En Martinique, l’incorrection et l’obscénité sont devenues la règle du « politiquement correct »

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Le comportement déplorable d’Alfred Marie-Jeanne à Ste Luce ne surprend que ceux qui le veulent bien. Sauf qu’arrivée en fin de piste, il a des difficultés à tenir la route. En effet, le parcours politique du « président des Martiniquais » a été jalonné d’outrances qui ont porté jusqu’aux qualités intrinsèques des personnes auxquels il en voulait. Les Pilotins l’ont expérimenté à leurs dépens, ou certains d’entre eux, leur ancien maire n’ayant pas craint de mettre le doigt y compris sur les handicaps physiques de ses opposants. Une famille connue de la commune en aurait fait les frais, dans un climat d’assouvissement des bas-instinct du peuple qui semble en redemander.
En effet, l’électorat étant friand des attaques portées en- dessous de la ceinture, on peut reprocher à l’homme « vertical » son penchant pour le populisme auquel il doit tout et de n’avoir jamais découragé la soif de vulgarité qu’il semble partager avec une partie de ce peuple. Cette vulgarité n’est-elle pas l’un des ressorts essentiels du populisme « marie-jeannien » qui l’a mené au plus haut niveau de la politique martiniquaise. Bien entendu, au prix bien cher payé d’un égal abaissement de la notion de dignité qu’il portait dans ses discours ?
Cependant, si le goût du spectacle et de la formule le distingue des autres, AMJ n’a pas le monopole des excès ni de l’obscénité. C’est une pratique qui s’est progressivement développée, dont l’expression émane presque toujours du parti qui détient le pouvoir. Cela dénote une méthode de gouvernance assez partagée de la chose publique qui fait froid dans le dos. Elle est favorisée par le désengagement de l’Etat et le sentiment d’inexpugnabilité que donne le pouvoir à certains. Les élus de la majorité de feue la région nous en ont donné un aperçu qu’il n’est pas besoin d’exposer ici, lequel ne les autorisent guère à condamner Alfred Marie-Jeanne. En effet, le parti du chantre de la négritude avait jadis tourné en dérision un adversaire politique en mettant en scène la couleur de son épiderme. Noire. Une chanson commandée à Eugène Mona en avait été le support musical tristement célèbre. On était confondus par le silence du chantre, lui-même, qui n’avait pas cru devoir interdire cette déviance épidermique. Mais sa réélection était sur l’autre plateau de la balance.
Ainsi, les hommes politiques paraissent s’acharner à ressembler aux caricatures qui leur ont été fabriquées à partir de leurs propres turpitudes. C’est comme cela que, dans un silence complice et une indifférence générale, s’est installée une atmosphère sordide qui renvoie à leur ringardise les élus qui sont encore attachés aux valeurs de correction et de respect. De sorte qu’il n’est pas exagéré de dire que l’incorrection et l’obscénité sont devenue la règle du politiquement correct martiniquais.
D’aucuns prétendent que les libertés prises avec la correction et le respect de l’autre n’est pas nouvelle en politique. Tel, jadis, ce maire du sud injuriant les hommes de sa commune en prétendant que tant que leurs femmes voteraient il serait maire de la commune ! A la fin les femmes avaient voté mais il avait été battu. Aujourd’hui, si la population a sanctionné Serge Letchimy aux dernières élections de la CTM et si Alfred Marie-Jeanne devait l’être prochainement ce n’est certainement pas en raison de l’obscénité de leurs gestes ou leurs incorrections verbales.
La question est parfois posée de savoir si les Martiniquais ont les élus qu’ils méritent. A mon avis c’est oui. Sauf que, au moyen de la distribution inconsidérée de l’argent public, phénomène démultiplié au cours de ces 30 dernières années par la décentralisation et la concurrence entre les collectivités, les dirigeants politiques ont méticuleusement formé l’électeur martiniquais à toujours attendre quelque chose en échange de son suffrage. Ce faisant, ils ont quasiment transformé les Martiniquais en mendiants. En bon mendiants qu’ils sont devenus, ils ont les élus qu’ils méritent.
Fort-de-France, le 5 février 2018
Yves-Léopold Monthieux