Comment naissent les religions

Christianisme, islam, bouddhisme, les trois religions aux milliards de fidèles sont des créations de fin d’empire, les traînes des trois empires-mondes que sont Rome, la Chine et l’Islam. De ces religions Gabriel Martinez-Gros ne retient ici qu’un point commun, le moment où elles sont nées, lorsque l’impuissance croissante du pouvoir impérial dissocie son action politique de son système de valeurs, lorsqu’il passe de l’agir militaire et politique au dire religieux.

La résonance avec le monde moderne est frappante. La fin de l’extraordinaire poussée économique et démographique de la modernité (1800-2050), où l’Occident, empire informel, étendit sa domination, devrait ainsi voir une nouvelle émergence religieuse, de la même façon que l’affaiblissement de Rome aux IIIe-IVe siècles, la disparition des Han à la même époque, le naufrage du califat islamique entre IXe et XIe siècle ont abouti à des éclosions religieuses. Telle est l’idée majeure de ce livre aussi brillant que novateur, porté par une érudition confondante.
Gabriel Martinez-Gros, historien, spécialiste de l’islam médiéval, montre que trois religions – le christianisme, l’islam et le bouddhisme – sont nées de l’effondrement des empires. Et s’attend à ce que la fin de la suprématie occidentale crée une nouvelle religion à prétention universelle.

La presse en parle :
« La traîne des empires. Impuissance et religion », de Gabriel Martinez-Gros, aux éditions Passés/Composés, 240 pages, 21 euros.

Par Guillaume de Calignon

Le propos

C’est un livre étonnant, dense et passionnant. Etonnant parce que l’ouvrage se base sur les théories d’Ibn Khaldûn, un intellectuel musulman qui vécut au XIVe siècle. Dense parce qu’en un peu plus de 200 pages, son auteur aborde 3 000 ans d’histoire. Et passionnant parce que ce voyage dans le temps et dans l’espace, raconté d’une belle plume, nous dit quelque chose sur notre monde actuel. Gabriel Martinez-Gros, historien, spécialiste de l’islam médiéval, compare les empires romain, islamique et chinois dans son livre, et la naissance de trois religions qui se veulent universelles : le christianisme, l’islam et le bouddhisme.
L’intérêt

Il montre, en prenant appui sur Ibn Khaldûn, qu’il existe une sorte de loi historique : les religions naissent à la fin des empires, quand ces derniers, moribonds, perdent leur puissance militaire mais que les valeurs universelles qui portaient ces empires, sont, elles, encore bien vivantes. C’est alors qu’elles sont reprises par les populations marginales de ces territoires et qu’elles forment, plusieurs générations après, une religion. En s’effondrant matériellement, l’empire libère les masses et permet l’éclosion de forces morales basées sur les principes de la puissance précédente.

De 1800 à 2050, l’Occident aura régné sur le monde, grâce à la révolution industrielle et l’enrichissement des populations européennes et nord-américaines. L’essor de régions telles que la Chine, l’Inde, l’Afrique et le Moyen-Orient, le vieillissement occidental et sa perte du leadership ressemblent à la fin d’une sorte d’empire et laissent augurer de la création d’une nouvelle religion.

La religion après l’empire

« Impuissance », c’est le mot clé du dernier livre de l’historien médiéviste Gabriel Martinez-Gros, La traîne des empires. En s’inspirant d’Ibn Khaldûn, ce spécialiste de l’histoire de l’islam propose une réflexion sur la façon dont les religions succèdent aux empires lorsqu’ils deviennent « impuissants ». 

Alors que nous pensions que s’approfondissait le sens de l’unité du genre humain (au-delà des caractéristiques anthropologiques physiques), de l’infinité de la personne (au-delà du citoyen et des droits de l’homme eux-mêmes), et de l’unicité de la terre (lieu unique de l’aventure humaine), alors que nous étions certains que nous avions enfin touché quelque chose de vraiment commun, au-delà de la « réalité » créée par l’effectivité de la technoscience liée au régime capitaliste de production, voilà que tout se disloque à nouveau. Nous étions pourtant arrivés au point de réhabiliter une notion d’empire préalablement repensée, en rupture avec des modèles séculaires de domination, comme un moyen de parvenir à une globalisation pacificatrice et émancipatrice. Mais voilà que resurgissent des velléités impériales régressives (chacune avec ses origines et ses objectifs), prises dans le jeu infantile du « c’est à moi, c’est mon tour, maintenant », réduisant à l’impuissance les institutions qu’une conscience nouvelle du destin de l’humanité s’était données, un jeu qui nous entraîne dans la spirale sans fin de la rivalité et de la concurrence…

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« La Traîne des empires. Impuissance et religion », de Gabriel Martinez-Gros, aux éditions Passés/Composés, 240 pages, 21 euros.
ISBN 978-2-3793-3590-7
Parution 31/08/2022
Pagination 240 pages
Format 14 x 22
Prix 21 €
Source : Les Échos