Crise du Covid-19 : Quid des véritables enjeux d’avenir aux Antilles ?

—Par Jean-Marie Nol, économiste —
Depuis quelques temps, les tensions identitaires, sociales, raciales, sont palpables aux Antilles et en Guyane, et ce alors même que la situation économique dégradée dans nos régions , et catastrophique dans l’ensemble de la Caraïbe, risque de provoquer une grande pauvreté.
Pourtant, nonobstant ce terrible constat, les Antillo/guyanais n’arrêtent pas de se manifester par des critiques acerbes envers l’immobilisme supposé de la France, mais sont-t- ils seulement conscients des dégâts causés par l’épidémie de Covid-19 sur l’économie mondiale et plus spécifiquement de la Caraïbe alors que la nôtre est « sous cloche » grâce aux aides publiques massives de l’Etat français .

Ces jours-ci une polémique « politicienne » sur le rôle de l’Etat, à travers l’emploi qualifié d’abusif des forces de l’ordre, agite le microcosme politique Martiniquais comme si le pays n’avait pas d’autres problèmes plus importants et plus urgents à régler. Le temps est davantage à se serrer les coudes qu’à jouer des coudes. C’est indispensable qu’on puisse montrer que la classe politique n’est pas dans la polémique stérile, la politique politicienne. La polémique enfle sur les réseaux sociaux et relayée par certains élus qui attisent les braises . Les accusations portées contre la violence des forces de police le soir du 16 juillet ont certes fait mouche dans l’opinion . Mais en temps de crise , on n’instruit pas seulement à charge contre l’Etat , mais on nomme le véritable ennemi qui n’est autre que la pauvreté induite par la crise .

Le nouveau virus du coronavirus (COVID-19) poursuit ses ravages dans le monde entier. S’il est encore trop tôt pour appréhender pleinement les conséquences de cette pandémie sur l’économie de la Martinique et de la Guadeloupe , il est néanmoins évident que la crise aggravera inéluctablement la situation dans les pays les plus pauvres, faisant basculer entre 71 et 100 millions de personnes dans l’extrême pauvreté (sous le seuil international de pauvreté de 1,90 dollar par jour). Selon moi, nous allons devoir apprendre à vivre avec le virus et à agir en tenant compte des incertitudes pour l’avenir. C’est très vrai, et n’en déplaise à certains, la vie en Martinique et Guadeloupe ne sera plus aussi insouciante qu’avant. Ainsi une récente étude de l’institut nationale de la statistique et des études économiques (insee) , nous enseigne qu’un tiers (34%) de la population guadeloupéenne est concerné par la pauvreté et que 29 % des Martiniquais vivent sous le seuil de pauvreté, soit deux fois plus qu’en France métropolitaine . Les jeunes et les familles monoparentales sont les plus concernés par la pauvreté
Des chiffres de 2017, donc bien avant la crise du coronavirus mais qui, d’année en année cristalisent une situation qui est en train d’empirer dangereusement .
Voilà un handicap pour la société guadeloupéenne et martiniquaise . L’économie est gangréné par des fléaux tels le manque d’emploi, l’illettrisme, et le manque de qualification pour nombre d’habitants.
L’ économie locale qui cumulait déjà des difficultés structurelles avant la crise actuelle ne saurait rebondir dans les circonstances présentes, d’autant que la France hexagonale est en plein marasme économique .
Depuis le début de l’épidémie en France, le ministre de l’Économie se montre, malgré les modalités d’accompagnement mises en place, très pessimiste pour la suite. Je cite Bruno Le Maire : « Il y aura des faillites et il y aura des licenciements dans les mois qui viennent ». Le ministre de l’Économie Bruno Le Maire s’attend à ce que la crise économique liée à la crise sanitaire du coronavirus ait de lourdes conséquences sur l’économie française.
Du côté du FMI, le constat est similaire. La France, selon ses analystes, sera fin 2020 le troisième pays le plus touché au monde, derrière l’Espagne et l’Italie. Parmi les conséquences de l’épidémie : une hausse notable du chômage (la Banque de France prévoit un pic supérieur à 11,5% mi-2021), mais aussi un endettement public qui bondit. Une conséquence logique des plans de relance visant à soutenir l’emploi et divers secteurs industriels, automobile, tourisme notamment.
Beaucoup de secteurs sont très durement touchés par la crise et soucieux d’atténuer l’impact de la pandémie, le gouvernement français se mobilise sur un programme ambitieux de relance avec au menu : l’emploi des jeunes, l’assurance chômage, le plan de relance post-coronavirus de 100 milliards d’euros . Une première étape délicate. Au moment où la France s’inquiète d’une accélération de l’épidémie sur son sol, et qu’un rapport de la Commission des Finances de l’Assemblée nationale pointe « une dégradation des finances publiques sans précédent depuis la Seconde Guerre mondiale ». Le choc économique, induit par la crise sanitaire, est en effet estimé « à ce stade » à environ 22 points de produit intérieur brut soit 440 milliards d’euros . La dette publique pourrait ainsi approcher les 120 % du PIB en fin d’année soit 2.650 milliards d’euros. Une dette astronomique qui interroge sur sa soutenabilité et dont on ne sait pas encore vraiment comment elle va être remboursée. Alors qui va payer la dette ? Il n’y aura pas d’augmentation des impôts a affirmé l’exécutif qui a esquissé une nouvelle méthode de calcul de l’endettement français : la distinction entre la dette Covid-19 (celle utilisée pour financer les mesures de relance et de reconversion industrielle) et, de l’autre, ce qui relève de la dégradation des comptes sociaux (le déficit de la sécurité sociale devrait approcher les 50 milliards d’euros en fin d’année).
Pour rappel, la dette publique est la somme des déficits accumulés, c’est-à-dire des dépenses non financées par les impôts. La question de fond est donc de savoir si un Etat peut vivre durablement en dépensant plus qu’il ne collecte . La réponse est évidemment NON et c’est pourquoi la solution au problème de la dette passe par la réduction de la dépense publique. Et là réside le véritable défi pour les années à venir.
Cette idée est sous-jacente dans le plan franco-allemand de relance de 750 milliards d’euros qui a été adopté mardi à Bruxelles lors du sommet européen. La proposition d’émission d’une dette commune de 750 milliards d’euros au nom de l’Union européenne, remboursée par le budget européen, devant servir à des dépenses d’infrastructures dans les différents pays bénéficiaires et aussi dans nos territoires ultramarins . Sur la base actuelle de répartition, la France recevrait 40 milliards d’euros de cette enveloppe et les territoires d’outre-mer seront parmi les principaux bénéficiaires.
Selon le ministère des Outre-mer, les demandes spécifiques pour les territoires d’outre-mer ont été entendues et actées. »Des avancées majeures » sont saluées, puisqu’ils figurent parmi les principaux bénéficiaires du budget de l’UE.

« L’allocation spécifique pour les régions ultra-périphériques – La Réunion, Guyane, Martinique, Guadeloupe, Mayotte, Saint-Martin –, qui vise à compenser les surcoûts liés à l’ultra-périphéricité (par exemple l’aide au coût du fret pour les entreprises ultramarines) est augmentée de 33%, soit un montant total de 1 928 millions d’euros pour l’ensemble des régions ultra-périphériques contre 1 400 millions d’euros dans le précédent compromis », indique le ministère.

« Afin de soutenir la relance économique en Outre-mer, le taux de co-financement maximal des projets a été maintenu à 85%, comme pour la précédente génération (alors que la proposition initiale, soumise à négociation, abaissait ce taux à 70%) », est-il précisé. Ce qui signifie que l’Europe pourra financer très majoritairement les projets dans les DROM (par exemple des infrastructures), à hauteur de 85% du montant total éligible.

Ces fonds sont censés permettre de répondre aux principaux enjeux en Outre-mer, notamment par le financement de rénovation des réseaux d’eaux et d’assainissement, la mise aux normes parasismiques des bâtiments, la lutte contre le décrochage scolaire et l’illettrisme, le soutien à la décarbonisation et la R&D des entreprises.

L’accord obtenu mardi à l’arraché à Bruxelles n’est pas une fin en soi, mais c’est tout de même une manne financière supplémentaire pour nos régions en manque de fonds propres pour assurer la relance économique . Emprunter en commun pour une durée déterminée ne suffit pas. Seules la qualité des investissements et la bonne gouvernance de cette manne budgétaire peuvent permettre à nos régions de renouer avec la confiance mutuelle qui fait la qualité de la relation avec l’Europe .
Le coronavirus, s’il en était besoin, a démontré que des petits pays comme la Guadeloupe et la Martinique ont intérêt à être associé à une Europe forte, et ce même dans un cadre institutionnel différent de celui de la départementalisation, car le constat est sans appel pour les pays de notre environnement géographique qu’est la Caraïbe pour qui le pire est à venir. Car ils sont profondément défavorisés pour affronter la crise : leurs systèmes sanitaires sont fragiles et leur accès à des fournitures médicales indispensables précaire, tandis que leur économie est moins résiliente aux chocs et fortement tributaire du tourisme et des échanges commerciaux.
Selon une nouvelle étude de la Conférence des Nations unies pour le commerce et le développement (Cnuced), le tourisme, qui représentait environ 300 millions d’emplois dans le monde en 2019, est l’un des secteurs les plus touchés par la crise.
Les restrictions liées au Covid-19 devraient se traduire ces prochains mois par un manque à gagner pouvant aller jusqu’à 3 300 milliards de dollars pour le tourisme et les secteurs liés, selon une estimation de l’ONU .

Déjà, on apprend qu’en France comme en Espagne, 20% des bars, restaurants et hôtels pourraient fermer d’ici fin 2020
Selon l’organisation patronale représentant le secteur, environ 40 000 établissements d’hôtellerie et de restauration ont déjà fermé définitivement.

Pour les bars, restaurants et autres hôtels en Martinique et Guadeloupe , c’est pas encore l’hécatombe, en raison des aides massives des autorités, mais la situation devrait empirer dans les mois qui viennent à l’instar des sombres prévisions des responsables du secteur touristique , qui prévoient qu’en cas de seconde vague du virus, 25 % des bars, restaurants et hôtels pourraient fermer d’ici fin 2020. Pour les pays de la Caraïbe, le pire est à craindre.
Fortement dépendant de l’activité touristique, les pays de la Caraïbe risquent d’être bientôt touchés sur tous les fronts, et la catastrophe économique et sociale qui les frappera aura des effets qui se propageront dans l’ensemble de la zone Caraïbe , en favorisant la diffusion du virus et en mettant en péril le redressement de l’économie touristique . Les sombres présages vont se confirmer dans la région Caraïbe . Le chiffre d’affaires du secteur pourrait être amputé de 50 % en 2020 , et on craint la perte de 900 000 à 1,1 million d’emplois directs et indirects.

Dans ce contexte faire cavalier seul pour la Martinique et la Guadeloupe n’est plus une option. Les pays qui restent intégrés dans l’Europe seront les mieux placés pour faire face efficacement à la crise à court terme et se relever plus rapidement à moyen terme. Nous Antillais , sortirons beaucoup plus forts de cette crise, si nous travaillons tous en harmonie en nous concentrant résolument sur l’avenir et en faisant pour un temps abstraction de la critique stérile et du « fann tchou » dont nous sommes coutumiers . Les Guadeloupéens et Martiniquais doivent cesser de vivre dans le passé et continuer avec insouciance de jouir de l’instant présent sans penser aux lendemains comme l’atteste le proverbe créole suivant :« Démen sé an kouyon « … demain c’est un imbécile…. Signifie qu’il faut savoir profiter de l’instant présent, demain est incertain….
Raisonner ainsi c’est raisonner à l’envers.

Jean-Marie Nol, économiste