« La guerre n’a pas un visage de femme », m.e.s. de Julie Deliquet

— Par Jandira Bauer—

« La guerre n’a pas un visage de femme », titre de l’ouvrage de Svetlana ALEXIEVITCH publié en 1985 en URSS (censuré pendant plusieurs années), constitue d’emblée un acte de subversion littéraire et mémorielle.

L’auteure y dénonce à la fois une invisibilisation historique et un stéréotype profondément enraciné dans les représentations collectives : celui d’une guerre fondamentalement masculine. Ce titre fonctionne donc comme un renversement symbolique destiné à interroger non seulement le statut des femmes dans les conflits armés, mais aussi la manière dont les récits de guerre sont construits, transmis et légitimés dans les discours.

La négation paradoxale : La guerre n’a pas un visage de femme, suggère qu’elle (la guerre – nom féminin) devrait ou quelle pourrait en avoir un, et qu’il existe une dimension féminine occultée du conflit. Dans l’Histoire, le récit de guerre a longtemps été monopolisé par une écriture virile, épique ou tragique, centrée sur l’héroïsme, le commandement, le sacrifice et la victoire… Or, en relevant la parole de femmes ayant participé activement à la Seconde guerre mondiale — infirmières, tireuses d’élite, mécaniciennes, télégraphistes ou soldates –Alexievitch reconfigure la topographie de la mémoire : elle rompt avec une conception monolithique de l’Histoire militaire, pour ouvrir un espace discursif où l’émotion, la subjectivité, la mémoire intime ont droit de citer.

En affirmant que la guerre n’a pas de visage féminin, la Société nie la légitimité des femmes à dire la guerre, à l’avoir vécue, et à être reconnues comme actrices de l’Histoire. Le propos d’Alexievitch est donc à la fois littéraire, éthique et politique : Il s’agit de rendre justice à une mémoire marginalisée, et de nous livrer un témoignage plus inclusif, plus incarné, plus authentique…

Il faut donc une mise en scène à la hauteur de l’œuvre, un metteur en scène chevronné.

Hélas, Un Décor ne fait pas une mise en scène… Il arrive qu’un texte soulève une émotion intense, tant il est fort, chargé d’Histoire, de douleurs, de dignité et de vérités. C’est le cas : un texte terrible et beau, qui donne voix aux femmes marquées à jamais par la guerre. Une force rare, puissante, qui parle du corps abîmé, de la mémoire fracturée, du silence imposé. Le choix de la Metteure en scène d’installer neuf femmes dans un décor domestique, profusion d’accessoires inutiles, un intérieur étouffant, comme un entrepôt d’objets décatis, contredit frontalement le propos. Comment croire à l’atrocité de la guerre ? (en guerre nous y sommes encore aujourd’hui) Comment recevoir le poids des témoignages des femmes ignorées, violées, déplacées, détruites ? Les comédiennes livrent leur parole dans cet espace étriqué, trop ordinaire. Cette prétendue ambiance scénographique « lourdingue » leur impose une autre guerre, celle d’habiter le plateau, d’incarner, et de jouer le jeu, mais elles restent peu crédibles, écrasées par la scénographie. Le drame ne vient pas. La sidération émotionnelle ne vient pas. Le texte si intense flotte au-dessus de la domestication du trauma sans jamais s’y ancrer, sans jamais dépasser le quatrième mur, sans jamais être vrai.

Un décor ne fait pas la mise en scène. Non, il ne fait pas. Il peut aller à rebours du texte, vers une lecture erronée, ou pire, vers une forme d’indifférence. Il aurait pourtant suffi de peu. Du nu ouvert, du symbolique, de quelque chose qui laisse place au silence, au vertige, à l’imaginaire. Et c’est hélas, ce qui se joue : une dissonance entre le fond et la forme entre la parole et l’espace, qui affaiblit un texte pourtant bouleversant.

On applaudit l’Auteure et le courage des comédiennes.

Jandira Bauer

PRINTEMPS DES COMEDIENS Domaine d’O – Montpellier

« La Guerre n’a pas un visage de femme », d’après le livre de Svetlana Alexievitch, m.e.s. Julie Deliquet

30 mai >1 juin, Festival Le Printemps des Comédiens

Cité européenne du théâtre-domaine d’O, Montepellier

Avec : Julie AndréAstrid BayihaÉvelyne DidiMarina KeltchewskyOdja LlorcaMarie PayenAmandine PudloAgnès RamyBlanche RipocheHélène Viviès

Traduction : Galia AckermanPaul Lequesne
Version scénique : Julie AndréJulie DeliquetFlorence Seyvos
Collaboration artistique : Pascale FournierAnnabelle Simon
Scénographie : Julie DeliquetZoé Pautet
Lumière : Vyara Stefanova
Costumes : Julie Scobeltzine
Régie générale : Pascal Gallepe
Coiffures et perruques : Jean-Sébastien Merle
Assistanat aux costumes : Annamaria Di Mambro
Réalisation des costumes : Marion Duvinage
Construction du décor : Atelier du Théâtre Gérard Philipecentre dramatique national de Saint-Denis
Régie plateau : Bertrand Sombsthay
Régie lumière : Sharron Printz
Régie son : Vincent Langlais
Accessoiriste : Élise Vasseur
Habillage : Nelly Geyres

La guerre n’a pas un visage de femme est publié aux éditions J’ai lu.