Guadeloupe /Martinique : la question des déficits et de l’endettement des collectivités locales dans l’impasse.

— Par Jean-Marie Nol, économiste —
Depuis de nombreuses décennies, les collectivités locales de Guadeloupe et la Martinique rencontrent des difficultés comptables et financières pour équilibrer leur budget. Régulièrement, la presse nationale et locale se fait l’écho de la situation financière dégradée des communes de Guadeloupe et Martinique.
Une situation qui ne peut plus perdurer aux yeux de l’Etat français et qui devrait obliger le Préfet à saisir beaucoup plus fréquemment la Chambre régionale des comptes.

Comment en est-t-on arrivé là et quelles sont les causes de cette situation ?

Première raison, l’Etat, lui-même très endetté , et en difficulté pour boucler le budget 2020 , n’a de cesse de se désengager financièrement vis-à-vis des collectivités. C’est le cas, à travers la baisse de la dotation globale de fonctionnement qui est allouée chaque année. Le mot d’ordre selon certains observateurs de la vie publique est que  » tout le monde doit désormais se serrer la ceinture. » Deuxième raison qui dépasse l’entendement vu le temps que cela perdure, c’est le nombre trop faible de citoyens imposables. Les élus hésitent à revoir la liste de contribuables, ou à revaloriser la valeur locative des biens, et ce pour des raisons bassement électorales . La collectivité se prive ainsi d’une source de revenus, d’autant que, contrairement à la France hexagonale, la section de fonctionnement pèse beaucoup plus lourdement dans l’équilibre budgétaire, car la collectivité doit verser à ses agents, souvent trop nombreux par rapport aux normes communément admises en la matière , la prime de vie chère de 40% . Une fois de plus, pour ne pas dire de trop, ce sujet brûlant revient sur le tapis de l’information avec un reportage ce jour du 20/08/2019 de la rédaction de Guadeloupe première. Alors qu’apprendre de Guadeloupe première ?…. Tout simplement que  » La Direction Générale des Finances Publiques vient juste de publier un nouveau rapport sur l’état budgétaire des collectivités locales . Endettement généralisé, charges de personnels trop importantes, le document confirme la lente dégradation de leurs finances. Et le cas de figure de la Guadeloupe est particulièrement plus emblématique que celui de la Martinique .

Le rapport balaye une période qui va de 2013 à l’an dernier. Et le document, confirme qu’en 6 ans, globalement la situation des finances des collectivités de Guadeloupe, communes, EPCI, Conseils Départemental et Régional, n’a pas évolué dans le bon sens. Les constats négatifs se succèdent.
Petit florilège :
– Malgré les difficultés financières, les collectivités n’ont pas agi sur leurs dépenses de fonctionnement. En ce qui concerne les communes et la Région, l’évolution des charges de personnels, déconnectées du service public rendu est inquiétante.
– Du fait d’une trésorerie en piteux état, deux tiers des collectivités guadeloupéennes pratiquent des délais de paiement aux entreprises qui peuvent atteindre en moyenne 10 mois. A noter tout de même qu’en la matière la Région et le Département font figure de bons élèves.
En conclusion le rapport fait état du fait que selon les années la Guadeloupe reçoit de l’Etat d’1,7 à 1,9 fois plus que les départements comparables de l’Hexagone . »

On le voit la critique de la gestion des collectivités locales en Guadeloupe est sans appel, mais cela vaut aussi pour la Martinique. Tous ces avertissements et alertes d’hier et d’aujourd’hui n’ont servi à rien, car la situation comptable et financière des collectivités locales de Guadeloupe et Martinique s’envenime d’année en année. Maintenant que le constat est connu de tous les guadeloupéens et Martiniquais , que peut-on espérer pour le présent et l’avenir ? Deux scénarios semblent plausibles et incontestablement c’est l’état qui aura la main, car les déficits et l’endettement des collectivités locales aggravent mécaniquement la dette publique de l’état français qui est actuellement de 2400 milliards d’euros. Peut-on alors sortir de cette situation kafkaïene et comment ? D’abord si on lit attentivement un article récent de la gazette des communes, https://www.lagazettedescommunes.com/631848/finances-publiques-bientot-un-desendettement-contraint/, on apprend que l’état envisage de procéder à la contrainte en réduisant entre autres drastiquement une nouvelle fois, les dotations aux collectivités locales et notamment celles de Guadeloupe et Martinique . Par ailleurs, l’état a entre ses mains, une autre carte, c’est celle de la suppression de l’octroi de mer. C’est là le deuxième scénario pour faire imploser le système à savoir assécher les recettes des collectivités d’outre-mer de manière d’une part à lutter contre la vie chère (se référer aux très récentes déclarations de l’autorité de la concurrence sur l’octroi de mer) et d’autre part obliger les édiles à gérer la pénurie de financement avec à la clé des mesures obligatoires de réduction des dépenses notamment de personnels . Dans tous les cas, c’est le contribuable qui paiera la facture. Nous l’avons déjà dit et répété à satiété, il n’y d’autres choix que l’augmentation massive de la pression fiscale en Guadeloupe comme d’ailleurs aussi en Martinique . D’ailleurs, souvenons-nous de la phrase sibylline de Emmanuel Macron qui déclarait lors du grand débat avec les maires et responsables des collectivités d’outre-mer que ce sont eux-même qui viendront demander la suppression de la surrémunération des fonctionnaires notamment territoriaux….Comprenne qui pourra, car là on touche au fondement même de l’état providence. Cette politique fait, ainsi selon certains économistes, preuve de pertinence pour traiter les dommages collectifs nés de l’endettement moderne de l’Etat. Aussi bien, de nouvelles exigences tels que la révolution numérique et l’intelligence artificielle risquent d’accroître la paupérisation des populations Antillaises , de voir l’émergence de nouveaux rapports sociaux de classes, et ce sans accompagnement de l’intervention publique qui exige cette situation. La dimension solidariste de l’État social née dans le contexte de la départementalisation , pour pallier les lacunes de l’ancienne situation coloniale a désormais vécue . Mais c’est une nouvelle variante historique qui est en train de faire son apparition, le modèle de l’État libéral actif, qui cherche à promouvoir l’emploi, à responsabiliser les individus et les élus , augmenter le nombre de cotisants et à diminuer celui des allocataires, pour finalement restreindre le champ de la solidarité .

Dans ce contexte de crise des finances publiques l’état adoptera des mesures interventionnistes plus actives sur le plan économique ou fiscal aux Antilles, mais avec moins d’interventions dans le domaine social. Mais c’est oublier que cette intervention régulatrice autrefois croissante de l’État dans le domaine social, visait à encadrer les conditions de vie et de production de départements d’outre-mer en mal de développement et donc avait aussi une dimension réparatrice. Cette nouvelle approche de la sphère économique et sociale aux Antilles ne relève ni de la restauration d’un « ordre spontané », ni d’une nécessité historique, mais constitue un nouveau phénomène culturel et politique : la deconstruction ! La nouvelle doctrine de l’État providence apparaît donc maintenant de façon très claire, et ce à l’opposé de l’ancienne doctrine sociale de la départementalisation, comme une volonté de réencastrement d’une vision comptable de l’économie dans les relations sociales. Et dans cette optique, les collectivités locales sont sommées de muter vaille que vaille. Le fond de l’air est désormais sec pour nos élus !

Jean-Marie Nol