« La légende de Zadou » racontée par José Alpha

— par Selim Lander —

En prévision de ces nouvelles représentations de La Légende de Zadou (après celle du mois de juillet dernier dans le cadre du festival de Fort-de-France), les lecteurs de Madinin’Art ont eu le privilège de lire sous la plume de Jean Samblé une analyse fouillée de la saga de René-Louis-Gaétan Beauregard, « parabole sombre sur les rapports de force qui régissaient alors la Martinique » (1). Alors, c’est-à-dire dans les années 1940, plus précisément de 1942 à 1949, où se situent la fuite et la traque de Beauregard, contremaître d’habitation dans la localité du Marin, après qu’il ait tenté d’assassiner sa femme et mis le feu à sa maison. Dans la version de l’histoire retenue par José Alpha, Beauregard est convaincu que sa femme le trompait avec un béké. Son sentiment de trahison est exacerbé par le ressentiment envers la classe dominante, blanche de surcroît. Comme chez Jean Samblé, sa révolte participerait donc d’une lutte des races et des classes que l’on dirait aujourd’hui « décoloniale ».

Ce Beauregard-là est un beau sujet pour le roman ou le théâtre et l’on comprend que José Alpha ait voulu le raconter dans un texte où le créole domine le français, choix judicieux pour restituer une histoire se déroulant dans la campagne martiniquaise à une époque où le créole était la langue vernaculaire, même si cela réduit le public potentiel au-delà des Antilles et au risque de décevoir, à la Martinique même, les spectateurs non créolophones.

Toujours est-il que les scènes inaugurales, dans la plantation, en particulier celles qui opposent Beauregard à un couple d’ouvriers qui estiment qu’on leur en demande trop, sont sans doute les plus réussies : volens nolens nous nous identifions à ces travailleurs – d’autant que la paysanne, interprétée par Anne-Alex Psyché, a une belle faconde – et le personnage volcanique de Beauregard, en regard, apparaît d’emblée assez peu sympathique.

C’est d’ailleurs, semble-t-il, un parti pris de la pièce que de le montrer ainsi. S’il fut peu apprécié en effet par une partie de la population qui subissait ses rapines, on peut le voir encore comme un anti-héros jouissant d’une certaine popularité, ce qui n’apparaît pas vraiment dans La Légende de Zadou.

L’intervention de la magie en la personne d’une « sorcière », interprétée par Suzy Singa, comédienne chevronnée, accompagnée d’une figure tutélaire représentée par une marionnette géante dont l’apparition dans l’espace réduit du plateau du Théâtre municipal ne manque pas d’impressionner, est un autre temps fort de la pièce. Pure création de l’auteur, ce personnage va soigner un Beauregard blessé au cours de la traque, avant d’exercer sur lui son emprise.

Le rôle titre a été confié à Ahmed Diakité, un comédie de forte stature, ce qui convient à un personnage d’autorité qui, de fait, apparaît plus convaincant dans sa première incarnation, celle du contremaître, que dans celle du fuyard et l’on peut aussi penser que la scène où « Zadou » se retrouve face à face avec un tirailleur lancé à sa recherche n’est pas des plus réussies.

On retiendra les meilleurs moments de cette pièce qui présente en outre l’avantage de sortir de l’oubli une personnalité comme il y en a peu dans l’histoire de la Martinique.

(1) https://www.madinin-art.net/la-longue-errance-de-rene-beauregard/

La Légende de Zadou. Texte et M.E.S. de José Alpha. Avec Ahmed Diakité, Zadou-Beauregard ; Christian Charles, Béké, Misiyé Labé ; Suzy Singa, Cécilotte ; Gladys Arnaud, Pauline ; Erick Bonnegrace : Sogo Sogou ; Anne-Alex Psyché, Loulouz. Marionnette, Isabelle Pin. Fort-de-France, Théâtre municipal, 11 au 13 décembre 2025.

Photos Selim Lander