Hélénon, « lieux de peinture »

— Par Jean Marie-Louise —

 Dans un précédent livre consacré à l’œuvre de Serge Hélénon, Daniel Radford introduit sa contribution en ces termes : « L’œuvre d’art est-elle muette, qu’elle ait besoin d’un texte qui la renforce et qui l’anime ? Souvent le mot l’endort, l’anesthésie, fouille à côté et, par redondance, la tue. Rien n’est plus beau qu’une peinture qui se raconte toute seule car tel est son destin, et le risque du peintre. Le mot accapare son espace et, voulant la dévoiler, lui vole sons sens et invente un discours à partir de sa forme.»

Pourtant ayant constaté cela faut-il se priver de toute analyse ? Doit-on s’interdire de parler d’une œuvre sous prétexte qu’elle est irréductible au discours ? Évidemment non, répond Dominique Berthet, qui se livre dans cet autre et nouvel ouvrage à une investigation toute personnelle du travail d’Hélénon. Évidemment non. D’autant que l’œuvre si elle résiste au discours, paradoxalement l’encourage.

Le langage ne peut s’approprier totalement l’œuvre. Il échoue à vouloir la cerner. Entre le discours et le référent qui le motive et l’occasionne existe une distance. En réalité ce sont deux univers qui s’attirent et se défient. Et le discours naît de cette proximité inaccessible et de cette attraction. Les œuvres de Serge Hélénon n’échappent pas à cette complexité.

Elles attirent, captent et nous retiennent, donnent à éprouver, à questionner, à penser, à imaginer, à méditer.

Dominique Berthet lie l’œuvre de Serge Hélénon aux notions de lieu, de rencontre, de mémoire : elles constituent la trame de son art. Et à celles d’appropriation, d’assemblage et de métamorphose : elles sont au fondement de sa pratique artistique. À partir de ces notions il nous propose une méditation sur la ligne secrète, intime qui relie l’homme à ses œuvres. Il entreprend une quête du sens tremblé de celles-ci.

Une méditation, mais en réalité il n’y a rien d’abstrait dans le récit qu’il fait du parcours de l’artiste : attentif à saisir les secousses de sa métamorphose, il le suit pas à pas de la Martinique à la France, de la France à l’Afrique. C’est le chemin de la maturation du regard. Il en indique les escales car Hélénon avance en laissant des traces. Rien d’obscur non plus dans la réflexion que suscite chez lui la recherche artistique de Serge Hélénon. C’est une réflexion disponible à la surprise, à l’errance, aux incertitudes. Dépourvue de toute charge impérative, préoccupée de la façon dont l’œuvre bâtit ses fondations, affirme ses spécificités, ses différences, sa dynamique particulière et puise aussi bien dans le connu que dans le nouveau, dans le vécu et dans le désir.

Il n’est peut-être pas nécessaire d’avoir lu le texte de Dominique Berthet pour appréhender le travail de Serge Hélénon car l’émerveillement devant une œuvre d’art authentique (et l’authenticité est ce qui caractérise le plus fortement chacune des pièces de Serge Hélénon) relève souvent de conduite magique. Mais à le lire on a l’intense plaisir d’en apprendre beaucoup et d’en comprendre autant sur l’évolution et les transformations de l’art de cet artiste. Dominique Berthet l’éclaire d’un savoir historique et esthétique qui se propose non comme un préalable indispensable mais comme un regard dont la substance et la congruence fertilisent notre promenade dans ce livre et notre voyage dans l’œuvre : il nous aide à l’apprécier, en tout cas à la ressaisir dans toutes ses dimensions et dans toute sa richesse.