi qui les avais voulus transformés en spectacle sur l’histoire du théâtre. Le « spectacle », je le déplore, ne se ferait donc pas cette année, bon, mais l’histoire du théâtre, elle, demeure, et sa nécessité (certains pourraient ne pas en être d’accord, je le sais, mais c’est ainsi) : nous reviendrons donc à la forme qui existait auparavant, des cours d’histoire du théâtre ». Certains se sont sentis punis, me dit-on maintenant. Ils ont eu tort. Je leur rappellerais, avec tendresse mais fermeté, qu’ils sont dans une école, non dans un club de théâtre payé par l’état. Ils n’avaient pas voulu d’un spectacle sur l’histoire du théâtre, soit, mais ils n’avaient pas à vouloir ou ne pas vouloir d’histoire du théâtre : ici, c’est exact, je ne leur demandais pas leur avis. Peut-être cela a-t-il mal été « communiqué », mal expliqué, et donc mal compris. Je ne sais. Si c’est le cas, je le déplore et vous en demande pardon. Mais il eût été tellement plus simple, et plus « sain », de venir me demander des explications, que je vous aurais données, comme d’habitude, avec amitié et confraternité, plutôt que de vous associer à une démarche qui n’a de militance que le beau nom, et qui, est en réalité tout le contraire, puisque, si l’on devait pousser l’analogie, elle n’est, et n’aura jamais été, à tout prendre, qu’une plainte déposée par le « personnel » sur le bureau du patron ! En tout état de cause, je vous le dis, et j’imagine qu’alors, pour certains d’entre vous, je suis décidemment irrécupérable, ce serait à refaire – à part, bien évidemment, en ce qui concerne le choix initial – je referais exactement la même chose.

Mes chers élèves, je connais le Conservatoire, je le fréquente, y travaille, l’observe en même temps que je contribue à le transformer et cherche à le hisser au plus haut que je le puis, depuis trente années ; vous, pour près de la moitié d’entre vous, depuis quatre mois, pour les autres, depuis un an ou deux. Cela n’implique aucunement, certes, que je ne puisse me tromper du tout au tout sur lui (je puis être un peu bécasson), ni vous que vous ayez forcément tort en considérant que ce qui s’y fait aujourd’hui est mal fait, désuet, etc…. Vous laisseriez-vous pourtant aller à imaginer un instant que, durant toutes ces années, j’aie pu ne pas faire rien, ne pas penser rien, ne pas m’informer sur rien, ne pas me réajuster inlassablement ? Trente années, ce sont des centaines de jeunes acteurs comme vous, avec qui j’ai travaillé (dont certains, aujourd’hui, sont des « stars » – et pourtant, étrangement, bien plus humbles que nombre d’entre vous aujourd’hui) ; des dizaines d’ouvrages sur ces choses difficiles que sont les écoles d’art et sur la transmission du théâtre, que j’ai lus et relus ; de nombreuses écoles, analogues à la nôtre, que j’ai visitées à l’étranger ; des dizaines de masterclasses que j’y ai données (à Pékin, New-York, Madrid, Mexico, Budapest, Tokyo, etc.)… Et s’il est vrai que – en soi, et devant, disons, la Vie (ou encore, la démocratie) – « un homme vaut un homme », il peut arriver que devant telle ou telle « matière », ce ne soit pas forcément le cas : savez-vous qu’il faut parfois des nerfs d’acier et une sacrée dose de sens de l’humour, dont je crois ma mère a dû largement me pourvoir, pour écouter patiemment (la patience fait partie du job) un jeune élève tout frais émoulu du cours Florent, qui ne songeait peut-être pas à l’art dramatique il y a seulement un an ou deux, m’expliquer doctement comment doit être faite une école de théâtre ?… Entendons-nous bien : encore une fois, ce n’est nullement là de ma part quelque interdit de parole jeté sur vous une fois pour toute du haut de mon « expérience » ; ce serait, certes, trop facile. Je dis seulement que parler avec si peu de précautions d’un enseignement du Conservatoire qui serait « désuet », « déconnecté du monde etc. » pourrait bien – ici, je suggère, je n’affirme rien – pourrait– oui, cela se pourrait – être un signe de – disons – légèreté… Je ne sais pas… Moi, quand je parle à un astrophysicien, je n’ai garde de lui donner des conseils… en astrophysique !! Question de pudeur…

Mes chers élèves, vous ne me connaissez pas, vous ne connaissez pas ma vie et qui je suis. D’une manière générale, vous ne connaissez pas assez la vie artistique passée, et même présente, de vos professeurs. Vous les prenez… pour des profs, et moi pour un « dirlo », et pas assez pour des artistes qui font aussi les professeurs, le directeur. C’est, sans doute, notre faute. C’est la mienne, certainement. Et un peu la vôtre, aussi, il n’est pas interdit de se renseigner (j’ai écrit des milliers de lignes dans des livres – qui sont d’ailleurs dans la bibliothèque de votre école – ; j’ai fait des dizaines de spectacles – dont de nombreux DVD sont d’ailleurs dans la bibliothèque de votre école – ; des dizaines de déclarations – qui sont d’ailleurs écoutables dans vos téléphones portables…). Mais, non, vous ne me connaissez pas.

Sachez au moins, sachez seulement, que, quant à moi, je ne peux, a priori, voir qu’avec sympathie une jeunesse qui bouge, qui se « mobilise », qui a l’appétit d’agir. Pourtant, pardonnez-moi de vous le dire aussi net, vous vous trompez de combat, et d’ennemi. Vous vous êtes accrochés, comme lierre autour de l’arbre, sans grande réflexion, rebelles impatients que vous vous sentiez être, au bâton – euh, oui, c’est le mot presque complet – que tendaient pour me désigner à votre vindicte quelques âmes en mal de gloriole facile et d’ascendant au demeurant bien éphémère sur leurs pairs (en tout groupe de plus d’une centaine d’âmes, de ceux-là il se trouve toujours quelques-uns, tout le monde le sait, et les vôtres, nous l’avons tous vu, sont particulièrement pressés et excités)…

Malgré mon âge pour vous canonique (mais si vous saviez comme je suis jeune, pourtant), je suis, vous pouvez ne pas forcément le savoir, un perpétuel « révolté », pour le dire aussi simplement. Ce n’est donc pas que votre jeunesse se mette en branle qui me meurtrit. Oh, combien j’aimerais que vous sachiez que non !… Si j’avais trouvé, un beau matin, le Conservatoire en grève parce qu’un sdf serait mort de froid à dix mètres de notre école chauffée (c’est chaque nuit possible, vous le savez), ou pour protester contre les massacres en Syrie, ou, que sais-je, contre l’indigne manifestation qu’ont faite ceux qui veulent dénier, en notre démocratie, les droits d’une certaine catégorie de citoyens qui n’ont pas la même sexualité qu’eux, j’aurais été heureux alors, et confiant en votre avenir d’hommes et de femmes, d’artistes, et me serais d’ailleurs placé parmi vous sans l’ombre d’une hésitation… Ici, la malveillance va dire – je la connais, j’apprends à la connaître – : « vous noyez le poisson, vous mélangez les problèmes, nous parlons, nous, ’’théâtre’’ ! »… Je vous demande pourtant de bien réfléchir à ce que je lui répondrais, qui serait : « non ». Tout simplement. Que non, je ne mélange pas les problèmes, et que c’est – encore – moi qui parle de théâtre, et non pas elle. Ici, la malveillance va rétorquer : « c’est trop fort : il nous dit que nous aurions dû nous occuper d’autre chose, et le laisser tranquille ! ». Me laisser tranquille, non, mais vous occuper d’autres choses, oui. Qui sont encore votre chose. La chose du théâtre.

Mais où êtes-vous, jeunes élèves ? Dans une école où vous sont dispensés des cours d’interprétation, de mime (que j’ai instaurés), de danse, de clown (que j’ai instaurés), de théâtre en anglais (que j’ai instaurés), d’histoire du théâtre, de linguistique (que j’ai instaurés), de rhétorique (que j’ai instaurés), de marionnette (que j’ai instaurés), de philosophie (que j’ai instaurés), d’aïkido (que j’ai instaurés), de cinéma (que j’ai remis dans le cursus), de taï-chi, d’escrime, de diction, de chansons (que j’ai instaurés) ; où deux fois par an, l’un de vous a la possibilité de monter un spectacle dans les meilleures conditions professionnelles – chose que j’ai instaurée (avec magasin aux accessoires, magasin de costumes, sans cesse renouvelés à disposition, atelier de costumes, de décors, etc), où douze spectacles par an vous montrent au monde du théâtre, etc., etc.

Vous dites aussi que vous travaillez trop ? Je vous souhaite autant et plus encore de travail à votre sortie. Avez-vous jeté un coup d’œil sur la condition des autres acteurs du même âge que vous qui essaient de travailler et ne sont pas au Conservatoire ? N’y a-t-il pas, dites-moi, quelque indécence à se déguiser en jeunesse révoltée pour dire que la vie dans cette école est insupportable ?

Oui, vous êtes des privilégiés : le Conservatoire est la deuxième école dont chaque élève coûte le plus cher à l’Etat, m’a-t-on dit, et c’est après je ne sais quelle école militaire (mais, c’est, elle, de dépenser de nombreuses et bien sophistiquées munitions). Cela, certes, ne vous interdit pas de vous révolter, le privilège ne doit pas être une muselière. Mais alors, de grâce, trouvez une véritable cause.

Chaque nouvelle génération veut refaire le monde, et les artistes peut-être plus encore que bien d’autres. Tant mieux. Mais voilà : il existe déjà – et peut-être est-ce ce « déjà » qui est à certains – déjà ! – intolérable – un lieu où le monde se refait tous les matins. Et c’est le Conservatoire. Oui : le Conservatoire existait déjà, sans vous. Lieu de refonte du monde, lieu d’invention des mondes, il est une machine à rêver l’à-venir. Mais il est, aussi, « institution ». Pour certains, la contradiction est trop violente. Oui, je sais… Pour moi aussi, parfois.

Vous êtes jeunes, et vous pensez, c’est normal, que tout vous est dû. J’aimerais cependant réussir à vous enseigner aussi cela : que non.

Mes chers élèves, ce que vous vivez ici, vous ne le savez pas, pas encore, ou pas assez, est un million de fois plus doux que ce que vous risquez de vivre dès votre sortie. Vous ne le savez pas ; nous oui. C’est pourquoi je vous dis que si les privilégiés que vous êtes (et bien plus que vous ne pouvez l’imaginer) ne s’épuisaient pas à chercher en quoi le court temps qu’ils vont passer dans cette école – qui leur est un abri (momentané !) – pouvait bien leur être insupportable, mais œuvraient plutôt à se forger – par le travail, l’analyse, l’entrainement, l’imagination, la poésie, que sais-je – toutes les armes susceptibles de les aider à affronter la réalité extérieure, ce serait mieux, je crois. (Non, de grâce, ne laissez pas la Malveillance perpétuer l’amalgame : n’entendez décidemment pas, là encore, que, comme tels personnages « vus à la télé », le « patronat » que je représenterais demanderait ici aux ouvriers que, donc, vous seriez, de retourner au travail plutôt que de se révolter : le travail, chez nous, est la révolte !… Et ce ne sont pas, ici, toujours les mêmes pièces d’usine à la chaîne que vous agitez : c’est le monde tout entier).

Puisque la lettre que vous avez signée compare négativement le Conservatoire aux autres écoles, j’ai décidé – et ce que j’annonce ici prendra effet dès lundi, de m’inspirer de quelques unes d’entre elles parmi les plus réputées pour établir un additif au règlement du Conservatoire. 

 1) tous les retards seront sanctionnés. Au bout de trois retards, l’élève recevra un avertissement. Au bout de trois avertissements, il sera renvoyé.

 2) tout élève qui aura dégradé volontairement ou non, un accessoire, un costume, un appareil du Conservatoire, ou sali un local en y laissant des déchets, gobelets, papiers ou autre, sera sanctionné.

 3) je demande à tous les professeurs de procéder à une évaluation notée de leurs élèves, et d’établir, selon les modalités que leur permet leur « matière » un système de contrôle continu en trois parties, discipline/travail/ « talent », dont ils fourniront les notes au Conseil des Etudes.

Non, là je jouais le rôle d’un autre directeur. Vous ne m’avez pas cru, j’espère ?

Sachez maintenant, jeunes gens, qu’en ce monde où peuvent aussi s’en donner à cœur joie des lâchetés inattendues, où des ressentiments, des haines, des jalousies insoupçonnées peuvent sans cesse fleurir et refleurir, où les esthétiques (et il en va chaque fois, sous ce mot, d’une pensée du théâtre et donc du monde) aujourd’hui parfois des plus rances y vont de leur tentative de restauration, et où, si dérisoire soit-il, le Conservatoire reste un objet symbolique de la plus haute teneur, sachez, dis-je, que ce que vous avez fait, jeunes gens, est ou pervers (je ne le dis pas), ou irresponsable (je le dis). Croyez-vous vraiment que tel ou tel « dysfonctionnement » interne et lui seul intéresse soudain au plus haut point tel grand journal et tous les commentaires que l’affaire suscite sur le net ? 

Si vous n’avez pas été manipulés déjà – cela, je veux le croire  – si vous ne l’avez pas été, vous l’aurez été, soyez-en assurés. C’est que votre école est une école, mais elle n’est pas que cela. Parce qu’elle est en soi emblématique, certes ; mais surtout parce que – si fragilisé qu’il puisse être aujourd’hui dans nos sociétés – c’est tout le théâtre qui l’est. Oui, il en va, avec la manière dont on dirige votre école, d’une idée politique, théorico-politique, du théâtre et du monde. Et c’est cela, maintenant, qui va être attaqué. (Je me permets donc, si ce n’est pas là abuser de votre patience, de vous laisser (re)lire, en annexe, un extrait de quelques questions qui m’avaient été posées sur le Conservatoire il y a quelque trois ans ou plus. Elles ne sont, à peu de choses près, pas encore caduques aujourd’hui, et je n’ai pas le goût de la paraphrase).

Mes chers élèves, cette épreuve, finalement, m’enrichit – en creux, bien sûr – pour la suite (s’il y en a une !). Cette baisse soudaine en les sondages, que je veux tenir, moi, pour momentanée, j’imagine, au fond, qu’elle a dû être inscrite dans le projet depuis toujours.

Et puis, depuis votre lettre (et depuis qu’elle est publique), une merveilleuse plate-forme d’observation des comportements humains – bien au-delà de vous, mes jeunes amis, et de vos revendications ou plaintes – s’est offerte à moi. Il faudrait un nouveau Claudel pour les dire : « il y a l’âme adultère, il y a le vautour, le lâche, qui…, il y a aussi celui, le Juste, qui… ». 

Et si nous utilisions toute cette histoire, mes chers élèves, comme une magnifique (et très couteuse, j’en conviens) préparation pour quelque atelier Tchekhov ?

Résumons : je pense qu’une certaine sottise excitée, puis une certaine inconscience ou mollesse de beaucoup d’autres, mais aussi un manque de clarté de mon équipe et de moi-même, ont pu se donner la main et mettre le feu aux poudres. Depuis, d’autres s’en sont mêlés, et c’est maintenant tout le projet qu’il s’agit pour moi de défendre. 

Je vous ai déjà dit beaucoup. Et tant pis, justement, si tout cela n’est pas, de ma part, très « politique ». Dussé-je en perdre mon procès, comme dirait l’ami Alceste, je préfère, moi, rester votre professeur loyal que ressembler à tel petit flagorneur de jeunisme

Je vais vous parler, pour finir, de ma sexualité. Si, si. Je ne suis pas masochiste. Je ne suis pas … sadique non plus.

Je n’ai pas vocation à la dictature, non vraiment aucune, je crois que toute ma vie en atteste assez, il n’y a qu’à lire, si j’ose dire. Mais je n’ai pas non plus vocation à souffrir. J’ai joué de nombreux rôles dans ma vie, mais celui du paratonnerre qui cristallise magiquement tous les ressentiments ne me plait guère. Que la direction du Conservatoire soit un sacerdoce, soit, mais pas un chemin de croix. Ce n’est pas à vous que je vais l’apprendre – bien qu’aujourd’hui une telle phrase soit tellement éculée et paresseuse qu’il faudrait bien un jour la préciser elle aussi : le théâtre ne se fait pas sans plaisir. Oui, il y faut du plaisir. Un plaisir complexe, certes, mais un plaisir.

Je vais vous faire un aveu : je n’ai jamais eu, pour la direction d’école, le moindre penchant. Ce qui m’a poussé (après l’avoir refusé par trois fois) à vouloir m’occuper du Conservatoire n’a jamais été un intérêt personnel (un « poste », du « pouvoir »…), au contraire, je savais que ce serait plutôt au prix d’intérêts personnels (« carrière », image, temps, argent…). Ce fut, en vérité, pour des objectifs, redisons-le pour aller vite, théorico-politiques ; artistico-théorico-politiques. Et bien sûr un souci, aussi, des jeunes acteurs, parce que je les tiens pour « l’avenir » du théâtre en France. Et, symboliquement, pour l’avenir tout court (il ne me déplait pas de penser que – modestement – je travaille pour quand je serai mort).

Il me suffirait que de tout cela vous ne soyez pas, vous, convaincus, pour que ce soit une raison suffisante d’abandonner. Ce serait, je vous le redis, la pente plus « naturelle » de mes goûts, de mon rythme, de mon plaisir.

Si j’étais – ce qu’aux yeux de la Malveillance je ne laisse sans doute pas d’être (elle commence, celle-là, à m’agacer sérieusement, pas vous ?) – je ne sais quel petit roi assis sur son royaume, je trouverais toujours quelqu’un en moi – croyez-moi, croyez-moi, mes jeunes élèves – pour s’accorder avec vous sur l’idée qu’il faut, ce roi, lui « couper la tête ». La brutalité, certes, n’est pas souhaitable en soi, mais, après tout, c’est grâce aux Sans-culottes – qui ne devaient pas manifester tous les jours le plus haut raffinement – que nous vivons aujourd’hui dans une république, et une démocratie. Mais ne confondez pas tout : je ne suis pas un roi assis ; je suis un directeur en mouvement. Et des directeurs, il en faut, qui, prenant telle mesure, telle décision, ne peuvent que rarement éviter de mécontenter du même coup un petit nombre. Le bien de « tous » est rarement celui de chacun. Un autre directeur que votre serviteur – qui imposerait – sans aucun doute – un autre contenu – n’en en imposerait pas moins un, qui mécontenterait presque immanquablement un autre petit nombre. Allez-vous prendre l’habitude de dénoncer tous les directeurs au ministère ?

Je vous ai parlé là sans prudence. Sans calcul. Je n’ai pas mâché mes mots, bien qu’on me le conseillât. C’est ma manière. Oh, je pouvais en changer, rien ne m’eût été plus facile, croyez-moi. Mais je ne l’ai pas voulu. Cette manière m’est apparue comme la seule capable de me faire rester dignement votre directeur, peut-être (mais j’espère le contraire) pour fort peu de temps. Si elle ne vous avait pas convaincus, tant pis.

Tant pis pour qui ?… Ce n’est pas moi qui peux répondre.

Si, malgré tout ce que j’ai essayé de vous dire, et malgré le vœu que je fais que chacun – je dis bien chacun – réfléchisse seul, en son âme et conscience – je veux dire, pas, justement, comme le « mutin de Panurge » que je disais – si, donc, malgré cela, je n’étais pas parvenu à convaincre (je le répète, il s’agit de convaincre, non de vaincre) la grande majorité au moins d’entre vous – oh, la grande majorité seulement, j’en sais quelques uns qui ne se laisseraient jamais convaincre par rien ni personne (mais ce n’est pas à ceux-là que je m’adresse ici, même si, d’autre part, je le répète, je ne les exclus pas) – je vous le dis sans emphase, le plus sereinement du monde – et même si je suis aujourd’hui plus déterminé encore qu’auparavant (car je le vois ici-même, la tâche n’est pas finie) à rester votre « professeur », votre « protecteur », et votre « chef » momentané, c’est bien volontiers, alors, que je donnerais ma démission de directeur, et sans qu’on ait besoin de me menacer.

Jacques Derrida (c’est un grand philosophe disparu il y a peu), en ces dédicaces, ne disait jamais « à mon ami Untel » mais signait « son ami, Jacques ». C’est qu’il était sûr d’être, lui, l’ami d’Untel, mais ne pouvait affirmer qu’Untel fût son ami. Il ne faisait sans doute que… l’espérer.

Votre ami,

Daniel.

Annexe, 

extrait de la plaquette bilingue de présentation 

du Conservatoire national supérieur d’art dramatique, 2010.

Comment résumer ce qu’était votre projet, lorsque vous êtes devenu directeur du Conservatoire?

D.M. : Aïe… « Résumer » est une opération qui n’a rien à voir avec le théâtre, avec l’idée du théâtre, qui est, avant tout, expérience du temps, qui est de goûter la saveur du temps «réel» (c’est précisément l’irrésumable que vise une soirée au théâtre, il fallait y être, sinon rien, ou presque : il ne s’agit donc jamais de «gagner» du temps) ; quant au mot même de «projet», il me gêne de plus en plus, il me semble devenu si administratif! Un mot pour formulaires! Il me semble être tellement meurtri, d’avoir été annexé par les «communicants» et les marchands, d’être passé dans la langue des transactions et des tractations…

Mais bon. Disons que c’était un mélange ou plutôt un équilibre ; une tension entre tradition et modernité. Mais je pourrais aussi bien dire tradition seulement, tant il est vrai que c’est une tradition, au Conservatoire, d’être moderne ; d’avoir toujours su se laisser pénétrer, chaque fois, de la nouveauté, de l’inouï (comme Jouvet, Vitez…) au sein même d’enseignements plus établis, plus reconnaissables.

Un retour en même temps qu’une avancée. Un avancée par ce retour. Une avancée-retour.

Premièrement, donc, les cours d’«interprétation»: ils ne cessent jamais, ils sont le centre ; et les trois promotions y sont mélangées ; quinze garçons et quinze filles étant admis chaque année, et le «cursus» durant trois ans, quatre-vingt-dix élèves s’y côtoient en permanence (vous voyez que le Conservatoire n’est qu’une petite grande école). Six artistes en activité, six artistes singuliers du théâtre, sont, chacun, le maître d’une quinzaine d’entre eux.

Deuxièmement, les cours traditionnels de danse, de chant devaient, c’est évident, continuer, mais sous une autre appellation, et donc peut-être à travers une autre orientation: «danse-théâtre», «langue et voix», nos élèves n’ayant pas vocation à devenir des danseurs ou des chanteurs professionnels.

Troisièmement, aux disciplines d’entraînement à la maîtrise de soi qui existaient déjà (escrime, taï-chi) s’en sont adjointes d’autres (yoga, aïkido), parmi lesquelles les élèves peuvent choisir.

Quatrièmement, si d’anciennes «disciplines» de l’art dramatique perdurent (le jeu masqué), de nouvelles sont apparues:

Le jeu devant la caméra : si la « matrice » de l’art dramatique reste le théâtre, le cinéma et la télévision sont aussi, évidemment, des territoires privilégiés pour l’acteur ; et leurs lois leur sont propres : il reste urgent de les connaître et de les éprouver !

Le jeu en anglais : s’il est évident que l’anglais est la langue passe-partout de notre époque, que son étude, pour un acteur, est nécessaire au plus haut point, les cours, au Conservatoire, doivent, c’est la moindre des choses, se donner, eux aussi, en vue du théâtre ; « en » théâtre : jouer les grands textes anglais dans leur langue d’origine en donne une perception plus aiguë (et, plus généralement, jouer dans une autre langue enrichit la manière de jouer dans la nôtre, nous décolle d’elle, nous apprend à lire en elle…).

Les cours de «solitude» : un artiste, même au théâtre qui est un art collectif, un art où l’autre – qu’il soit le «personnage», le partenaire, le spectateur, l’auteur, etc. – est roi, est toujours, au fond, seul; il doit, aussi, apprendre à travailler sans se reposer sur quiconque, à entrer en scène en n’ayant rien à offrir… que lui. Et le travail du clown, ou du monologue, ou du sketch, ou du mime, ou de la prestidigitation, etc., peuvent également lui révéler telle part de lui qu’il ignorait lui-même…

L’atelier «histoires du théâtre» : connaître, quand on fait du théâtre, les grandes théories philosophiques, politiques, esthétiques, du théâtre, les grands arpenteurs de ces théories, est la moindre des politesses. Mais, là encore, non pas en écoutant des explications universitaires, si passionnantes soient-elles, mais en « faisant du théâtre », en préparant un spectacle où l’un joue Stanislavski, l’autre Meyerhold, l’autre Brecht, l’autre Jouvet, Diderot, Artaud, etc. Cet atelier vient ajouter aux cours théoriques déjà existants la dimension agie, agissante, des conceptions et des esthétiques.

L’atelier «comédie musicale»: il traverse tous les territoires de la musique et de la danse, qui pourraient appartenir à l’acteur, ou qui, dans le passé, ont pu lui appartenir (cabaret, caf’conc’, music-hall, etc.).

Deux spectacles sont désormais dirigés par deux élèves (et se sont ainsi ajoutés à deux autres, traditionnels et dirigés, eux, par des metteurs en scène invités).

Enfin, outre des rencontres avec de grands aînés ou sur des thèmes ponctuels portant sur des domaines liés à l’art de l’acteur, des cours «tournants» de «pensée du théâtre», où de grands philosophes, de grands psychanalystes, de grands écrivains, viennent travailler les grands concepts du théâtre avec les élèves. Dans l’entre-deux-guerres, et jusqu’après la guerre, il n’était pas rare de lire, dans telle ou telle revue, au milieu de signatures de philosophes, de sociologues, de grands écrivains, celle d’un artiste du théâtre : les acteurs ont, depuis, perdu ce territoire ; il serait bon qu’ils se préparent à le reprendre. Il serait bon qu’ils pratiquent la «pensée» de leur art.

Vous le voyez, tout le «projet», donc, a consisté à affirmer… le théâtre ; qu’il fallait faire du théâtre.

Quelle est la tradition pédagogique du Conservatoire ?

Une quinzaine de disciples – toutes années d’études confondues – autour d’un maître. Ce qui est à l’opposé des systèmes fondés sur la «progressivité» de l’Éducation nationale, par exemple. Si ces mots de « disciples » et de «maître» vous paraissent trop archaïques, surannés, ou peu démocratiques, remplacez-les par ceux d’élèves et de professeur, qui sont de beaux mots aussi (mais pas, de grâce, par ceux d’étudiants et d’enseignant, nous sommes au théâtre!).

Je trouve cela magnifique. C’est quelque chose d’archaïque, mais qui, paradoxalement, préfigure une grande modernité. L’«archaïsme» du théâtre, d’ailleurs, a souvent été «en avance»: Charles Dullin, dans ses cours, avait «inventé» les «travaux pratiques» bien avant les revendications des étudiants de mai 1968 qui réclamaient la fin des cours magistraux! Et André Malraux n’a, au fond, fait qu’appliquer, dans sa politique culturelle de décentralisation, les idées des metteurs en scène Jean Dasté ou Hubert Gignoux, et, avant eux, de Firmin Gémier et d’autres… Car c’est souvent depuis les milieux artistiques, milieux de francs-tireurs difficilement contrôlables, d’utopistes de terrain, d’«idéalistes matérialistes», que germent les idées les plus fortes…

Ce principe, qui tenait depuis le XVIIIe siècle, avait été quelque peu oublié ces dernières années: je l’ai remis à l’honneur.

Le principe, donc, au Conservatoire : puisqu’après tout Jouvet, par exemple, n’a jamais enseigné que «le Jouvet», et Vitez «le Vitez», on entre dans la classe d’un tel, et on avance dans son sillage pendant trois années (en cas d’incompatibilité, bien sûr, on peut le quitter pour un autre, le plaisir reste la condition sine qua non). Il est différent, vous le voyez, de celui de la majorité des écoles françaises de théâtre dont l’enseignement est généralement fondé sur une suite de stages ou d’ateliers ponctuels.

Comment enseigner ce qui ne s’apprend pas, telle est la question. En fait, le Conservatoire est bien plus qu’une école, c’est une fabrique d’aurores, une machine à faire se lever les soleils.