— Par Jean Samblé —
Présentée comme une grande réflexion nationale pour repenser les rythmes de vie des enfants, la Convention citoyenne des temps de l’enfant entend rompre avec un modèle jugé épuisant pour les plus jeunes. Pendant six mois, 133 citoyens tirés au sort ont auditionné des experts, débattu, puis formulé 20 propositions qui, sur le papier, visent à rééquilibrer les temps scolaires, périscolaires et familiaux au service du bien-être de l’enfant.
Mais derrière la bonne intention se dessine un projet dont les angles morts sont nombreux, et dont les contradictions – parfois flagrantes – fragilisent la portée réelle.
Une vision séduisante… mais simpliste des rythmes de l’enfant
La Convention dénonce une organisation du temps largement construite autour des adultes — contraintes professionnelles, exigences économiques, fragmentation des prises en charge. Le diagnostic est juste : les enfants manquent de temps libre, les journées sont longues, les écrans envahissants.
Pourtant, les solutions avancées relèvent souvent du vœu pieux ou de recettes déjà testées — et abandonnées — comme la semaine de cinq jours à l’école primaire. Les citoyens misent sur une répartition matin / après-midi, théorie le matin, « pratiques » l’après-midi, comme si une simple redistribution mécanique pouvait résoudre des problématiques liées aux inégalités sociales, aux moyens humains, ou au fonctionnement réel des établissements.
La logique semble oublier que l’école n’est pas un puzzle que l’on réassemble selon une chronobiologie idéale : c’est une institution complexe, contrainte par des locaux, des emplois du temps, des enseignants spécialisés, des financements, des réalités territoriales.
Un modèle de journée qui risque d’accentuer les inégalités
L’idée d’une après-midi consacrée aux activités pratiques, culturelles, techniques ou sportives peut sembler attractive. Mais elle repose massivement sur l’implication d’associations locales et de collectivités territoriales déjà financièrement fragilisées.
Le risque est clair : une externalisation de pans entiers des enseignements disciplinaires au profit d’acteurs locaux inégaux selon les territoires. Dans les communes les mieux dotées, les élèves profiteraient d’ateliers riches, variés, encadrés par des professionnels. Ailleurs, les activités seraient réduites, aléatoires, voire inexistantes.
Autrement dit : une école à deux vitesses, que la Convention prétend précisément vouloir combattre.
Cette séparation artificielle entre théorie et pratique, en plus d’être pédagogiquement discutable, menace la place de disciplines essentielles comme les arts plastiques, l’éducation musicale ou l’EPS – qui participent à la culture commune nationale et ne doivent pas devenir optionnelles selon les contextes locaux.
Des propositions organisationnelles irréalistes
Commencer les cours à 9h, instaurer des séquences de 45 minutes, maintenir cinq jours d’école tout en allégeant les journées, renforcer la pause méridienne, développer des espaces polyvalents : l’ensemble compose une vision séduisante, mais déconnectée des réalités matérielles.
Chaque élément, pris séparément, peut sembler pertinent ; mis bout à bout, le dispositif devient inapplicable. On voit mal comment concilier :
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un début tardif des cours,
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des matinées uniquement théoriques,
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une pause méridienne allongée,
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des après-midis pratiques,
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et une fin de journée à 15h30 pour les activités extrascolaires…
…sans allonger massivement les amplitudes d’ouverture des établissements, démultiplier les transports scolaires, ou réduire encore le temps réellement consacré aux apprentissages disciplinaires.
Les enseignants le disent déjà : des séances de 45 minutes, c’est à peine 40 minutes de travail effectif. Un format de « zapping » pédagogique, contraire aux besoins des élèves les plus fragiles, qui ont besoin de temps long pour entrer dans les apprentissages.
Une Convention citoyenne qui ignore partiellement le terrain
Comme pour les précédentes conventions (climat, fin de vie), l’exercice pose la même question : peut-on réinventer une politique publique aussi complexe que l’école sans s’appuyer pleinement sur ceux qui y travaillent au quotidien ?
La participation citoyenne est enrichissante, certes, mais elle ne remplace ni l’expertise professionnelle ni la connaissance intime des contraintes scolaires. Or plusieurs propositions semblent précisément découler d’une vision extérieure de l’école, parfois idéaliste, souvent déconnectée.
La Convention affirme vouloir réduire les inégalités. Pourtant, certaines mesures proposées — en particulier la décentralisation implicite de l’organisation de l’après-midi — conduiraient à l’effet inverse.
Un gouvernement attentiste, un rapport qui risque de rejoindre les précédents
Comme souvent, la réception politique reste prudente. On félicite la démarche, on salue « la trajectoire », mais sans engagement ferme. L’histoire récente a montré que les conventions citoyennes pouvaient facilement être instrumentalisées par l’exécutif avant d’être en partie abandonnées.
La crainte est que ce rapport rejoigne les documents déjà produits : inspirants sur la forme, impuissants sur le fond.
Une ambition louable, mais un modèle encore trop fragile
La Convention citoyenne des temps de l’enfant pose un diagnostic juste et nécessaire. Elle rappelle l’urgence de penser le bien-être des enfants autrement que sous l’angle de la performance et de l’efficacité économique.
Mais ses recommandations pèchent souvent par naïveté, méconnaissance des réalités des établissements ou absence de solutions concrètes de financement. Elle dessine un horizon désirable, mais néglige les chemins pour y parvenir.
Si l’on veut véritablement transformer le temps de l’enfant, il faudra une approche autrement plus robuste : des moyens humains, une refonte des effectifs, une rénovation des bâtiments, une politique nationale d’éducation cohérente – et une réelle écoute de l’ensemble de la communauté éducative.
Sans cela, cette Convention risque de rester ce qu’elle est pour l’instant : un exercice sincère, mais incapable de produire le changement structurel qu’elle appelle de ses vœux.
