Le cas de Jacques Roumain
Né parmi les rideaux de soie et les meubles lourds de Port-au-Prince, Jacques Roumain choisit la poussière, choisit le feu, choisit la lutte.
Fils d’une lignée fière — petit-fils de Tancrède Auguste, président d’Haïti pour un souffle d’histoire — Roumain refusa d’être un prince parmi les ruines.
Il devint l’annonciateur, le semeur d’orages. Poète, homme politique, marxiste avant que le mot ne trouve refuge sur les lèvres haïtiennes. Il écrivit avec une main noircie par le charbon de l’injustice : Gouverneurs de la Rosée, où la terre assoiffée rêve de sources cachées, traduit par le bluesman Langston Hughes, et La Montagne Ensorcelée, où les forêts parlent en langues de douleur.
Frankétienne l’a dit, et nous le savons : “la poésie de Roumain brûle d’un feu révolutionnaire ; l’éclat de ses images déchire le ciel.”
Il étudia à Saint-Louis de Gonzague — puis traversa les océans, but la lie amère de l’Europe — Belgique, France, Espagne — témoinl aux yeux vifs des sagas d’hommes broyés sous les empires.
Et quand sa tête fut faite — une tête bien faite — il revint en Haïti, revenant tel un ouragan sur les tropiques.
Avec Émile Roumer, Thoby-Marcelin, Carl Brouard, Antonio Vieux, il fonda “ La Revue Indigène” , cri d’armes contre la botte pesante de l’occupant.
Les mots de ces pages n’étaient pas des ornements. Ils étaient des armes. Il combattit, à dents, à langue, à sang, contre l’occupation américaine.
Et lorsque les Marines s’enfuirent, Roumain planta une autre semence : le Parti Communiste Haïtien.
Son camarade cubain, Jacques Guillén, témoigna :
« L’attitude de Roumain était inflexible face au colosse nord-américain qui tenait notre peuple sous le joug du silence. »
Mais les traîtres en beaux habits en Haïti redoutaient le bruit de ses pas sur la terre haïtienne.
Le président Sténio Vincent l’exila — tenta d’ensevelir la semence en terre étrangère. (France)
À Paris, Roumain étudia l’ethnologie, cherchant les rivières ancestrales qui coulent sous notre peau.
À l’élection d’Élie Lescot, il revint , et fonda l’Institut d’Ethnologie, un temple pour l’âme battue d’Haïti.
Mais Lescot, craignant le lion endormi, lui offrit une cage dorée au Mexique , une ambassade, un exil doré.
Là, en terre étrangère, naquit Gouverneurs de la Rosée — né comme un enfant destiné à venger la souffrance d’une mère.
Il revint, revint dans son pays natal brûlant encore de fièvre patriotique, et portant dans sa poitrine les tambours antiques, les rêves jamais brisés de Dessalines et de Petion.
Cependant, « Coupé Têt, Boule Kay » déferla sur la terre, mais ne l’atteignit pas.
Il fut épargné — non par sa lutte, mais par le bouclier de sa classe, par le poids d’un nom ancien. Néanmoins, il fut exilé trois fois.
Pourtant, les blessures profondes d’Haïti, les rêves brisés de son peuple, enracinèrent en lui une immense douleur.
Jacques Roumain ne mourut pas sous la violence ;
il mourut jeune, épuisé par la guerre silencieuse qui brûlait en lui. Il mourut à trente-deux ans, comme l’oiseau épine, dont le chant le plus doux s’élève juste avant que l’épine ne perce son cœur.
Le chant résonne encore.
