Économie politique contre science économique

— Par Jean-Christophe Le Duigou —

plantu_eco-cL’auteur reconstitue le processus qui a conduit à la construction d’un nouvel ordre dans lequel tout semble se plier à l’économique et invite à renouer avec « l’économie politique ».

« À quoi sert un économiste », de Mariana Heredia. Éditions la Découverte, 2014, 
245 pages, 17 euros.D’où vient le rôle grandissant des économistes dans les affaires publiques ? Plusieurs auteurs se sont essayés, ces dernières années, à l’analyse de ce phénomène. La sociologue Maria Heredia, qui a soutenu sa thèse à l’École des hautes études en sciences sociales et enseigne en Argentine, sans rien lâcher d’un discours critique sur le néolibéralisme, cherche à appréhender à son tour cette économicisation de plus en plus poussée du discours public.

L’auteur reconstitue, avec les exemples de la Russie, de l’Amérique du Sud, de la Chine, de l’Europe, le lent processus qui a conduit à effacer les limites entre science et politique, entre le monde et les nations, dans la construction d’un nouvel ordre dans lequel tout semble se plier à l’économique. Maria Heredia récuse l’idée trop simple d’un « ordre libéral », conséquence « d’un projet univoque, longuement élaboré par les dirigeants politiques ».

Les économistes libéraux ont, par contre, misé sur l’incertitude qui, depuis quarante ans, a gagné les élites. Ils ont mis à profit la crise qui débute au tournant des années soixante-dix et l’inefficacité croissante des outils d’intervention publics classiques pour s’allier à des entrepreneurs, des hommes politiques, des journalistes, et mener une offensive internationale contre l’État providence. Mais le néolibéralisme n’est pas qu’idéologie. Il niche aujourd’hui dans les écrans des opérateurs financiers, dans les primes accordées aux travailleurs qui réussissent, dans les modes de circulation des biens de consommation, dans les multiples calculs qui servent comme intermédiaires dans nos pratiques sociales.

Si les économistes suscitent un questionnement si passionné de la part de sociologues mais aussi des citoyens, c’est sans doute parce que les enjeux qu’impliquent les sciences économiques dépassent de loin le cadre de la discipline économique. La sociologie critique, comme le montre cet ouvrage, peut contribuer à déconstruire le discours technico-économique et à alerter sur les dangers pour la démocratie. Après l’Amérique latine et les anciens pays du bloc socialiste, n’est-ce pas au tour de l’Europe d’être concernée par cette dérive ?

L’enjeu est donc celui de la démocratie. Mais il prend racine dans le champ même de l’économie. Il ne s’agit pas, en effet, de se contenter de dénoncer l’économie. L’objectif est, au contraire, de mieux appréhender ses ressorts, d’ouvrir de nouvelles perspectives, pour revenir à une appréhension politique de ses enjeux. En un mot, rompre avec la vision étroite d’une « science économique » et renouer avec la riche conception de « l’économie politique ».

Jean-Christophe Le Duigou
http://www.humanite.fr/tribunes/economie-politique-contre-science-economique-559985