De la Démocratie à la défaite morale en Martinique

— Par Yves-Léopold Monthieux —

Nous sommes encore en Démocratie, Dieu merci. Même s’il y a mieux dans la Caraïbe, selon certains qui n’y vont cependant que pour chasser le gibier ou se donner une cure de bonne conscience. Avec les yeux fixés sur la date de retour, bien entendu.

Nous avons toute liberté d’être autonomistes, indépendantistes ou attachés à la France. Et d’être tous ensembles, c’est notre coquetterie, des assimilationnistes pratiquants. C’est qu’à travers ces catégorisations douteuses se recrute une armée de faux-culs, avec généraux, officiers, sous-officiers et hommes de troupe.

Nous avons toute liberté et nous prenons toutes les libertés avec la démocratie. Avec le pouvoir et la justice confondus qui, devenus frileux en souvenir d’un passé douloureux, perdent la boussole à l’idée d’entendre les mots « pouvoir colonial » ou « justice coloniale ». Un « hou » dans le dos rappelant ce passé, et la démocratie est comme paralysée.

Nous avons toute liberté mais les affaires ne se jugent plus. Les dossiers se font et se défont, les affaires pointent le nez et s’évanouissent aussitôt : pas de scandale. Au juge « colonial », au préfet « gouverneur », pas touche les Martiniquais, s’il vous plaît ! Les autorités se taisent, parlementaires ou exécutives, estimant sans doute qu’elles ont parfois déjà trop parlé ou trop appliqué la règle, considérant peut-être que les arrières-petits-fils d’esclaves ne méritent pas l’honneur d’être jugés selon les rigueurs que l’ancien colonisateur a prévues pour lui-même. Comme si ces « gens-la » (nous) ne valent pas la rigueur démocratique. Comme si, pour ces « gens-là », il faudrait aller chercher la règle commune du côté d’Haïti. Bizarre, on dirait que la Martinique aime la justice lorsqu’elle est comme ça ! Est-ce comme cela qu’elle n’est pas coloniale ?

Nous avons toutes libertés. Le compère-lapinisme c’est pour les débutants. Par ailleurs, il ne suffit plus non plus de faire le dos rond de celui qui sait que la loi lui glissera sur les plumes, sans l’atteindre. Il est désormais possible de se dresser, de préférence avec arrogance, face au pouvoir, à la justice et ses auxiliaires institutionnels, face au peuple, et leur dire façon neg mawon : « votre justice, je m’assieds dessus, j’exige d’être ce que je veux être comme je veux l’être quand je veux l’être ». Il suffit pour cela d’avoir de bons généraux et de bons officiers, et les reculades commencent : celle du pouvoir, celle de la justice, celle des administrations. Bref, celles de l’Etat et de la Démocratie.

Nous avons toutes libertés et nos avocats se taisent. Nos droits-de-l’hommistes aussi. Nos juristes et nos professeurs. Tous, qui sont autrement bavards en d’autres circonstances. Le peuple martiniquais a perdu ses clercs !

Naguère attaché aux normes juridiques et aux institutions – trop légaliste, me disait-on – j’en suis arrivé à la conclusion qu’un parchemin institutionnel ne vaut pas grand-chose face à toutes ces démissions. Il n’y a qu’à voir combien celui créant la Collectivité territoriale de Martinique (CTM) a été bâclé. Il en vaudra encore moins demain, quelle que soit l’orientation statutaire qui sera donnée à cette île si, en même temps, n’est pas fermée cette voie ouverte au macoutisme.

Les exemples ne manquent pas, on sait ce qu’il adviendra si cette orientation s’accompagne de l’inapplication aux puissants de la règle de droit. Un demi-siècle de combat institutionnel pour en arriver à cette défaite morale !

Fort-de-France, le 17 avril 2018

Yves-Léopold Monthieux