Élodie

— Par Huguette Emmanuel Bellemare de Culture Egalité

Samedi midi, je rentre dans la pharmacie de ce centre commercial pour y faire un achat rapide. Une vendeuse m’accueille avec le sourire, m’écoute attentivement, me pilote jusqu’au bon rayon, me propose un produit, m’en explique les avantages, l’utilisation… Alors, charmée de son amabilité, en prenant congé, je lui souhaite bon week-end, ajoutant :

  • C’est pour bientôt ? Il est presque 13 heures !

  • Ah non Madame, j’ai encore plusieurs heures de travail cet après-midi !

  • Ah ?… Mais vous récupérez lundi ?

  • Hélas, Madame, je n’ai que dimanche !

  • Mais vous avez des enfants ? Comment faites-vous ?

Alors, elle lâche tout : les deux enfants, un garçon de 12 ans, une fille de 9 ans, qu’elle élève seule, le père s’étant fait la malle. Les difficultés pour les récupérer à l’école et les problèmes de garde le samedi ou les soirs où elle finit après 20 heures :

  • Et encore, j’ai de la chance, j’ai de bonnes voisines, des parentes qui m’aident. Mais imaginez mes collègues qui doivent payer quelqu’une sur un salaire modeste et confier leurs enfants à une personne qu’elles ne connaissent presque pas !

Et elle me raconte les soirs où elle rentre vannée :

  • Il faut avoir tout prévu, tout fait à l’avance, le souper, les devoirs, les vêtements du lendemain… !

les vendredis où elle devait confier ses enfants tout petits à un chauffeur de taxi de Basse-Pointe qu’elle connaît afin qu’il les dépose devant la maison de sa mère !… Et elle me parle de la révolte de son fils, préadolescent :

  • Un jour, il a explosé et m’a reproché de n’avoir jamais été là pour eux… !

Je sens son chagrin, sa révolte, mais que lui dire ? Déjà, il lui faut me quitter, un entretien si long risque d’attirer l’attention et de lui valoir des ennuis ! Je me retire, imaginant tout ce qu’elle n’a pu me dire : le casse-tête lors des maladies infantiles, le poids sur son maigre budget de la voiture indispensable avec de tels horaires… Alors, je prends une conscience plus aigüe du tribut inhumain que doivent payer les travailleurs et encore plus les travailleuses dans cette société de consommation, soit disant pour le confort des clients, mais surtout pour le profit des patrons ! Et je me dis qu’un autre monde est possible, qu’il faut que nous nous battions toutes pour le faire advenir.

Huguette Emmanuel Bellemare