« Crime et châtiment », mise en scène Virgil Tanase

Au T.A.C. de Fort-de-France les mercredi 11, jeudi 12, vendredi 13, samedi 14 novembre 2015 – 19h30 crime_&_chatiment

Compagnie TADA avec :

Serge Le Lay, Thibaut Wacksmann, Arthur Toullet, Morgan Perez, Laurence Guillermaz , Liana Fulga, Noémie Daliès, Laurent Le Doyen, Barbara Grau
Résumé
Un meurtre odieux a été commis. Porphyre Petrovitchi, juge d’instruction, soupçonne un jeune étudiant en droit, Raskolnikov, qui, dans ses articles, exalte le crime au bénéfice d’une cause supérieure. Plutôt que de le confondre sur le terrain du droit, vulgaire et insignifiant, qui transforme l’enquête en un jeu où gagne le plus habile dans la manipulation des arguments, par un processus aussi palpitant qu’une intrigue policière, il conduit le suspect vers ces zones de la conscience où le meurtre est insupportable car il détruit la raison d’être de l’homme en tant qu’homme. Autour de ce noyau, gravitent plusieurs personnages dont chacun offre une image édifiante de la difficulté de vivre, et dont le destin particulier parlicipe au cheminement qui conduit Raskolnilkov aux aveux. De la mort d’un ivrogne qui rêve du pardon de Dieu à la folie de sa femme, de la passion amoureuse de Svidrigaïlov, qui finit par se tuer, à la détresse de Sonia, obligée de se vendre pour secourir ses parents, et de l’exaltation de Raskolnikov à celle de sa sæur qui tire deux balles de revolver sur l’homme qu’elle aime justement parce qu’elle l’aime, il est rare de trouver en littérature – et sur scène également – un tel tableau d’une
condition humaine d’autant plus tragique qu’elle est l’expression de I’impuissance des individus de vivre selon le grain de lumière qui est en eLlx et qu’ils considèrent cornme leur bien le plus précieux.

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Entretien avec Virgil Tanase

Propos recueillis par Nathalie Jungerman

édition septembre 2012
Prix de littérature de l’Union latine et prix de dramaturgie de l’Académie roumaine, Virgil Tanase est né à Galatzi, en Roumanie. Il a fait des études de lettres à l’université de Bucarest et de mise en scène au Conservatoire national roumain. Auteur d’une thèse de sémiologie du théâtre sous la direction de Roland Barthes, il est établi depuis 1977 en France où il a réalisé une trentaine de mises en scène. Devenu écrivain de langue française, il a publié une quinzaine de romans dont le dernier, Zoïa, a paru en 2009 aux éditions Non Lieu. En 2011, les éditions Adevarul de Bucarest ont publié un volume de mémoires et les éditions Axis Libri sa dernière pièce de théâtre, Les Fauves. Auteur, dans la collection « Folio Biographies » d’une biographie de Tchékhov (2008) (FloriLettres n°93 : http://www.fondationlaposte.org/art… – Entretien avec Virgil Tanase, par Nathalie Jungerman) et d’une autre de Camus (2010) (http://www.fondationlaposte.org/art…), il a adapté pour le théâtre des textes d’auteurs divers, de Balzac à Anatole France et Saint-Exupéry en passant par Proust et Dostoïevski. Son adaptation de Crime et Châtiment a été jouée en 2010 au Théâtre des Capucins de Luxembourg. L’année suivante le festival de Grignan a accueilli son spectacle écrit à partir de la correspondance de Dostoïevski.

Vous avez connu l’interdiction de publier dans votre pays, la Roumanie.
Dans « Radioscopie », en 1977, vous dites à Jacques Chancel que « Les autorités craignent une remise en question des mots ». Dans votre essai biographique sur Dostoïevski, la question de la censure est récurrente…

Virgil Tanase Quand j’étais jeune et que je n’avais aucune expérience de la vie, je me plaignais beaucoup de la censure. Puis, je me suis aperçu que la censure dont j’ai été « victime » en Roumanie n’était pas plus dure ni plus pernicieuse que celle de la Russie du XIXe siècle qui n’avait pas empêché Dostoïevski, Tolstoï ou Tchéchov d’écrire et de publier leur littérature. Au risque d’être mal jugé, je reste persuadé que la censure n’a pas tué les littératures des pays de l’ancien bloc de l’Est, comme on le croit souvent, par conformisme. Elle n’a pas empêché quelques grands écrivains d’exister.
Dostoïevski a surtout subi la censure (préventive) des directeurs de revues, avant même l’interdiction des autorités. Mikhaïl Katkov, par exemple, le rédacteur en chef du Messager russe, refuse de publier un chapitre des Démons dans lequel Nikolaï Stavroguine fait lire au supérieur du monastère sa « confession  ». Le personnage raconte la façon dont il a poussé une fillette à se pendre, après l’avoir violée. Dostoïevski se rend à Moscou pour défendre son texte mais Katkov estime ces quelques pages trop choquantes. Elles ne seront publiées qu’en 1923, une cinquantaine d’années après la parution du livre, sous le titre La Confession de Stavroguine. Chez Dostoïevski, la censure touchait des problèmes plus profonds que chez Tchékhov dont les œuvres ont parfois été amputées arbitrairement, pour des raisons stupides et sans fondement. Je me suis rendu compte que la censure d’État s’arrête toujours à des choses assez superficielles. Pour l’éviter, l’écrivain doit précisément creuser jusqu’aux strates profondes de l’existence qui sont d’ailleurs beaucoup plus intéressantes.
Quant à l’interdiction de publier dont j’ai été « victime », elle était liée à une manière d’écrire. J’ai appartenu à un courant littéraire qui se nommait « onirique », le seul courant littéraire dans le sens traditionnel du terme qui a existé dans les pays de l’Est après la Seconde Guerre mondiale. Il n’avait affaire ni avec le Nouveau Roman avec lequel on le confond parfois, ni avec le Surréalisme. En résumé, la théorie était la suivante : le rêve est le symptôme de quelque chose qu’on ne connaît pas, dont nous ignorons les mécanismes. Il n’en reste pas moins que le rêve est « réel », il existe pour celui qui rêve, signe concret (puisqu’on peut se le rappeler) de quelque chose qui se passe dans notre conscience même si nous sommes incapables de comprendre. C’est comme dans le cas d’une maladie dont nous constatons la fièvre sans pouvoir déceler quelle est la cause médicale de cette fièvre. Façon de dire qu’il y a dans notre conscience, dans notre esprit si vous préférez, des zones qui s’expriment mais dont la compréhension nous échappe. Cette littérature qui construisait des images était comme un morceau de pierre qu’on sculptait pour trouver la pureté de l’image ordonnatrice de l’écriture. On assemblait les images qui nous venaient à l’esprit, sans essayer de les interpréter, mais par ces images qui sont les symptômes réels de ces choses qui échappent à la raison, on donnait la sensation de la complexité de l’homme. L’onirisme était critiqué, harcelé par les autorités. On était en contradiction fondamentale avec un système marxiste positiviste qui contestait tout ce qui n’est pas rationnel et qui ne s’inscrit pas dans une logique évidente et explicable de l’histoire. En Roumanie, certains écrivains importants qui critiquaient le système ont réussi à publier parce qu’on leur demandait de supprimer une phrase ou deux, voire un chapitre, mais l’onirisme était une littérature fondamentalement opposée. On ne pouvait pas supprimer des passages, c’était la structure même qui était interdite. Les censeurs avaient la juste intuition qu’il s’agissait d’une attitude profondément hostile, différente de la leur.

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