« Fuck America » : entre humour et gravité

— Par Christian Antourel & Ysa de Saint-Auret —

fuck_america-2Allemagne 1938, la famille juive allemande Bronsky se sent menacée par le nazisme et demande un visa d’émigration aux Etats Unis. La pièce commence par un échange épistolaire entre le père Bronsky et le consul des Etats Unis qui lui oppose une fin de non recevoir prétextant des quotas déjà atteints. Ce n’est qu’en 1952 que les Bronsky parviennent enfin aux States après avoir subi les pires outrages et avoir tout perdu.

Jacob le fils est un type un brin farfelu, au langage brut de décoffrage, sans la moindre fioriture et aux envies à forte inclinaison tendancieuses. Il a échappé par miracle aux rafles allemandes. Le voici sans le sous, quasi clodo dans le quartier interlope de Manhattan parmi de vieux clochards, les putes, les maquereaux. Il survit grâce à une multitude de jobs à la petite semaine. Jacob a deux obsessions écrire un roman où il pourrait raconter le ghetto, et trouver une femme de temps en temps. Son quotidien est bien loin d’être un long fleuve tranquille. Les péripéties de sa vie dans les bas fonds de New York sont émaillées de rencontres de personnages sordides ou cocasses que les trois comédiens se partagent au rythme de la pièce. Vincent Jaspard interprète majestueusement le héros, looser et menteur, toujours à la recherche de sexe. Corinne Ficher assume tous les rôles féminins, aussi crédible dans celui de la psychanalyste, qu’en mère juive ou en américaine obèse. Bernard Bloch, change de peau, se métamorphose, d’un geste, d’une intonation en grand noir dominateur, en agent matrimonial ou en patron excédé. Le tout traité d’une telle façon qu’on ne perd jamais le fil de la narration.

Libérer toutes ses émotions refoulées

Mais en filigrane affleure toujours dans la mémoire de Jacob l’histoire de la shoah. Il envisage l’écriture moins comme une vocation ou un métier d’écrivain que pareillement à une sorte de catharsis, pour enfin libérer toutes ses émotions refoulées comme tombées au fond d’un vide sans fond. Au crédit de la pièce on portera des idées lumineuses qui valent le détour. On aime les changements de rythmes dynamisants, où à des dialogues bien ficelés aux répliques coup de poing en rafales, succèdent un rythme et un débit plus lent. Cette cadence répétée donne à l’ensemble un souffle bien contrôlé, non dénué d’un humour parfois caustique. Une mise en abyme intéressante en jeu de miroir, avec l’auteur se racontant en train de raconter sa vie. Dès le départ le ton est donné, le titre « Fuck América » , précisément l’expression du père en voyant New-York ,est la conclusion que tire aussi le héros de son vécu. C’est la même critique acerbe de l’Amérique, à priori terre promise qui s’avère décevante.

Notre avis :
Le côté attendrissant de Jacob, nous touche par ses problèmes, ses galères et lorsqu’il parle de son besoin d’être soigné on ne peut s’empêcher de penser à Woody Allen et sa caricature de l’intello juif new yorkais, dépressif, en proie à des affres tragi-comiques.

Christian Antourel & Ysa de Saint-Auret

Pratique :
A Tropiques Atrium
Salle Frantz Fanon
Jeudi 28 à 20h
Scolaires le 26 & 28 janvier à 9h30
D’après le roman éponyme d’Edgar Hilsenrath
Adaptation : Vincent Jaspard
Mise en scène collective-jeu :
Bernard Bloch, Corinne Fischer, Vincent Jaspard & Thomas Carpentier
Crédit photo : DR
Réservation : 05 96 60 78 78 .

Tarif C 25, 20, 8 euros

Texte paru dans Le Magazine France Antilles .