« Contes de l’âme antillaise » , de Jean-Mico et Léonie Terrine

— Par Widad Amra —


La main se pose, tâtant le livre, le caressant, s’y promenant, comme l’on fait des objets d’art. Couverture noire et bleue, hiéroglyphes satisfaisant les yeux. Le livre s’appelle Contes de l’âme antillaise Kontè Kréyol, signé Jean-Mico et Léonie terrine, aux éditions Exbrayat. Traduction créole : Pierre Pinalie.

Le livre s’ouvre, la main tourne les pages. Le regard plonge dans l’univers magique de l’esthétique, happé par l’uniformité de l’ensemble en un concert de bleus variés. Bleu indigo, bleu ciel, bleu roi, bleu marine, bleu nuit, bleu azur, bleu outre-mer. D’une page à l’autre, le bleu varie, occupant presque tout l’espace, offrant son éventail, servant d’écrin, aux mots, aux dessins, aux couleurs. Servant de support à la langue du conte : le créole. En bordures blanches, le texte en français. Le livre est beau. S’en dégage le souffle étonnant d’une cosmogonie personnelle. Un lieu surréaliste .

Allant plus loin, la main le frôle, délicatement, l’apprivoisant, y revenant, cherchant le code, y découvrant sur fond marin, sur fond de ciel, sur fond de vie, le soleil, la lune, la divinité, et la terre. Sur la terre, il y a les oiseaux et les poissons, les fleurs, les bons et les méchants, les joueurs de tambour, la main de l’artiste, l’œil qui observe et tout ce que le lecteur n’a pas encore saisi. Tout le visible, tout l’ invisible de l’univers.

Certes, l’œil est d’abord happé par la beauté de l’ouvrage. Dessins à priori secrets, comme faits pour stimuler l’imaginaire, univers faisant penser tantôt à Klee ou à Miro, mais tout simplement faisant découvrir Jean Mico Terrine.

L’émotion est là. L’œil cette fois s’attarde , sur la structure de l’ouvrage, sur les mots. Les premières pages soupèsent le monde, l’interrogent, présentent le conte – poésie – allégorie. Conte dont la signification est «  que nous comprenions qu’un patrimoine si méprisé, presque oublié, c’est notre corps que nous fouillons dans la terre ». Patrimoine venant de la diversité des hommes : « Ce n’est pas à un groupe d’hommes de créer un pays, ce sont les peuples qui créent leurs pays. Chaque composante de chaque peuple a un mot à dire, une pensée ayant du crédit, une action qui doit être prise en compte. Alors conteur, tu peux conter ! Tu as le droit de conter ! » Et l’on nous conte : Le verbe avant la parole et parfois les paroles meurtrières : «  Toute nourriture est bonne à manger, toute parole n’est pas bonne à dire ». On y reste, on y traîne dans ces premières pages, expliquant l’âme humaine et la cadence du conte.

Puis vient la deuxième partie de l’ouvrage Kat kontè ka konté. Quatre portraits de conteurs et leur approche du conte: Vincent Chevignac, Amélius Ventose, Génius Boniface Marie Sainte, Met Lavier. Et Bonsoir, que la ronde commence !E krik !

Et les conteurs de raconter : la création, le bien, le mal, la vie, la mort, les injustices et les mensonges, la destruction de la nature, les chanteurs, les boiteux, les nègres du Lorrain et ceux de fond Bernier, les sorcières, Sainte Marie. E krak !

Et la parole finale est la suivante : «  le conte, ce n’est pas seulement des mots….C’est l’esprit de l’homme, l’esprit réveillé, l’esprit libéré . Libéré des cancans des hommes, qui exprime sa présence dans tout l’univers. Avec sagesse, avec force, en toute beauté. »

Très beau livre, née de la conjugaison d’imaginaires, de la convergence des compétences, de la richesse que nous offrent le créole et le français, et au delà s’ offre à nous l’âme de l’humain, s’ancrant dans le contexte martiniquais pour s’envoler vers l’universel.

Widad Amra