Guadeloupe , l’île (dés)enchantée ?

— Par Jean-Marie Nol —
Dette abyssale des collectivités locales , crise de la distribution d’eau, CHU à la dérive, rapports financiers complexes avec la France hexagonale , envies d’autonomie des élus sans espoir d’être entendu par la population si l’on en croit le dernier sondage de Qualistat publié début août 2019 : comment vit-on la situation en Guadeloupe quand plus de 8 guadeloupéens sur 10 estiment justifiés les mouvements de grève affectant le CHU de Pointe-à-Pitre.

Comment croire enfin que les thématiques aussi importantes liées à l’immigration, l’évolution institutionnelle ou les autres formes de tensions sociales n’arrivent qu’au bas de l’échelle dans le diagramme de l’étude de Qualistat réalisée fin juillet 2019 .

S’il fallait une seule image pour résumer les liens complexes, et souvent méconnus, entre la France et la Guadeloupe , ce serait celle du CHU et du Siaeag (organisme de gestion de l’eau) . Deux organismes importants pour la Guadeloupe mais qui s’avèrent en situation de quasi faillite financière.

Soleil, plages, mais aussi violences et grèves à gogo ? Bien sûr, l’île des Caraïbes qu’est la Guadeloupe regorge de beautés et ses habitants affichent le sourire comme carte de visite. Mais derrière ce vernis, des plaies peinent à cicatriser. Les guadeloupéens ont beau être des citoyens français , ils sont des enfants gâtés du système départemental mais persistent à se considérer comme des citoyens de seconde zone. Oubliés, dénigrés, marginalisés selon certains par le pouvoir central . L’affaire du chlordeconne , l’a rappelé de façon criante.

Comment en est-on arrivé là ? L’île a depuis 1946 un statut de droit commun , celui de département français . Dans l’Hexagone , les guadeloupéens ont les mêmes droits que les français , mais pas tout à fait sur l’île. Surtout, l’île est asphyxiée par une dette colossale des collectivités locales et de certaines organisations publiques . Les perspectives d’emploi sont misérables, du coup l’île se vide de ses habitants. Pendant que les départs des jeunes et des retraités s’enchaînent, alors que dans le même temps des investisseurs de l’Hexagone , encouragés par des privilèges fiscaux, lorgnent l’île et construisent de luxueuses propriétés, en accentuant le phénomène de gentrification. En effet, la Guadeloupe est une terre de paradoxes et de contradictions. Après toutes les dernières révélations concernant la situation financière très dégradée des communes de pointe à pitre, basse-terre, Sainte Anne, baillif, etc… et communauté d’agglomération comme celle du sud Basse-Terre , cette citation de Colbert mérite d’être réfléchie par tous les guadeloupéens voire aussi les Martiniquais appartenant à la classe moyenne : « L’art de l’imposition consiste à plumer l’oie pour obtenir le plus possible de plumes avec le moins possible de cris. » Le contribuable invité à sauver les collectivités locales criblées de déficits et minées de dettes et à combler les déficits publics va-t-il accepter les hausses fiscales qui s’annoncent ? Aujourd’hui, toutes les conditions sont réunies pour que se déclenchent un jour prochain, en Guadeloupe et dans une moindre mesure en Martinique , des révoltes violentes contre le ras le bol fiscal, et la vie chère . Déjà en Martinique, début 2017,
un comité citoyen de Sainte-Luce dénonçait l’augmentation de 35% des taxes foncières et d’habitations. Une hausse que les contestataires jugeait inadmissible . Le président de l’Espace Sud était alors clairement mis en cause.
Les élus en place semblent en effet incapables de résoudre les difficultés et les frustrations, réelles ou ressenties, d’un grand nombre de citoyens : un travail absent, non rémunérateur, ou aliénant ; des services publics délabrés ; des territoires ruraux oubliés ; une agriculture en plein recul ; un environnement dégradé ; une précarité croissante ; des vies personnelles en miettes, car assommées par la pression fiscale et la vie chère .

Ces élus , se sentant menacés, se crispent et laissent filer les déficits par une fuite en avant de toujours plus de social et de clientelisme , rendant plus fous de colère encore ceux qui vont devoir payer la lourde facture des impôts locaux à venir .

Quand ces colères ne sont que celles des plus pauvres, non soumis à l’impôt , rien ne se passe. Quand elles atteignent, comme aujourd’hui, la classe moyenne, et quand celle-ci en déduit qu’elle n’a plus rien à perdre, la révolte devient possible.

On voit très bien la forme qu’elle pourra prendre bientôt, en Guadeloupe et dans d’autres pays d’outre-mer comme récemment à l’île de la réunion avec le mouvement des gilets jaunes : les peuples ne se contenteront plus du dégagisme soft, qui va conduire à remplacer une classe politique discréditée, par une autre, qui se prétendrait nouvelle, mais qui n’est , en fait, qu’un autre avatar de la précédente, et qui ne réussira pas mieux, car le système est vérolé de l’intérieur . Les peuples d’outre-mer se révolteront contre tous ceux qui sont pensés comme ayant du pouvoir, au sommet de l’état, dans les collectivités locales, dans les entreprises et les organismes publics ; Et c’est une lapalissade !
Comment espérer un avenir un peu moins noir que celui décrit par le LKP (un collectif d’organisations syndicales) qui cherche en vain à jouer les prolongations de la crise sociale de 2009 ? Une petite frange de guadeloupéens surtout des élus rêve d’autonomie et de se libérer du joug administratif et financier français . Une autre ultra minoritaire milite au contraire pour l’indépendance , avec l’espoir, illusoire, de voir tous les problèmes s’envoler. Mais la majorité se contente du statu quo, malgré les frustrations et le sentiment de vivre dans une région en crise profonde , consciente qu’avoir le passeport français a finalement encore aujourd’hui plus d’avantages que d’inconvénients. En clair: La Guadeloupe est dans une impasse. Et la France , Macron en tête, ne cherche pas vraiment à sauver l’île (en y injectant des subsides supplémentaires) , qui ne possède pas de ressources naturelles intéressantes. Les français ont créé un système d’assistanat dont ils ne savent plus comment se débarrasser, résume cyniquement un élu . La France cherche encore la sortie et surtout comment ne plus supporter financièrement l’outre-mer. La Guadeloupe veut le beurre et l’argent du beurre et voire si possible la fermière en l’occurrence la France . Autant dire que c’est la quadrature du cercle !

Entre la Guadeloupe, l’état, et les élus locaux , c’est un peu l’histoire du syndrome de Stockholm en version XXL…. Et comme dans toutes les histoires d’otages, cela peut se terminer très mal.

Jean-Marie Nol