En Suède, le mouvement anti-harcèlement est comparé à l’obtention du droit de vote par les femmes

— Par Anne-Françoise Hivert (Malmö (Suède), correspondante régionale) —

« L’impact mondial de l’affaire Weinstein », 4/7. Après les actrices et les comédiennes, qui ont dénoncé la violence, des milliers de femmes sortent du silence.
Un « tsunami », une « révolution », un virage « historique ». En Suède, aucun mot ne semble trop fort pour qualifier la gigantesque déferlante qui balaie le royaume scandinave, depuis plus d’un mois, sans le moindre signe d’essoufflement, emportant tout sur son passage : les violences faites aux femmes, les agressions sexuelles, le harcèlement, mais aussi le machisme et le sexisme, ces blagues lourdes qui ne font rire que ceux qui les prononcent, les sifflements dans la rue et toutes ces manifestations quotidiennes de la domination masculine… Certaines n’hésitent pas à comparer le mois de novembre 2017 à l’obtention du droit de vote par les femmes en 1919.

Si l’affaire Harvey Weinstein a fait jaillir l’étincelle mettant le feu aux poudres, l’explosion s’est produite le 9 novembre, quand 456 actrices (désormais 703) signent une tribune dans le quotidien Svenska Dagbladet, où elles dénoncent collectivement le harcèlement et les violences dont elles sont victimes et la « culture du silence » qui règne sur les plateaux de cinéma et les planches des théâtres. « Nous savons qui vous êtes », mettent-elles en garde.

C’est comme si, alors, des vannes s’étaient ouvertes. Le 13 novembre, 653 chanteuses d’opéra accusent à leur tour. Le lendemain, ce sont 4 445 juristes, puis 1 993 chanteuses et musiciennes, 1 300 femmes politiques, 1 139 salariées de l’industrie des technologies, 4 084 journalistes, 4000 sportives, 8000 écolières, collégiennes et lycéennes…

Vendredi 24 novembre, 1 382 employées de l’Eglise luthérienne, ex-Eglise d’Etat, majoritaire en Suède, ont à leur tour décidé de se faire entendre : « Le silence doit être rompu, la honte placée où elle appartient. Ce n’est pas à nous de la porter ». Leurs témoignages décrivent des agressions sexuelles commises par des pasteurs ou des fidèles. Quand elles en parlent, on leur dit de se taire.

Chaque tribune s’accompagne de témoignages anonymes, qui se font écho, sans jamais nommer les agresseurs, mais débouchent sur des enquêtes internes. Des têtes tombent : journalistes, acteurs, politiques… L’ancien leader du Parti de gauche, Lars Ohly, a reconnu lui-même, vendredi, qu’il faisait l’objet d’une plainte pour harcèlement sexuel. Les ministres demandent des comptes à leurs administrations. Le médiateur à l’égalité ouvre une enquête sur une quarantaine d’entreprises. Le 19 novembre, quand 200 comédiennes lisent des témoignages sur la scène du Södra Teatern, la reine Silvia et la princesse Victoria sont dans la salle.
« Rompre les relations de dépendance »

L’étendue du mouvement, dans un pays qui aime à se présenter comme le champion de l’égalité des sexes, peut surprendre. « C’est justement parce que la Suède est un pays relativement égalitaire que cela se produit ici », analyse Lisa Irenius, chef des pages culture de Svenska Dagbladet. Pour que les femmes osent parler, dit-elle, « il faut qu’elles sachent que leurs droits sont garantis et que leurs témoignages auront des conséquences »….

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Anne-Françoise Hivert (Malmö (Suède), correspondante régionale)
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