« Helikopter / Licht » par le Ballet Preljocaj

— par Selim Lander — Comme l’année dernière (1), Angelin Preljocaj et sa compagnie se sont produits devant le public aixois en cette fin du mois de juillet dans le cadre prestigieux de la cour de l’archevêché, lieu emblématique du festival d’opéra qui se déroule plus tôt dans le mois.

Ces deux soirées associaient une pièce ancienne pour six danseurs – Helikopter (2001) – et une nouvelle création pour douze danseurs – Licht (2025) sur une musique de Stockhausen pour la première et Laurent Garnier pour la seconde. Stockhausen (1928-2007) fut « sérialiste » en musique non seulement parce qu’il pratiquait la musique sérielle mais parce qu’il aimait composer des cycles « d’opéras ». La musique d’Helikopter a ainsi pour origine la troisième scène de Mittwoch (mercredi) qui se rattache au cycle Licht (1977-2003) des sept jours de la semaine. De même, à la fin de sa vie, travaillait-il sur un autre cycle, Klang, qui devait rassembler vingt-quatre pièces comme les vingt-quatre heures d’une journée (vingt-et-une ont été réalisées). Mais alors que la musique originale d’Helikopter était purement instrumentale, la version retenue par Preljocaj est celle de 1995 dans laquelle interviennent effectivement quatre hélicoptères en vol contenant chacun un instrumentiste, le mixage final restituant à la fois le son des instruments et celui produit par les hélicoptères.

Preljocaj a réussi un véritable tour de force en bâtissant une pièce cohérente sur une musique, de son propre aveu, « impossible à chorégraphier ». Cohérente et même au-delà ; son Helikopter est une œuvre passionnante, remarquablement réglée et interprétée, qui fait oublier la difficulté de l’exercice pour des danseurs d’ailleurs toujours en vue sur le plateau, soit qu’ils exécutent leur partie soit qu’ils attendent leur tour, debout sur les côtés. La difficulté est d’autant plus grande quand ils sont tenus de suivre leurs partenaires dans les mêmes enchaînement mais avec un décalage de plusieurs temps, parfois en se tournant le dos.

Ils sont donc six danseurs, trois femmes et trois homme vêtus d’une tenue minimaliste, shirt et t-shirts dans des teintes neutres. Trois couples qui se font et se défont avec des solos, des moments à trois, par exemple celui où les hommes exécutent ensemble une danse acrobatique. Il y a bien d’autres moments qui marquent notre mémoire comme lorsque une danseuse soutenue par deux danseurs semble s’envoler en prenant appui sur le dos d’un autre danseur, ou bien lorsque les deux partenaires de chaque couple, au sol, semblent véritablement se mélanger.

Après une brève interruption au cours de laquelle est projeté un entretien entre Preljocaj et Stockhausen à propos de la musique de ce dernier, place aux douze danseurs de Licht (parmi lesquels les six précédents). L’homonymie avec le cycle Licht de Stochausen ne doit pas tromper. Il s’agit bien d’une autre musique, quoique composée par l’un des héritiers du maître. « Licht » signifie « lumière » en allemand et, de fait, les premières images des danseurs portant pantalons et blousons de couleurs vives sont lumineuses. Autre différence avec la pièce précédente, le tempo est bien plus lent si bien que tout le début de Licht apparaît comme un moment de repos calme et joyeux à la foi après le vacarme d’Helikopter. Le rythme accélère ensuite en même temps que s’allègent les vêtements des danseurs puisqu’ils terminent presque nus, avec néanmoins des parures en verroterie qui captent la lumière. Il y a bien sûr ici aussi de grands moments mais curieusement, le plus marquant, à peine dansé, est peut-être celui où les douze danseurs alignés frontalement s’avancent vers le public en tenant la main non pas du plus proche mais de celui qui se trouve placé après.

Le public aixois, à la fin, n’en pouvait plus d’applaudir pendant que les danseurs prolongeaient leurs saluts comme un supplément de danse jusqu’à ce que retombe le rideau.

Helikopter / Licht par le Ballet Preljocaj, Aix-en-Provence, Théâtre de l’archevêché, 30 et 31 juillet 2025.

(1) https://mondesfrancophones.com/scenes/annonciation-torpeur-noces-trois-pieces-dangelin-preljocaj/