Grande distribution: la concurrence ne concerne pas l’Outre-mer

— Par Julien Sartre —

Alors que les Ultramarins ne cessent de protester contre la vie chère, l’Autorité de la concurrence, avec l’aval du Conseil d’État, vient de donner son feu vert à une nouvelle opération de concentration dans la grande distribution, renforçant encore l’économie de rente qui domine dans ces collectivités.

Dans les collectivités d’Outre-mer, la concurrence semble appelée à rester à l’état de principe ou de vœu pieux. Alors que les pouvoirs publics – en réponse aux dizaines de manifestations contre la vie chère qui ont eu lieu ces dernières années en Martinique, en Guadeloupe, en Guyane, à Mayotte ou encore à La Réunion – n’ont cessé de promettre de veiller à un meilleur équilibre économique, l’Autorité de la concurrence adresse un signal inverse. 

L’instance vient de donner à nouveau son feu vert à une opération de concentration dans la grande distribution qui ne peut que renforcer l’économie de rente qui y prévaut. Et le Conseil d’État vient de lui donner raison. Dans une ordonnance rendue publique le 17 juin 2020, la juridiction administrative suprême a indiqué que rien ne s’opposait au rachat de Vindémia par GBH.

Ce dernier est un de ces empires dont l’Outre-mer français a le secret. Le Groupe Bernard Hayot est bien mieux connu dans les départements et collectivités ultramarines par son acronyme GBH. Il se définit lui-même sur son site Internet comme « un acteur majeur de la distribution en Outre-mer, en développement sur ses implantations à l’international ». France métropolitaine, Nouvelle-Calédonie, Guyane, Antilles françaises, Ghana, Algérie…, l’énumération des endroits où GBH est présent n’a d’équivalent que la liste des secteurs clés où le groupe opère. Grandes surfaces alimentaires, commerce de détail, bricolage, équipements sportifs, pièces automobiles, voitures, filière laitière, matériaux de construction… Originaire de Martinique, cette famille de Békés, les propriétaires terriens et colons en langue créole, dispose d’un patrimoine personnel de 300 millions d’euros, d’après l’estimation du magazine Challenges.

« GBH réalise les deux tiers de son activité dans les pays et territoires d’Outre-mer et son chiffre d’affaires mondial consolidé est à peu près de 3 milliards d’euros », écrit dans une étude détaillée l’Observatoire des prix, des marges et des revenus (Opmer), une institution indépendante soutenue par l’État à La Réunion et précisément mise en place au fil des manifestations contre la vie chère, afin de lutter contre les marges abusives et les monopoles d’importation.

« Plus spécifiquement sur le territoire de La Réunion, le groupe GBH a réalisé en 2018 un chiffre d’affaires d’environ 1,3 milliard d’euros, au travers de ses 52 filiales implantées sur ce territoire, contrôlées à 100 % par GBH ou l’actionnariat familial », poursuit le cabinet Bolonyocte, sollicité par l’Opmr.

Ces chiffres sont déjà datés et ne correspondront plus à la réalité dans quelques semaines seulement : GBH a obtenu de l’Autorité de la concurrence l’autorisation de racheter le groupe Vindémia, filiale du groupe Casino. La décision n’a pas encore été publiée mais l’Autorité de la concurrence s’est fendue d’un communiqué de presse qui officialise son assentiment à l’opération de concentration.

Vindémia, une filiale du groupe Casino, est présent dans le secteur de la grande distribution à La Réunion, à Mayotte mais aussi à Madagascar et à l’île Maurice. Rendu public, le montant de la transaction est de 219 millions d’euros.

Grâce à cette opération, le groupe d’origine martiniquaise contrôlera au moins 27 % du secteur de la grande distribution à La Réunion. Et occupera une place inédite dans l’économie de ce département d’Outre-mer comme dans les autres territoires où GBH est implanté. De quoi faire bondir associations de consommateurs, personnalités politiques et syndicats. Toujours selon les chiffres de l’étude commandée et validée par l’Opmr, pas moins de 45 % des dépenses de consommation courante d’un ménage réunionnais tomberont dans l’escarcelle de GBH.

Encore ces chiffres ne concernent-ils que les dépenses finales. Il faut aussi y intégrer les centrales d’achats et les groupements de fournisseurs. GBH va donc se retrouver à la tête d’un empire intégré verticalement, ce qui explique à la fois les craintes que l’élargissement de son activité suscite et les risques d’emprise sur l’économie des Outre-mer.

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