« Kaligula », d’après Albert Camus, m.e.s. Patrice Le Namouric

26 avril à 19h30 Tropiques-Atrium
New Babylon, 2048. Un jeune empereur accédant à un pouvoir sans limites s’en sert sans limites pour sauver son monde.
Inspiré par les mythologies africaines caribéennes — à l’instar d’œuvres comme Le meilleur des mondes (Aldous Huxley) ou 1984 (George Orwell) —, l’univers dystopique de Kaligula questionne le devenir de la Terre, en mettant en lumière les tendances totalitaires et cataclysmiques d’une rationalité économique et technologique poursuivant ses propres fi ns au détriment de la vie, et de son sens même.
Yann Gaël : Kaligula / Daniely Francisque : Kaysonia / Guillaume Ruffi n : Hélikon / Julien Béramis : Chipion / Patrice Le Namouric : Kéréa / Et toute la distribution : Sénektous, Métélous, Lépidous, Oktavious, Patrikious, Méréya, Moukious, Prèmié gad, Dézienm gad, Prèmié sèvit, Dézienm sèvit, Twazienm sèvit, Madanm Moukious, Prèmié powet, Dézienm
powet, Twazienm powet, Katrienm powet, Senkienm powet, Sizienm powet

Inspirée par les mythologies africaines, l’histoire se déroule ici en 2048 dans la Cité flottante de New Babylone, au dessus d’une Terre recouverte par les eaux, constellée d’une multitude d’archipels et de ville-plateformes reliés les uns aux autres par de gigantesques tubes sous-marins.
Le jeune empereur Caligula accède à un pouvoir sans limites et s’en sert sans limites pour défaire le monde d’un cybercapital qui nie, détruit, de manière concrète et follement cynique, les hommes et la terre elle-même. Cet univers dystopique, tel celui d’Aldous Huxley dans Le meilleur des mondes ou de George Orwell dans 1984, actualise cette pièce hybride – à la fois tragique, comique et poétique – et interroge avec acuité notre monde. Caligula montre, peut-être plus qu’une autre des pièces de Camus, les tendances totalitaires d’une rationalité folle poursuivant ses propres fins au détriment de la vie, et de son sens même.

Patrice Le Namouric :

Du SERMAC, au Théâtre du Mouvement à Montreuil, il se forme pour croiser les imaginaires du théâtre et du cinéma. Il hybride le slam, l’opéra et s’initie à l’écriture de scénarios. Passion qu’il transmet à des lycéens dans le cadre d’un projet de la Cinémathèque Française. Sa mise en scène de Cyclones, Top 10 du Festival Off d’Avignon 2017, marque un tournant dans son travail et l’encourage à explorer davantage les mondes afro-diasporiques. Il co-dirige la Cie TRACK.*

Lire aussi  à propos de la version précédente de Patrice Le Namouric: Caligula : de l’attente… (madinin-art.net)

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« Caligula » d’Albert Camus

Caligula est une pièce de théâtre en 4 actes écrite par Albert Camus, entamée en 1938 (le premier manuscrit date de 1939), et publiée pour la première fois en mai 1944 aux éditions Gallimard. La pièce fera par la suite l’objet de nombreuses retouches. Elle fait partie, avec l’Étranger (roman, 1942) et le Mythe de Sisyphe (essai, 1942) de ce que l’auteur a appelé le « cycle de l’absurde ». Certains critiques perçurent la pièce comme existentialiste, courant philosophique auquel Camus se défendit cependant toujours d’appartenir.

Elle met en scène Caligula, empereur romain tyrannique qui agit avec démesure, en quête d’impossible.

Sources historiques de la pièce

Dans le livre IV de son ouvrage Vie des douze Césars, l’historien latin Suétone retrace la vie et les années de règne de Caius César, surnommé « Caligula » à cause d’une plaisanterie militaire. Il est le fils de Germanicus et d’Agrippine l’Aînée, arrière-petit-fils de l’empereur Auguste et petit-neveu de l’empereur Tibère, à qui il succède, sans doute après avoir participé à son assassinat. Une fois empereur, il semble que Caligula a été dans un premier temps aimé de son peuple, avant de devenir tyrannique et lunatique, et d’être assassiné au bout de trois ans, dix mois et huit jours. Suétone écrit : « On pourrait avec raison imputer à une maladie mentale les vices les plus opposés du caractère de Caligula » mais cette version de l’« empereur fou » semble être infirmée par plusieurs auteurs modernes1 qui évoquent un empoisonnement possible, peut-être par Locuste car de nombreux poisons avaient pour premier effet des troubles similaires à une maladie mentale.

La première ébauche de Caligula date de 1938, à la suite de la lecture de l’ouvrage de Suétone par Camus. Ce dernier s’inspire de la biographie de l’empereur Caligula, et construit sa pièce à partir de faits historiques évoqués par Suétone : Caligula fuyant Rome après la mort de sa sœur et amante Drusilla (acte I, scène 1), Caligula faisant la cour à la lune (acte I, scène 4), Caligula se déguisant en Vénus (acte III, scène 1), Caligula ignorant les complots dont il fait l’objet (acte III, scène 6) ou encore Caligula agonisant, criant qu’il vit encore (acte IV, scène 14).

Deux modifications majeures sont effectuées par Camus : il atténue la laideur du personnage, pourtant soulignée par Suétone, et il atténue la froide cruauté de Caligula, sans doute pour que le lecteur-spectateur puisse adhérer à la quête menée par le personnage éponyme, et à la pièce elle-même.

Thème
Voici le thème de la pièce présenté par l’auteur lui-même (dans l’édition américaine de Caligula and Three Other Plays, en 1957) :

« Caligula, prince relativement aimable jusque-là, s’aperçoit à la mort de Drusilla, sa sœur et sa maîtresse, que le monde tel qu’il va n’est pas satisfaisant. Dès lors, obsédé d’impossible, empoisonné de mépris et d’horreur, il tente d’exercer, par le meurtre et la perversion systématique de toutes les valeurs, une liberté dont il découvrira pour finir qu’elle n’est pas la bonne. Il récuse l’amitié et l’amour, la simple solidarité humaine, le bien et le mal. Il prend au mot ceux qui l’entourent, il les force à la logique, il nivelle tout autour de lui par la force de son refus et par la rage de destruction où l’entraîne sa passion de vivre.
Mais, si sa vérité est de se révolter contre le destin, son erreur est de nier les hommes. On ne peut tout détruire sans se détruire soi-même. C’est pourquoi Caligula dépeuple le monde autour de lui et, fidèle à sa logique, fait ce qu’il faut pour armer contre lui ceux qui finiront par le tuer. Caligula est l’histoire d’un suicide supérieur. C’est l’histoire de la plus humaine et de la plus tragique des erreurs. Infidèle à l’homme, par fidélité à lui-même, Caligula consent à mourir pour avoir compris qu’aucun être ne peut se sauver tout seul et qu’on ne peut être libre contre les autres hommes. »
Il est cependant utile de remarquer que même à l’heure de sa mort, Caligula niera toujours celle-ci, d’une certaine manière : il s’en rira, s’en « moquera », et hurlera dans ses derniers instants « À l’Histoire, Caligula ! À l’Histoire ! ». C’est à cet instant que la fin du tyran revêtira toute sa dimension ironique et tragique.

 

« Caligula »  la pièce d’Albert Camus

Acte /. — Caligula a quitté Rome depuis la mort de sa sœur et maîtresse Drusilla et cette disparition trouble les patriciens (se. 1 et 2). De retour, Caligula révèle à son confident Hélicon qu’il était parti chercher la lune (3, 4). Caesonia, la « vieille maîtresse », et le jeune Scipion sont impatients de revoir l’empereur (5, 6). Caligula expose son plan : exécuter les patriciens les plus riches et s’emparer de leur fortune (7, 8, 9). Il congédie Cherea et Scipion (10), puis confie ses rêves les plus fous à Cœsonia (11).

Acte Il. — Plusieurs patriciens expriment entre eux leur sentiment de révolte contre Caligula (1). Cherea se déclare à leurs côtés, mais au nom de raisons différentes. Il veut pousser au bout de sa logique la folie de l’empereur (2). Caligula ridiculise et brutalise les patriciens (3, 4, 5), puis ordonne qu’on organise la famine parmi le peuple (6, 7, 8, 9). Il exécute Mereia, soupçonné de l’avoir soupçonné (10, 11). Scipion, dont le père fut naguère exécuté par Caligula, confie à Cœsonia son dessein de tuer l’empereur (12). Seul avec lui, il se laisse pourtant attendrir, puis lui déclare l’horreur qu’il lui inspire (13).

Acte III. — Caligula se fait adorer en Vénus (1). Il explique à Scipion qu’il n’est pas un tyran : il s’est seulement, par goût de l’artdramatique, changé en une figure du destin (2). Hélicon tente de l’entretenir du complot qui menace sa vie, mais Caligula s’entête à ne parler que de la lune (3). Le « vieux patricien », à son tour, lui révèle par lâcheté l’existence du complot, mais Caligula tourne son aveu à sa confusion (4). Cherea lui annonce tranquillement qu’il veut le tuer parce qu’il le juge nuisible; sous ses yeux, Caligula détruit la preuve matérielle du complot (5, 6).

Acte IV. — Scipion révèle à Cherea qu’il ne pourra participer au complot contre Caligula, parce qu’une même flamme leur brûle le cœur (1, 2). Deux des patriciens, convoqués par Caligula, croient leur dernière heure venue, mais l’empereur les a seulement conviés à communier dans une émotion artistique (3, 4, 5). Hélicon revendique auprès de Cherea sa fidélité à l’empereur (6). Pour éprouver les réactions de son entourage, Caligula fait annoncer son agonie, puis sa mort (7, 8, 9, 10). Pour Cœsonia, ce sont ceux qui manquent d’âme qui ne peuvent supporter que l’empereur en ait trop (11). Un concours de poésie, tourné au grotesque par l’empereur, permet pourtant à Scipion d’exprimer son ressentiment (12). Troublé, Caligula, demeuré seul avec Cœsonia, entend ses paroles de tendresse avant de l’étrangler, puis de constater que « tuer n’est pas une solution » (13). Seul face à son miroir, Caligula attend, malgré l’ultime mise en garde d’Hélicon, les coups que viennent enfin lui porter les conjurés