Échos du Cinémartinique Festival 2020

— par Janine Bailly –

Le Festival, comme tout le cinéma d’ailleurs, sait allier avec bonheur légèreté et sérieux, rires et larmes, tragédie et comédie.

Agosto (Armando Capò, Cuba, 2020), film court au moment où les œuvres s’inscrivent souvent dans un format qui avoisine les deux heures, film grave et lumineux, efficace dans sa sobriété, nous donne de la période spéciale à laquelle fut soumise l’île de Cuba dans les années 90, une image juste, plus émouvante encore d’être vue par le regard d’un adolescent que la vie choie, malmène, transforme. Le parcours d’initiation sera double, le garçon s’ouvrant aux émois sexuels autant qu’à une nécessaire et salvatrice conscience politique. Cela commence dans l’insouciance de beaux jours de vacances et d’été, dans la chaleur du cocon familial, et l’affection attentive pour une grand-mère malade mais à l’esprit encore vert. Insidieuse d’abord, bientôt inexorable, la grande Histoire rattrape l’adolescent, bouleverse la vie, gomme les petites histoires et la beauté de ce mois d’août, ouvre le regard de celui qui, s’il parle peu, presque mutique, observe, découvre, comprend, et sur son visage se lit l’évolution de ses sentiments. Il se fait en cette période tragique, où tout manque jusqu’à la nourriture, où les coupures d’électricité rythment les jours et les nuits, comme un effacement du monde tranquille de Carlos : Elena l’amie de cœur quitte la ville ; sur des embarcations de fortune – et le garçon assiste à la construction d’un de ces radeaux précaires, dans la fébrilité, les disputes, l’alcool, la peur et les colères – les Cubains en nombre quittent l’île à la recherche d’un possible Eldorado où survivre ; son propre père aussi s’arrache à l’affection d’une épouse et d’un fils, laissant derrière lui la cellule familiale détruite. Et pourtant, l’espoir est là, au bout de ce chemin d’initiation, parce que comprendre était essentiel, pour grandir et pour vivre ! Symboliques sont à ce propos les retrouvailles de Carlos et de son ami Mandy. 

Akira ( Katsuhiro Ôtomo, Japon, 1988, reprise en 2020)

Inspiré du manga éponyme, ce film dans un tout autre registre était censé attirer les amateurs de ce genre, que l’on sait nombreux sur l’île. Car une autre vertu de ce festival est son éclectisme, qui s’adresse à tous, à tous les âges, à toutes les attentes et tous les goûts ! Au-delà des images, de leur beauté plastique, au-delà d’une intrigue aussi captivante que complexe, au-delà de la dystopie, le dessin animé semble étrangement prophétique, qui nous parle de chômage, de dissidents multipliant leurs actions dans la ville, d’intrigues politiciennes ou militaires, de mouvements révolutionnaires ou religieux, et d’homme « augmenté » aux pouvoirs surnaturels, alors que les plus jeunes se réunissent en bandes rebelles et se défient dans d’interminables courses de motos, sillonnant la mégalopole de Néo-Tokyo, reconstruite et restaurée dans sa démesure après l’explosion de 1982. Mais on ne peut que penser, dans ces scènes de guerre et destruction, à l’impact des bombes atomiques lâchées sur le Japon à la fin de la Seconde Guerre Mondiale, aux méfaits des radiations, à la peur du nucléaire qui, à juste titre après Fukushima, hante aujourd’hui encore nos sociétés…

Rocks (Sarah Gavron, Royaume Uni, 2020)

Avec ce film attachant, qui traite de problèmes de société actuels par le prisme de destinées individuelles, la réalisatrice pourrait se revendiquer quelque peu de Ken Loach. Mais l’approche est plus légère, qui évite le misérabilisme et porte l’histoire dans un courant énergique presque sans faille. L’héroïne, d’ascendance jamaïcaine et nigérienne, se voit promue mère de substitution pour son petit frère lorsque disparaît de Londres, et sans laisser la moindre  trace, la mère biologique, aimante mais psychologiquement fragile. Du père, mort avant que ne commence l’épisode conté, ou d’autres personnages masculins, il ne sera guère question, sinon sous l’apparence de ces tenanciers qui sans ménagement jetteront l’adolescente et le garçonnet à la rue, hors de l’hôtel où ils avaient trouvé un refuge illusoire. Et c’est dans un univers féminin qu’évolue Rocks, ainsi nommée pour s’être posée en gardienne de Sumaya, son amie d’origine étrangère elle aussi, autrefois ostracisée. Pour ne pas être séparée du jeune Emmanuel, il faut à Rocks échapper un temps aux services sociaux, se défier des bonnes âmes qui prétendraient lui venir en aide. Le secours, elle le cherche auprès de ses amies, bande de collégiennes aux naissances diverses, mais toutes unies dans une solidarité réjouissante. Solidarité parfois mise à mal par Rocks elle-même, quand la souffrance et la peur deviennent source d’agressivité, que le désir d’être digne, d’être objet de respect et non d’apitoiement, font refuser dans de discrètes larmes ce qui est – parfois maladroitement – offert. Car il lui faut apprendre à s’ouvrir aux autres, à accepter ses limites, à reconnaître ses erreurs… pour que le happy end puisse advenir, le pardon être accordé, la fusion réalisée dans ce beau voyage final qui conduit les filles, en un parcours aussi vers la mer et le sourire retrouvé, auprès d’un Emmanuel que l’on découvrira heureux, parmi ses camarades, jouant dans une cour de récréation. Alors Rocks, en presque adulte devenue responsable, acceptera de ne pas interpeller son frère tant aimé, afin que ne soit pas troublé son nouvel et peut-être fragile équilibre. Comme un message d’espoir, un moment symbolique d’une Angleterre qui est – qui serait ? – fraternelle et multiculturelle  !

Los Lobos (Samuel Kishi Léopo, Mexique, 2019)

Les loups, ce sont eux, Max, Léo et Lucia … Le film nous parle pareillement d’amour maternel, filial et fraternel. Elle est mère, l’époux a disparu –  mort, drogué, emprisonné ? l’histoire suggère sans dire. Elle est restée seule pour assurer la continuité de la vie, assumer la garde et l’éducation de leurs deux jeunes garçons. Jeune, jolie, émouvante et dotée d’une énergie que n’égale que sa sensibilité, partagée entre tendresse et autorité, elle décide l’exil, quittant Mexico pour Albuquerque, la plus grande ville du Nouveau-Mexique aux États-Unis. La transition d’un pays à l’autre, d’une vie à l’autre, d’une culture à l’autre se fait dans le voyage en autobus, première séquence du film, où l’un décrit à voix haute le paysage qui défile. Car désormais tout sera découverte, tout s’offrira à la curiosité des jeunes garçons, dans le bonheur parfois, dans la douleur d’abord. À ce premier chemin succède en écho la longue marche, à la périphérie de la ville, pour se procurer un logement. Et bien d’autres obstacles se dresseront qu’il faudra vaincre : rester seuls enfermés dans le petit appartement quand maman part au travail – avec, pour seul regard sur le monde extérieur, ce qui s’encadre derrière le voile soulevé de la fenêtre –, pour l’aîné assumer la garde du plus jeune, apprendre une langue nouvelle, se souvenir de ce et de ceux qui sont restés au pays, affronter le regard et l’hostilité des autres… Entre larmes et sourires, on progresse à l’aide d’un petit magnétophone où seront enregistrées les règles de la nouvelle vie, les mots d’anglais à savoir, et sur lequel on écoutera la voix d’un grand-père absent. Mais Lucia n’est-il pas un prénom qui tire son origine du latin « lux », la lumière ? Aussi le soleil toujours percera l’obscurité, qui reste le plus fort, qui apporte aux enfants l’aide et la chaleur bienfaisante de la petite propriétaire asiatique, les bonbons récoltés aux portes où l’on sonne quand vient la fête d’Halloween, et l’après-midi que tous trois passent à la fête foraine. Et qu’importe si ce n’est pas « Disney » comme promis et attendu… Qu’elle est belle, cette image où main dans la main les garçons entraînent leur mère vers la griserie des manèges, lui pardonnant en un sourire de transformer ainsi la promesse initiale !

Nul doute qu’au cours de cette semaine de festival, bien d’autres pépites nous seront offertes, diamants à plusieurs facettes, pour nous divertir, nous émouvoir, nous faire réfléchir : merci donc au Festival pour ces fenêtres entrouvertes sur le monde, et qui une fois ouvertes ne se refermeront plus ! 

Fort-de-France, le 26 octobre 2020

P.S : Pour Les Échos d’un autre festival, le FIFP 2020, Cannes, festival international du film panafricain, voir le programme sur le site, et une présentation de films sur cet autre site