Crépuscule de la Ve République

La chute du régime n’a pas commencé avec Macron, mais son départ ne serait pas un geste gaullien.

— Contrechroniques d’Yves-Léopold Monthieux —

En ce pic de la crise politique actuelle qui est sans précédent en France par temps de paix, je prends connaissance des réflexions à ce propos de trois personnalités honorables de la classe politique nationale. J’y découvre quelques idées exprimées dans mes écrits, notamment en janvier et février 2017 dont les extraits ci-dessous.

Première idée, le fait de “s’accrocher à la ligne de partage gauche-droite relève d’une forme de conservatisme voire de paresse intellectuelle. Le repli identitaire remplit le vide de la pensée politique avec ses relents d’ostracisme et de xénophobie. Ce recul est classé à l’extrême-droite en métropole, à gauche en Martinique”. Deuxième idée, “la 5ème république s’essouffle : les modifications qui lui ont été apportées ainsi que le retour de la prépondérance des partis politiques en ont altéré l’esprit et l’efficacité”. Troisième idée, “au moment où des phénomènes politiques bousculent l’Europe, la France ne pouvait pas demeurer quasiment le seul pays occidental où il ne se passerait rien d’important sur le plan de son organisation politique. Mais en France les crises politiques sont souvent des crises de régime. Elles se terminent généralement par un changement de république”.

Le politologue Dominique Reynié admet qu’il aurait fallu faire entrer le Rassemblement national dans un gouvernement dominé par la droite classique. Il estime dommageable pour la démocratie le fait d’avoir empêché l’accès au pouvoir à un parti républicain. L’occasion aurait été ainsi perdue de se purger de ce parti qui ne pourrait que se décrédibiliser dans l’exercice du pouvoir. Pour sa part, l’ancien ministre Jean-Louis Borloo démontre avec fougue que loin d’être centralisé, le pouvoir est au contraire disséminé à travers son millefeuille administratif et sa multitude d’institutions et d’organismes qui se font parfois concurrence. Par ailleurs, au vu des derniers développements de la crise, le journaliste Alain Duhamel avoue avec émotion sa crainte pour la première fois de sa vie, dit-il, de voir disparaître la démocratie. Trois confessions, trois expertises.

L’analyse de ces experts me conduit à exprimer un pressentiment que j’hésitais à formuler clairement. Depuis Chirac II, tous les présidents de la République ont été élus grâce au FN/RN, soit que ce parti ait soutenu directement ou non le vainqueur, soit qu’il ait affronté celui-ci au second tour. En même temps, la montée de ce parti conduit de façon inarrêtable le régime vers sa chute. Chaque occupant de la fonction présidentielle descend d’une marche vers l’inconnu. François Fillon ou Marine Le Pen était appelé à occuper la dernière ou l’avant dernière marche quand les forces médiatiques et judiciaires ont conduit Emmanuel Macron à occuper cette place. Il apparait en effet que le régime touche à sa fin. En 2022, la classe politique s’était inquiétée de murmures provenant d’anciens militaires de haut rang. Ils avaient été reçus comme une déclaration de disponibilité. Tout récemment, dans le flot des débats de l’heure qui inondent les plateaux de télévision, un intervenant osa prononcer le nom du général Pierre de Villiers. Pas plus que la gravité des craintes exprimés par Alain Duhamel, cette incise n’a suscité de réactions de la part des commentateurs, interdits.

En 1940 et 1958, le sursaut de la France avait eu besoin d’un autre général, chef du gouvernement provisoire en 1944, président du Conseil puis président de la République en 1958, Charles de Gaulle. En 1940, la France aurait pu disparaître sous le coup de forces extérieures, l’Allemagne et le nazisme. Elle avait survécu, d’abord grâce à des forces extérieures, l’Angleterre, la Russie et les USA, et de Gaulle. Dans les années 1950 elle a connu une crise prolongée de régime due à son instabilité ministérielle et son contentieux colonial qui conduisit au retour de de Gaulle. Pour l’heure, la France risque tout simplement l’implosion institutionnelle et le saut dans l’inconnu.

L’idée d’une assemblée constituante a été avancée par des élus en vue de l’élaboration d’une nouvelle constitution. Cette tâche serait donc confiée à des parlementaires dont le désir gourmand est de supprimer la fonction de président de la République ou, à tout le moins, ses principales prérogatives, et d’en revenir aux délices de l’instabilité ministérielle qui vient d’être réamorcée. Quel nouveau régime démocratique pourrait utilement remplacer celui qui a su résister à tous les gros temps : la guerre d’Algérie, l’OAS, les émeutes de mai 1968, deux cohabitations ? Des mécanismes juridiques appropriés avaient permis de faire face aux situations les plus inattendues. Le président avait pu faire usage de l’outil ultime, les pouvoirs exceptionnels de l’article 16 au-delà duquel on ne serait déjà plus en démocratie. Nul ne sait ce que serait la situation si l’article 49–3 n’avait pu être utilisé depuis Michel Rocard. De sorte que l’ampleur des difficultés du moment et des incertitudes à venir militerait, au contraire, pour un retour à la mouture originelle de la constitution de 1958, juste augmentée par sa modification essentielle, l’élection au suffrage universel du président de la République. L’alternative serait donc entre le retour de la Vème République, modifiée en 1962, et l’instabilité ministérielle d’avant 1958.

Ainsi donc, il est recommandé de toutes parts à Emmanuel Macron de quitter le gouvernement au nom de la pureté gaullienne. C’est méconnaître le sens de cette pureté liée à la conception du devoir que se faisait le général de Gaulle. Ce dernier venait régler les crises, il ne les fuyait pas. Il n’a jamais quitté le pouvoir avec la chienlit derrière lui. Déjà, en janvier 1946, il avait quitté le gouvernement provisoire en bon état de fonctionnement. Lorsqu’il est parti en 1969, très certainement pour cause de fatigue, sa succession était assurée. Son ancien Premier ministre Georges Pompidou avait fait son “appel de Rome” annonçant sa disponibilité pour la fonction, la majorité était prête à l’accueillir. Gaston Monnerville n’était plus président du Sénat, ce qui aurait constitué pour lui une difficulté, s’agissant de l’intérim du pouvoir. Une fois connus les résultats négatifs de la métropole, il annonçait sa décision en excluant expressément de la modifier si le vote de l’outremer venait à inverser l’issue du référendum.

Il ressort de tout ce qui précède qu’aucun président de la République contraint à la démission ne peut prétendre au geste gaullien. Poussé vers la sortie par les évènements, Emmanuel Macron ne peut espérer une sortie gaullienne.

Fort-de-France, le 07 octobre 2025