« Impossible », le roman philosophique d’Erri De Luca

— par Laurence Houot —

« Un concentré serré, façon expresso italien, de tout ce qui nourrit la vie et l’œuvre du romancier italien depuis ses débuts. » 

L’auteur : 

Erri De Luca, né en 1950 à Naples, est un écrivain, journaliste engagé, poète et traducteur italien contemporain. Il a obtenu en 2002 le prix Fémina étranger pour son livre Montedidio, le Prix européen de littérature en 2013, le Prix Ulysse pour l’ensemble de son œuvre. Il vit à la campagne, près de Rome. Il est aujourd’hui l’un des écrivains italiens les plus lus dans le monde.

Le roman :

Impossible  paru le 20 août aux éditions Gallimard, dans la rentrée littéraire, c’est la quintessence de ce qui anime son œuvre et sa vie depuis ses débuts. Dans son précédent ouvrage, Le tour de l’oie, un dialogue avec le fils qu’il n’a jamais eu, le romancier Italien de soixante-dix ans entamait déjà une forme d’introspection, un état des lieux d’une existence riche et singulière.

Avec Impossible, Erri De Luca dessine un personnage qui compte avec lui-même de nombreux points communs. Dans un dialogue entre un juge d’instruction et un homme soupçonné de meurtre et placé en garde à vue après la mort accidentelle d’un autre en montagne, l’auteur de Montedidio met en scène tous les grands thèmes qui lui sont chers : la justice, la liberté, le combat politique, la trahison, l’amour et la montagne… Tout ça dans une forme quasi platonicienne (…)

Un Tête à Tête : Les pages de ce nouveau roman sont en forme de procès-verbal. Questions/réponses, typographie de machine à écrire. Nous sommes dans l’intimité d’une garde à vue. Quand nous entrons dans l’échange, l’interrogatoire est largement engagé. L’homme a déjà livré sa version des faits plusieurs fois. Mais le juge insiste, tente de confondre le prévenu, repose encore et encore les mêmes questions.

Comment s’est déroulée sa journée le jour de l’accident ? Que faisait-il dans la montagne juste derrière celui qui a péri ? L’homme avait-il revu la victime, qu’il connaissait, puisqu’ils faisaient partie tous les deux dans leur jeunesse du groupuscule révolutionnaire ? A-t-il poussé dans le gouffre ce « traître », ce presque frère qui livra autrefois tous ses camarades à la police en échange de la liberté? La présence des deux hommes ce jour-là au même moment au même endroit est-elle le fruit du hasard, une coïncidence ? C’est « impossible », le juge en est convaincu (…)

La totalité de l’article de Laurence Houot

Son interview : « Je suis un homme de vocabulaire »

L’écrivain italien a accepté de répondre à nos questions dans les bureaux de Gallimard, son éditeur français. Il arrive à l’heure, chemise blanche, corps sec de montagnard, un visage dessiné à la serpe et des yeux qui pétillent, suggérant une fois le masque tombé, avec un large sourire et dans un français embelli d’accent chantant, de boire d’abord le café.

Franceinfo Culture : Comment est née l’idée d’Impossible, votre dernier roman ?

Erri De Luca : L’idée est venue comme toujours pour mes histoires : à travers un souvenir. Pouf ! Un souvenir vient qui me fait sursauter, qui m’émerveille. Mais ce n’est pas de la nostalgie. Je n’ai jamais de sentiment nostalgique, parce que je ne voudrais revenir sur aucune autre étape précédente de ma vie. Je n’ai pas non plus la nostalgie des personnes qui ne sont plus là. Les personnes qui ne sont plus là je les convoque avec l’écriture. Je prétends les extraire de leur absence à travers l’écriture. Pour ce livre c’est venu avec le souvenir de cette vire (sentier de montagne) dangereuse que j’avais parcourue dix ans plus tôt. J’aime suivre parfois les anciens sentiers des braconniers, qui étaient les premiers alpinistes dans la montagne. Je me suis souvenu de ce passage, ce long passage dangereux, et j’ai décidé d’installer là-haut cette histoire. Et la forme interrogatoire s’est tout de suite imposée : question / réponse.

Comment passe-t-on de l’interrogatoire au dialogue, comme c’est possible ?

Ce n’est pas mon expérience. J’ai été interrogé par des magistrats dans ma vie parce que j’étais un militant révolutionnaire dans les années 70 en Italie, et je n’ai jamais rencontré un magistrat comme celui du livre, parce qu’on ne peut pas avoir un dialogue dans une situation d’interrogatoire. On peut avoir un dialogue ici, entre nous, parce que vous me posez des questions, que vous êtes intéressée par mon livre, par moi, et par l’autre. Vous avez une curiosité qui rend possible le dialogue. Mais un magistrat ne veut pas connaître quelque chose de moi. Il prétend savoir déjà ce que j’ai commis. Il veut une confirmation de son hypothèse d’accusation. De plus, il se trouve dans une situation de supériorité. Il est le magistrat, c’est à dire l’État en personne. Et en face il y a un citoyen, quelqu’un qui se trouve face à l’État et doit se défendre de l’accusation, donc en condition évidente d’infériorité. Mais dans l’interrogatoire de mon histoire, il y a aussi des contrepoids : le jeune magistrat est jeune et l’ancien militant est ancien, vraiment ancien (presque mon âge …). Et ce jeune magistrat ne connaît rien du tout à ce qui s’est passé dans les années de la lutte clandestine et les grands procès, à part ce qu’il a pu lire dans les actes judiciaires, et d’autre part il ne connaît rien du tout à la montagne. Cette double condition d’infériorité égalise parfois la relation entre le magistrat et l’accusé. C’est ce qui permet le dérapage vers le dialogue. L’accusé accepte de lui expliquer des choses. Sur la montagne d’abord, et sur les raisons d’un engagement révolutionnaire ensuite. Dans cette relation entre ce magistrat et l’accusé, il y a d’abord un débat sur le vocabulaire.

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Et une présentation originale au journal Le Point, par Christophe Ono-dit-Biot :

Impossible, mais tellement bon… D’un face-à face entre un magistrat et un ex-activiste d’extrême-gauche, l’écrivain italien tire un huis clos galvanisant.

Affûté comme une stalactite patiemment sculptée, joueur comme un chat, droit comme un combattant qui préfère mourir plutôt que de cafter aux autorités dites compétentes : ainsi nous apparaît le nouveau Erri de Luca… Impossible. Ancien des luttes révolutionnaires italiennes des années 1970, mais passionné par l’Ancien Testament, dont il traduit chaque jour des pages dans sa maison en pierre, rêvant encore à la réapparition des lucioles chères à Pasolini et, en attendant, escaladeur de montagnes à 70 ans passés (la dernière fois qu’on l’a rencontré, il rentrait des Andes…)

Francetvinfoculture, les 23 et 26 septembre 2020, et Le Point