Hyperion victimaire, de Patrick Chamoiseau

— Alain Leauthier —

hyperion_victimaireDans un polar atypique, le chantre de la créolité et prix Goncourt 1992, décrit une Martinique en proie à la violence nihiliste, l’acculturation et la perte des »valeurs »…

Dexter à la  Martinique ? A un premier niveau de lecture, voilà le fond de sauce du polar atypique que Patrick Chamoiseau, chantre de la créolité et prix Goncourt 1992, a commis pour la collection Vendredi 13 dont Boulevard du Crime a déjà eu l’occasion de vanter l’originalité (voir sur ce même blog la critique de « Nocturne le Vendredi » de Scott Philips.)
Dexter s’appelle ici Hyperion victimaire et, comme le personnage de Jeff Lindsay et de la sérié télé homonyme, habité par l’Archange, il « corrige » les imperfections d’un système judiciaire impotent, avec force dépeçages, dont il est devenu un expert tatillon, et occasionnellement absorption gourmande d’hémoglobine.
Au menu : du dealer, du pédophile, du proxo, rien qui à ses yeux ne mérite de survivre dans une liberté néanmoins accordée par des magistrats aveugles ou étourdis.
Qui est Hypérion victimaire ? Un indécrottable nostalgique d’une Martinique magique, celle que Chamoiseau a si merveilleusement fantasmée  et sublimée dans quelques livres majeurs, engloutie sous les assauts conjugués de la mondialisation néo libérale, de l’acculturation, de l’ensauvagement et de la vulgarité généralisée. Et voici le second niveau du livre, son objet réel : le plaidoyer pour un pays qui meurt puisque Chamoiseau a toujours considéré la Martinique comme une entité en soi. Entité dont il n’a par ailleurs cessé de réclamer et espérer l’indépendance, contre l’avis majoritaire de ses concitoyens.
A travers la confession d’Hypérion, recueillie par son alter ego policier aussi avide d’ordre et de respect, le commandant de police Eloi Ephraim Evariste Pilon lancé à ses trousses, Chamoiseau dresse un état des lieux passablement désespérant de l’ancienne Fort-Royal, ville fantôme, livrée à tous les trafics, quadrillée par des hordes barbares, des immigrés de la Caraïbe anglophone sans foi ni loi (les « Anglais ») ou des zombies se désaltérant avec un mélange de rhum, de bière et d’essence.
De Texaco la magnifique, insalubre mais prometteuse, et sur laquelle Chamoiseau fondait le rêve de la nation créole, il ne subsiste que des favelas sordides, squattées par la drogue, la violence et la prostitution. Le tableau est si apocalyptique qu’on peut ne peut s’empêcher de le rapprocher de celui que dresse de la métropole, le journaliste  Laurent Obertone dans un ouvrage autrement controversé,  « La France Orange mécanique », devenu paraît-il le livre de chevet de Marine Le Pen. On ne fera p         as injure à Chamoiseau, sympathisant avoué du Front de Gauche, bien qu’il refuse de participer aux élections « françaises », de le soupçonner d’une quelconque dérive xénophobe ou de l’imaginer en proie à une soudaine pathologie décliniste. S’il décrit l’affaissement des individus dans le nihilisme, c’est pour mieux souligner l’urgence de rebâtir par un nouveau processus « d’individuation », le respect de soi, des autres et de sa culture.
Le problème étant que celle-ci apparaît en lambeaux, outragée par de jeunes « isalops » (salauds en créoles) emprisonnés dans un monde étriqué et irréel, communiquant par borborygmes et anglicismes, dans une langue réduite aux acquêts où les fautes de français et, pire, le massacre du créole, ne sont que l’expression d’un désastre général.
Que reste-t-il d’Eugène Mona, Le Nègre Debout, artiste et musicien emblématique de la créolité vénéré par Chamoiseau? Quelques notes assourdies et de plus en plus faibles, emportées dans le vacarme « d’une grappe de garçons à casquette et à locks, tatouages ou crânes rasés, flottant dans des Nike contrefaites, accrochés à des Ipod chinois et qui peuplaient leur désœuvrement de musique hip-hop, de slams débiles et de djobs incertains… » Au sens littéral, il s’agit d’un livre réactionnaire. Et c’est un très beau livre.

Hypérion victimaire : Martiniquais épouvantable de Patrick Chamoiseau. Editions La Branche. 15€.
Rédigé par Alain Leauthier le Samedi 23 Mars 2013 à 10:00 commentaire(s)
http://www.marianne.net/blv-du-crime/Hyperion-victimaire-de-Patrick-Chamoiseau_a18.html