Jimmy Cliff, lumière mondiale du reggae, s’est éteint à 81 ans

Jimmy Cliff, né James Chambers le 30 juillet 1944 à Somerton, en Jamaïque, s’est éteint à l’âge de 81 ans des suites d’une pneumonie survenue après une crise convulsive. Son décès, annoncé par son épouse Latifa Chambers le 24 novembre, marque la disparition de l’un des derniers géants fondateurs du reggae. Dans un message empreint d’émotion, elle a exprimé sa gratitude envers « les fans, la famille, les amis, les artistes et collègues » qui ont accompagné l’artiste tout au long de sa vie, appelant également au respect de la vie privée de la famille dans cette épreuve.

Un pionnier du reggae et passeur de frontières

Figure majeure de la musique jamaïcaine depuis plus d’un demi-siècle, Jimmy Cliff incarne l’une des trajectoires les plus singulières et les plus influentes du reggae moderne. Envoyé très jeune à Kingston, il y enregistre en 1961 son premier titre, Dearest Beverley, avant de signer, dès 1962, un premier 45 tours dans un pays que le ska, puis le rocksteady et le reggae portent vers une effervescence artistique nouvelle.

Sa carrière internationale s’amorce dès la fin des années 1960, notamment avec Vietnam, chanson devenue un hymne pour les opposants à la guerre, et avec son succès au Brésil en 1968. Très tôt, il ouvre des voies que d’autres emprunteront ensuite : il est l’un des premiers Jamaïcains à se produire massivement hors de l’île et à signer avec une grande maison de disques, pavant la route à des figures telles que Bob Marley, qu’il avait d’ailleurs recommandé pour une première séance d’enregistrement au début des années 1960.

Le cinéma, révélateur d’un symbole mondial

En 1972, The Harder They Come bouleverse sa vie et celle du reggae. Jimmy Cliff y tient le rôle principal et interprète plusieurs titres devenus mythiques, dont The Harder They Come, Many Rivers to Cross, Sitting in Limbo ou You Can Get It If You Really Want. Le film devient culte et joue un rôle majeur dans la diffusion du reggae aux États-Unis et en Europe. Grâce à lui, Cliff s’impose comme ambassadeur culturel de la Jamaïque, artiste universel dont la voix énergique devient un repère de la musique mondiale.

Un lien profond avec l’Afrique

Parmi les chapitres les plus marquants de son parcours figure sa relation exceptionnelle avec l’Afrique. Lorsqu’il y débarque pour la première fois en 1974, l’accueil enthousiaste qui lui est réservé au Nigeria scelle une histoire qui durera toute sa vie. Premier reggaeman à se produire sur le continent, il noue des liens solides avec ses artistes, de Fela Kuti à Cheick Tidiane Seck, et traverse pays après pays — Sénégal, Gambie, Sierra Leone, Zaïre, Zambie, Maghreb et bien d’autres —, faisant du continent un pilier de son identité artistique et spirituelle.

Ses tournées, parfois marquées par des épisodes rocambolesques — comme son arrestation brève au Nigeria en 1974 sur fond de rivalités locales — ne diminuent jamais son attachement profond à l’Afrique, qu’il qualifie volontiers de terre de ses ancêtres. Sur scène comme dans ses albums, il célèbre le continent, n’hésitant pas à dénoncer les injustices, comme dans Remake the World censuré par le régime sud-africain en 1977.

Son engagement culmine lors de concerts historiques, notamment à Soweto en 1980, où il se présente en treillis militaire devant près de 20 000 personnes, chantant Majority Rule comme un appel clair à la libération et à la justice. Sa musique se nourrira durablement de ses voyages, de Meeting in Afrika à l’album Refugees (2022), dont la pochette le représente en pharaon.

Une voix planétaire

De Reggae Night à I Can See Clearly Now, en passant par Hakuna Matata pour Le Roi Lion, Jimmy Cliff aura su traverser les générations et les frontières, offrant un équilibre rare entre profondeur sociale et irrésistible vitalité musicale. Sa reprise de No Woman No Cry est devenue l’une des plus appréciées en Afrique, et ses albums, plus de quarante au total, ont touché un public immense.

Durant les années 1990, il explore un éventail plus pop, retrouve les sommets avec I Can See Clearly Now, collabore avec Bernard Lavilliers (Melody Tempo Harmony, 1994), puis revient en 2004 avec l’album de duos Black Magic. Quatre fois lauréat de Grammy Awards — notamment pour Cliff Hanger (1986) et Rebirth (2013) —, il est intronisé au Rock & Roll Hall of Fame en 2010, reconnaissance ultime de son influence mondiale.

Une quête spirituelle et humaine

Jimmy Cliff a toujours gardé une relation profonde avec les questions spirituelles et identitaires. Converti à l’islam dans les années 1970, sans jamais renier son héritage rastafari ni cesser d’explorer les horizons religieux, il a construit une œuvre et une vie marquées par la quête, l’ouverture, l’humanisme. Cette sensibilité s’exprime dans des titres qui portent l’idée de résistance, de dignité et d’espoir — la grammaire intime du reggae.

Un héritage immense

Artiste engagé, voyageur infatigable, pionnier visionnaire, Jimmy Cliff laisse une empreinte indélébile sur la musique mondiale. Son œuvre, reprise par des générations de musiciens et admirée sur tous les continents, aura servi de passerelle entre la Jamaïque, l’Afrique et le reste du monde. Pour des millions de fans, sa voix lumineuse restera l’écho d’un reggae universel, porteur de liberté.

Entouré de son épouse Latifa et de leurs enfants, Lilty et Aken, il s’éteint en laissant derrière lui une discographie monumentale, un héritage artistique et humain considérable, et une lumière qui, pour beaucoup, ne s’éteindra jamais.

Jimmy Cliff, légende pour toujours.