Dimanche avec un Dorlis

— Par Alvina Ruprecht —

dorlisUne production de la compagnie du Tout-monde
Texte : Patrick Chamoiseau
Mise en scène: Greg Germain
Scénographie et costumes: Erik Plaza-Cochet
Paysage sonore: François Leymarie
Eclairagee: Valérie Pétris

Distribution:
Gunther Germain Dorlis
Amel Aidoudi la femme

Créée à la Chapelle du verbe incarné en 2004 , la pièce de Chamoiseau est reprise cette année en Avignon avec la même distribution. Décidément , Greg Germain a une prédilection pour la psychanalyse, surtout depuis sa mise en scène de la Damnation de Freud ou les ethnopsychanalystes ont voulu montrer l’efficacité de certains rituels africains qui ont précédé de loin la psychanalyse européenne.

Pour sa part, Patrick Chamoiseau semble reprendre une thématique, déjà exploitée par Ernst Pépin (L’Homme au bâton) ou un personnage mystérieux pénètre chez les femmes la nuit pour les violer avec son bâton. Un cas d’ hystérie collective? la projection de femmes frustrées? La manifestation d’un esprit de nuit? Les rumeurs courent et l’imaginaire populaire s’enflamme. Il suffit de dire que dans le panthéon des créatures « magiques » issues de la tradition afro-caribéenne, les Soucougnans et les Dorlis, occupent une place privilégiés mais sur le plateau de la Chapelle du verbe incarné; cet esprit de nuit perd un peu son rayonnement.

Précisons que ce n’est pas du tout la faute de l’acteur. Joué par Gunther Germain, le malheureux Dorlis se matérialise dans la chambre de cette jeune femme, mais pris au piège de la lumière du jour, il ne peut plus quitter la pièce avant la tombée de la nuit car le soleil lui ferait trop mal. La jeune femme (Amel Aidoudi) est terrifiée, chose étrange puisqu’elle prépare un doctorat dans la matière et qu’elle se trouve tout d’un coup, face à son objet d’étude.

Commence alors un dialogue insolite entre l’intrus et sa « victime », un échange qui varie entre moments très poétiques, une séance d’analyse bon marché et une démonstration pédante ou la pensée rationnelle et la pulsion non rationnelle s’affrontent. Mais ou va-t-on avec tout cela? Difficile à savoir, et voilà un premier problème posé par ce texte qui se veut à la fois rencontre quasi revé et discours didactique destiné à dissiper les préjugés et les rumeurs selon lesaquels le Dorlis serait un violeur de femmes et un buveur de sang, genre vampire caribéen.


Dans un premier temps, l’auteur semble vouloir entretenir l’ambiguité et l’intrus se fait psychanalyste.

S’agit-il des fantasmes de cette femme qui rejette toute attirance du sexe opposé puisqu’elle souffre devant la présence du male? Serait-ce la stratégie d’un Dorlis astucieux qui cherche à gagner la sympathie de la femme pour mieux la violer? Mais puisque le Dorlis n’existerait pas, selon la femme, ne sommes-nous pas devant un psychopathe délirant, meme si le jeu de Germain le rend beaucoup trop sympathique pour une telle supposition? Ou s’agit-il en effet, d’un Dorlis sincère qui se trouve pour la première fois de sa vie, pris au piège d’un sentiment d’amour dont la force pourrait le détruire?
Difficile à savoir.
Pourtant, n’est-ce pas l’essence de cette rencontre nocturne, le mystère, l’inexplicable, l’insaisissable? Malheureusement, malgré les tentatives du metteur en scène (Greg Germain) malgré les derniers moments captivants qui brillent par un lyrisme émouvant, malgré la voix séductrice et le corps souple de Gunther Germain qui incarnent la séduction teinte d’une violence qui couve, ce qui reste de cette rencontre est le coté didactique, prétentieux destiné à déconstruire les méchantes histoires concernant le Dorlis. L’auteur n’a pas compris que la scène n’est pas une salle de classe, que le jeu ambivalent de l’acteur suffisait pour remettre en question les préjugés populaires et que sans le mystère et la mise en évidence du côté lyrico-poétique, la représentation perd son efficacité.

Pourtant, Greg Germain a tenté de récupérer l’essentiel: les bouts de rideaux qui bougent mystérieusement au départ, évoquent une présence invisible; un décor de rêve,signé
d’Erik Plaza-Cochet; le lit dressé sur ses pattes pour que le regard du spectateur tombent en plongée comme si nous flottions au dessus de la pièce comme le Dorlis lui-même; les premières apparitions de la creature qui semble glisser derrière les meubles. Dans un premier temps, tout semble contribuer à une ambiance d’irréalité, même si la voix caressante de l’acteur qui se veut rassurante s’oppose aux cris hystériques de la comédienne dont le jeu n’était pas du tout nuancé.
Toutefois; c’est le texte qui a pris le dessus. La fascination, le mystère, la poétique, « l’irrationnel  » défendu par ce Dorlis sympathique qui risque sa propre destruction parce qu’il ose tomber amoureux, sont constamment interrompus par un discours ronflant d’encyclopédie et on peut se demander si un texte d’un tel lourdeur aurait permis autre chose.

Alvina Ruprecht