« Every thing will be fine » : la suprême élégance de Wim Wenders

— Par Roland Sabra —

every_thing-1Il ne faut pas trop en demander à Madiana. Déjà programmer Wim Wenders représente pour le complexe shoelchérois un effort, mais de là à espérer que le film tourné en 3D soit projeté dans ce format, faut pas rêver ! La séance du 17 juin avait été annulée faute de codes pour démarrer et annoncée sur les panneaux d’affichage en VF le film était en réalité en VO ! Ouf ! Le pire était évité. Madiana ? Peut mieux faire ! Vraiment !
C’est donc en 2D que le dernier Wim Wenders s’est affiché sur l’écran de la petite salle n°1 puisque la 3D semble réservée aux films d’action ou à ceux d’un divertissement éloigné de tout réalisme, de toute vraisemblance, style Jurassic World. A chacun son cinéma et à chaque film son public !
Pourquoi ces remarques préliminaires ? Parce que le choix de Wim Wenders pour la 3D ne relève pas d’un caprice de metteur-en scène, il s’inscrit dans une recherche sur les limites de l’exploration visuelle et les modifications du jeu des comédiens induits par l’introduction d’une nouvelle technologie. Le passage du muet au sonore a considérablement transformé la façon de jouer devant la caméra. Certains acteurs ne s’en étaient pas remis. L’apparition de la 3D opère une rupture de même ordre dont l’évidence éclate dans le registre du drame intimiste. Il y a là une exigence d’intériorisation, une nécessité absolue de minimalisme sous peine de verser dans la caricature, si ce n’est dans la grossièreté, que l’utilisation de gros plans accentue à l’extrême. Le moindre battement de cil est un discours. Que le réalisateur de Paris-Texas, des Ailes du désir prenne le risque d’une telle recherche est à saluer.
De quoi est-il question ? Le synopsis est assez simple. Tomas, un écrivain en mal d’inspiration se dispute un soir avec Sara, sa compagne, prend son 4X4 et s’en va sans but précis sur les routes enneigées de Canada. Sur une petite route, dévalant un chemin de traverse deux gamins sur une luge viennent se jeter sous les roues de la voiture. L’un en réchappe l’autre pas. Et c’est le thème de la responsabilité, quand ce n’est pas la culpabilité qui se déploie avec ses effets mortifères. Faute de pouvoir mettre des mots sur ce drame le couple formé par Tomas et Sara se désagrège. Les mots ? Ils viendront sur la page blanche de l’écrivain, un peu comme une catharsis, accompagnés d’un succès littéraire. Le chemin de croix de la culpabilité se transforme en chemin d’écriture, en chemin de Damas. Mais la cause, à savoir la mort d’un enfant pour que puisse naître un écrivain demeure dans la relation étrange, et parfois inquiétante que Tomas entretien avec la mère du gamin écrasé et du frère rescapé. On quitte par instants le drame intimiste pour verser dans thriller psychologique. Tomas, géniteur empêché, est un homme en mal de paternité qui enfante des livres et adopte les enfants des autres.
Wim Wenders dessine avec une rare élégance des paysages en forme de clin d’œil à quelques peintres célèbres comme Vilhelm Hammershøi, ou plus près de nous, Andrew Wyeth et Edwaed Hopper. Chaque plan est en effet un tableau dans lequel le traitement de la lumière, enveloppante, le choix des couleurs juxtaposition de camaïeux, le cadrage plans fixes et contra-zoom, relèvent de compositions naturalistes. Les paysages ressemblent à des songes brumeux. Les visages filmés à travers les reflets des vitres, images dans l’image, interrogent le statut de ce qui est vu. La narration lente dans l’ensemble est capable de brusques accélérations. La bande son, admirable de bout en bout contribue à la création d’une atmosphère dans laquelle songe et réalité, fiction idéalisée et prosaïsme renvoient au travail artistique et au matériau dont il se sert pour faire œuvre.

Guernica n’est-ce qu’un tableau de Picasso ?

Fort-de-France, le 25/06/2015
R.S.