Coronavirus : la communication pitoyable du gouvernement

— Par Anne-Sophie Chazaud, philosophe, haut fonctionnaire et auteur d’un livre à paraître aux éditions L’Artilleur consacré à la liberté d’expression, à paraître en avril 2020.—

« Il suffit d’écouter chaque matin une déclaration de Sibeth N’Diaye, et l’on peut être sûr que la réalité démontrera l’inverse le soir même. »

La crise sanitaire que nous traversons est la révélatrice de toutes les autres : sociale, économique, financière, politique, culturelle, idéologique. Elle fonctionne, à ce titre, non seulement comme une maladie collective (ne jamais oublier que pandémie et démos partagent, par nature, le même radical étymologique) mais aussi comme un symptôme dont il importera, le moment venu, d’analyser ce qu’il a à nous dire et d’en tirer tous les enseignements.
Une parole disqualifiée

Or, s’il est un aspect de la gouvernance actuelle dont cette crise manifeste avec fracas l’ineptie, c’est bien celui de la parole publique et de ses choix communicationnels, totalement et durablement disqualifiés, à la fois cause et conséquence d’un immense déficit de confiance, particulièrement préjudiciable en la circonstance.

Plus précisément, le choix de la communication en lieu et place de l’action publique, en leurre ou en dissimulation de celle-ci, produit désormais le spectacle d’un pathétique et coupable naufrage. Être « fiers d’être des amateurs » s’accommode mal de l’Art de la guerre.

Nul doute que tous les pays qui pratiquent de la sorte sont peuplés d’imbéciles heureux

Pour s’en convaincre, il suffit d’écouter chaque matin une déclaration de Sibeth N’Diaye, la porte-parole du gouvernement, et l’on peut être sûr que la réalité démontrera l’inverse le soir même, à la manière implacable d’une grenouille météo inversée. C’est par exemple elle qui le matin qualifiera de « fake news » les rumeurs de confinement de la population lorsque cette décision (indispensable) sera annoncée, à mots certes euphémisés, une douzaine d’heures plus tard par Emmanuel Macron. Et que ce dernier se rassure : les Gaulois, même réfractaires et illettrés, comprennent parfaitement ce mot.

C’est la même personne – qui en d’autres temps serait comique – qui, parmi d’autres, n’hésitera pas à marteler d’un ton particulièrement assuré, à la façon des médecins de Molière, que se protéger et protéger les autres en portant un masque ne « sert à rien ». Nul doute que tous les pays qui pratiquent de la sorte sont peuplés d’imbéciles heureux.

Pareillement, cet exécutif n’avait pas de mots assez durs pour fustiger ceux qui, habitant notamment la région lyonnaise, ont été contraints de subir, médusés, le maintien d’un match de 60.000 personnes entre l’Olympique Lyonnais et la Juventus de Turin, accueillant des supporters du Nord de l’Italie dont on savait déjà, au moment de cette décision, que la maladie s’y développait de manière extrêmement préoccupante. Les méfiants étaient traités avec mépris et suffisance de Cassandre, comme cédant à des ramassis de fake news et d’informations non scientifiques tandis qu’on martelait que la décision avait été prise avec l’avis des experts. S’inquiéter ne servait donc à rien et ne constituait que de la basse politique ou du colportage de ragots. On a vu le résultat.
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Fermer les frontières ? Pareillement, cela ne « sert à rien ». Rien ne servait visiblement à rien. A ceux qui demandaient cette mesure impérative prise dans de nombreux pays que l’on imagine, tout pareillement que pour le port de masques, peuplés d’imbéciles plus ou moins ignares, on répondait par du salmigondis de politique partisane et idéologique avec les vieilles lunes du néo-libéralisme agonisant et anti-souverainiste, on parlait de « repli nationaliste », on racontait qu’un virus n’avait « pas de passeport » et autres stupidités pour spécialistes des éléments de langage disruptifs. Un virus n’a pas de passeport, certes, mais celui qui en est porteur lui a un passeport (en règle générale) et il eut été bienvenu de limiter la propagation de la maladie par cette mesure de bon sens, de la même façon qu’en période de confinement on ne fait pas rentrer tout le monde chez soi.

Faire des tests systématiques, comme dans certains pays asiatiques qui, de la sorte, ont vaincu la maladie ? Là encore, vous n’y pensez pas, cela ne « sert à rien », contrairement à la préconisation très claire de l’OMS sur ce sujet précis, cela ne sert à rien comme tout le reste, et de toute façon, cela tombe rudement bien puisque, par amateurisme et impréparation coupable, l’Etat ne s’est pas donné les moyens matériels de ces mesures prophylactiques. Ces choses nous échappant parce que nous avons été assez stupides pour réduire les budgets et les coûts en croyance béate que les stocks mondiaux suffiraient et que l’austérité budgétaire était la panacée, feignons d’en être les organisateurs. Certains, de fait, en sont les coupables agents, et de tout cela, après la crise, ils auront à rendre des comptes.

Il n’est pas un domaine dans lequel la parole publique portée par cet exécutif ne soit profondément disqualifiée

Rien ne sert à rien, visiblement, à part raconter n’importe quoi en changeant d’avis du jour au lendemain ou plusieurs fois dans la même journée de façon ridicule et continuelle. Aller au théâtre pour dire que l’on ne va rien modifier à nos modes de vie, comme si le coronavirus était un combattant de l’état islamique sensible à la bravade, pour quelques jours plus tard décréter le confinement général, aller se promener avec gardes du corps et journalistes sur les quais de Seine, en plein confinement, pour ensuite fustiger les habitants, certes inconscients qui ont eu l’outrecuidance de faire de même (sans gardes du corps, donc moins nombreux tout de même…), dire que l’on sera chez soi, confiné mais pas trop, par peur des mots, par peur du réel, par peur aussi d’assumer de façon claire des décisions qui remettent de manière profonde en cause le modèle et les choix que l’on a jusqu’ici défendus (mondialiste, néo-libéral et espérant tout d’une Union européenne qui a, une nouvelle fois, fait la démonstration de son inanité voire de sa nocivité) et dont cette pandémie est un des résultats.
Le mépris des travailleurs

Passer des mois dans le mépris de la révolte sociale, celle notamment du monde médical et du secteur hospitalier qui n’a cessé d’alerter, pour subitement découvrir comme d’autres découvrent la lune, qu’un État fort a besoin de ces secteurs et que l’État-providence n’est pas une lubie pour vieux staliniens arriérés. Il n’est pas un domaine dans lequel la parole publique portée par cet exécutif ne soit profondément disqualifiée.

Le tout récent cafouillage coupable voire criminel consistant à vouloir contraindre les forces de l’ordre chargées de faire respecter les mesures de confinement sans aucune protection, tout comme les propos stupéfiants de Muriel Pénicaud, la ministre du Travail anciennement DRH de Danone qui a, pour l’occasion, servi un discours en forme de yaourt aux entreprises du BTP, les accusant de « défaitisme » au motif que les employés respectaient les règles de confinement, suscitant par son incohérence mais aussi le mépris coupable de ses paroles, l’ire de la Fédération française du bâtiment, n’est qu’un des derniers avatars de cette ineptie à la gouverne.

Pour l’heure, les Français retiennent leur souffle et, globalement, respectent les consignes, à l’exception notoire de nombreuses enclaves des territoires perdus de la République dont, curieusement, cet exécutif si prompt à prendre la parole pour dire tout et n’importe quoi, ne dira naturellement pas un mot, préférant y envoyer des forces de l’ordre sans masques se faire cracher dessus (lesquelles doivent à présent s’interroger sur la docilité avec laquelle elles ont accepté de réprimer pendant des mois l’opposition sociale, dont celle des personnels infirmiers et hospitaliers…).

Puisque rien ne semble servir à rien, il sera temps alors de se demander à quoi aura servi La République en marche.

Lorsque le combat sera gagné, grâce à tous ces Français travailleurs, ces caissières, ces agents de l’État qui continuent de faire tourner la boutique, ces professions de « privilégiés nantis » sur lesquelles on a tellement tapées pendant des mois, ce sera l’heure des comptes et les pirouettes ineptes du « en même temps » ne passeront plus. Surtout si la justice, comme il est prévisible suite aux graves révélations d’Agnès Buzyn, s’en mêle.

Et, puisque rien ne semble servir à rien, il sera temps alors de se demander à quoi aura servi La République en marche.

Source : Marianne