« Exils »: Là d’où nous venons ? Là où nous allons ?

Du 11 juin au 2 juillet au Centre d’Arts Entre Nous & Co

— Par Brigitte Edward, agrégée de philosophie —

« Il y a de l’inexprimable. Il se montre. »

L. Wittgenstein1

Deux ensembles bien distincts. Avec, chaque fois, un certain rapport à l’espace. Pas l’espace euclidien de l’expérience commune, objectif et mesurable. Mais un espace morcelé, pluriel, fait de contiguïtés paradoxales. Un espace de désorientation.

SEUILS.

Les objets ont disparu, l’espace est fragmenté. Les plans se chevauchent, se superposent ou se juxtaposent, sans qu’on sache toujours dans quel sens il faut regarder.

Chaque fois une porte debout. Une porte tronquée par le disque improbable de l’eau, une autre encore recouverte d’un film liquide. Des seuils qui ne sont pas là pour être franchis. Qui ouvrent à un dedans de couleurs et de forces, de jaillissements rouges et de ciels indigo. On est devant le tableau et on voit en coupe. On est devant, mais c’est un dedans qui nous fait face.

« Quand voir, c’est sentir que quelque chose inéluctablement nous échappe2. »

EXILS. LES INSÉPARABLES.

Comme si l’exil était la seule forme possible de séparation pour des inséparables : dans l’exil, l’autre est encore là, sur le mode de la hantise, de l’absence toujours présente. Exclu de la lumière et de la couleur. Le perroquet, symbole de la sexualité, et son double exsangue. Parfois divisé lui-même entre la couleur et l’exsangue.

Là aussi, partition de l’espace. Des bandes juxtaposées, hétérogènes. À gauche, le plus souvent, une bande de toile indienne, de ces toiles légères aux ravissants motifs gaiement colorés, longtemps importées par la Compagnie des Indes, objets d’un tel engouement qu’elles furent interdites un temps par Colbert pour protéger les manufactures françaises. La plus grande partie de ces Indiennes est recouverte de plusieurs couches de peinture et d’enduits, poncée et re-poncée « jusqu’à ce que la lumière sourde3 », que l’épaisseur en devienne translucide.

Le bleu indigo, le rouge garance, le jaune curcuma, les couleurs utilisées pour les Indiennes se retrouvent dans toute la série. Autour de la cage sans barreau du perroquet, un troisième espace où flottent paisiblement des formes larvaires non identifiées. Soupe originelle de la vie ? Décoloration du vivant qui préfigure la mort ?

Là d’où nous venons ? Là où nous allons ?

Dans deux toiles, le perroquet et son double sont relégués dans la bande de toile indienne, hors de l’espace joyeux de courbes musicales et de seins nourriciers. Exil du corps morcelé de la mère, indistinctement autre et mien, dont une fois passé le seuil de toute naissance, nous restons éternellement manquants ?

Un travail sur l’espace premier, celui que « nous portons à même la chair4 » et qui nous renvoie à notre exil originaire, à la séparation dont nous sommes nés.

Brigitte EDWARD

Agrégée de Philosophie

1L. Wittgenstein, Tractacus logico-philosophicus, & 6-522

2G. Didi-Huberman, Ce que nous voyons, ce qui nous regarde, p. 24

3Commentaire de l’artiste

4G. Didi-Huberman, idem, p. 194