« Don Giovanni » par Carib’Opéra : un pur plaisir!

— Par Roland Sabra —

Ils viennent en Martinique depuis quelques temps. En 2016 ils étaient déjà là. En 2017 plus de 1500 spectateurs avaient assisté, avec ferveur, aux concerts qu’ils avaient donnés au Lamentin, à Fort-De-France et au Morne Rouge. En 2018 ils nous ont offert « Le mariage du Diable ou l’ivrogne corrigé » d’après Christoph Willibald Gluck (assez souvent présenté en Martinique). En 2018 ils programmaient «  La Flûte Enchantée ». Et puis Covid Oblige…

Toujours est-il que ce sont des dizaines de milliers de spectateurs qui depuis leurs débuts, les suivent, les scrutent et les acclament, émerveillés par cette foi inébranlable qu’ils ont dans les arts de la voix. « Ils », s’appellent Carib’Opéra et se présentent sur leur site comme «un regroupement d’artistes lyriques professionnels originaires des Antilles et de Métropole, issus des grandes écoles de musique de France et d’Europe. Ce collectif a pour vocation de fédérer des artistes lyriques et instrumentistes classiques ultramarins autour de projets issus de l’Outre-mer, du bassin caribéen et de Métropole pour offrir au public le meilleur de l’activité artistique et promouvoir l’art lyrique, diffuser les spectacles, transmettre cet art et faire émerger ainsi les vocations dans nos régions.»

Une jolie mission qu’ils remplissent avec enthousiasme, énergie et détermination, comme hier encore, à Tropiques-Atrium dans leur joyeuse version de « Don Giovanni ». Ils ne se sont pas appesantis sur la psychologie de Don Juan ni sur les rapports qu’il entretient avec Leporello, son valet, son double. Ils ont laissé de coté Otto Rank. Grand séducteur, Dom Juan est insolent, irrespectueux et violent, libertin et blasphémateur, perfide et narcissique, cruel et présomptueux, égoïste et hypocrite. Il a violenté des femmes et souhaité la mort de son père. Tout pour plaire ! Mozart écrit Don Giovanni l’année de la mort de son propre père. Certains n’y verront qu’une simple coïncidence ! Dans la salle, bien remplie de Tropiques-Atrium, on n’était pas ce soir-là pour se prendre la tête, mais pour prendre du plaisir, comme ça, immédiatement, gratuitement…, enfin pas tout-à-fait.

On saluera l’extrême sobriété de la mise en scène d’Olivier Cohen, qui réussit, avec peu de moyens, sans jamais le dénaturer, à donner corps et… voix à ce monument lyrique.

Steeve Brudey Nelson, en Dom Giovanni, semble s’identifier au personnage(!), quand, dans un jeu de scène très proche de la fosse d’orchestre il titille le haut bois, en l’occurrence la musicienne Valérie Liebenguth à qui il offrira une fleur au moment des applaudissements. Josselin Michalon dans le rôle de Leporello, incarne un valet fatigué par les excès de son maître (Dom, pour la pièce de Molière est le diminutif du latin dominus qui signifie maître). Jean-Loup Pagésy dans le double (!) rôle de Commandeur et de Masetto s’en tire plutôt bien. Magali Léger est une Zerlina en légèreté et en ambivalence bien ajustée. En Dona Elvira, Marie-Claude Bottius, après des débuts moins flamboyants, a semblé beaucoup plus à l’aise dans l’acte II.

Mais la révélation de cette soirée a été sans nul doute Fé Avouglan, en Dona Anna, capable d’entrer en contact presque personnellement avec le public. Décrite comme ayant « une soprano palpitante qui transmet une vérité émotionnelle avec un son très sensuel (Post-Gazette) », la voix originale, chaleureuse et brillante de Fé Avouglan génère des effets tout à fait intéressant, comme un lien intime avec ses auditeurs. Elle avait déjà été recrutée, sur le thème du donjuanisme au Théâtre Essaïon, il y a quelques années de cela, dans Una lettera inedita di Giacomo Casanova de Christophe Cornillot dans une mise en scène de Luca de Bernardi. Née et élevée en Californie de parents togolais et ougandais, elle vit maintenant, entre deux tournées mondiales, à Turin, en Italie, où elle a eu l’occasion de se produire dans divers lieux, notamment le CineTeatro Baretti.

Au delà des ces individualités remarquables, c’est l’ensemble de la troupe qu’il faut féliciter, soit 7 solistes, 24 choristes, 11 musiciens, et près de 20 passionnés (bénévoles, prestataires et techniciens) qui ont transmis au public martiniquais un grand moment de joie et de bonheur.

Fort-de-France, le 15/12/2022

R.S.

Photo : C’Smart

/Distribution
Don Giovanni : Steeve Brudey Nelson
Donna Anna : Fé Avouglan
Dona Elvira : Marie-Claude Bottius
Zerlina : Magali Léger
Le Commandeur – Masetto : Jean-Loup Pagésy
Leporello: Josselin Michalon
Don Ottavio : Blaise Rantoanina
Comédiennes : Louise Buléon Kayser, Garance Silve
Danseurs : Aymeric Maced, Alix Hermann
Direction musicale : Gaspard Brécourt
Mise en scène : Olivier Cohen
Assistante mise en scène : Joséphine Kirch
Scénographie : Zoé Mary
Lumières : Louisa Mercier
Costumes : Argi Alvez pour « Les Mauvais Garçons » & Michel Molza
Maquillage : Gaëlle Gimer
Assistante maquilleuse en Guadeloupe : Makheda makeup, Alias Louanne Farouil
Assistante maquilleuse en Martinique :
Manzel Modeeee
Chef de chant : Oliver Dauriat
Chefs de choeurs : Béatrice Wronecki Bargas & David Jean-Bart
Professeur de chant
en Martinique : Giliane Coquille

Orchestre :
Chef d’Orchestre : Gaspard Brécourt
Premier violon : Ludovic Passavant
Violon II : Héléna Boistard
Alto : Stéphanie Blet
Violoncelle : Lionel Allemand
Contrebasse : Alexandrine Rouille
Clarinette : Matthieu Steffanus
Basson : Loic Chevandier
Cor : Yun-Chin Gastebois
Flûte : Philippe Perrousset
Hautbois : Valérie Liebenguth
Timbales : Olivier Pham Van Tham
Jeune choeur de Guadeloupe et de Martinique

 

Dorine Bagea, SloraneJean-Jacques, Mélane Henry, Lise-Marie Bonnet, Taine Alix, Alizée Chombart, Jérémy Maillefort, Emmanuel Naine, Wayne Illidge, Benjmain Korutos, Stuart Theophile

Danielle Gusto-Mirande, Malika David, Nasly Cincinnatus, Lissa Manikon, Oriane Pamphile, Jade Francisque, Maelys Flamand, Janyle Restog, Astrid Maurin, Claire David, Alwyn Bourgade, Daniel Carel, Mattys Mamie, Noah Norca, Yannick Palcy Juldo