Claude Henry, la poésie en couleurs au Diamant

— Propos recueillis par Rodolf Étienne —

Installé au Diamant, Claude Henry, artiste peintre martiniquais, a ouvert son atelier-galerie « Aux Couleurs Locales » face à la mer. Anciennement installé à Gallochat, il a choisi ce nouveau lieu « séduit par la sérénité et la solidarité des habitants ».

Rodolf ETIENNE : Tu as entamé ta carrière d’artiste peintre en France, avant de t’installer en Martinique. Pourrais-tu nous présenter ton parcours ?

Claude HENRY : Oui, j’ai tenu un atelier-galerie d’abord en France, à Biot, dans l’arrière-pays de Nice. Je l’avais ouvert avec un ami. Nous y avons travaillé ensemble. C’était un village artisanal, qui est devenu un village de souffleurs de verre réputé. Puis, les choses se sont enchaînées et je suis rentré au pays, ici, en Martinique.

R.E : Et quelque chose s’est passée en Martinique, quelque chose qui a changé ton style ?

C.H : Ah ben là, j’ai retrouvé, justement, une Martinique riche en culture. Oui, il y avait de quoi faire. Il suffit d’observer autour de soi pour découvrir toute la richesse identitaire. Il faut que nous soyons tous fiers de cette identité, qui est riche, riche en couleurs, mais aussi riche en joie de vivre. Il y a certes cette histoire qu’il ne faut pas oublier, histoire sombre, plus ou moins taboue. Mais il y a aussi ce côté couleurs, ce côté joie de vivre. Alors oui, j’essaie de mettre toute cette émotion dans mes tableaux. J’essaie de faire de la poésie. De la poésie, en peinture. J’essaie de mettre de la poésie dans mes tableaux.

R.E : On t’a connu installé à Gallochat. Maintenant, tu es au Diamant. Pourquoi un tel changement ? Pour te rapprocher du public ? Pour vivre autre chose ?

C.H : Disons qu’au bout de onze années, il y avait comme une sorte de lassitude. Ça faisait un moment que j’étais là, et nous, les artistes, c’est bien connu, on n’aime pas trop les habitudes. Et donc, cette lassitude commençait à peser. J’ai donc décidé de chercher un autre local ailleurs. J’ai trouvé cette maison qui m’a tout de suite séduite. Il y a une grande sérénité au Diamant. Les habitants aussi manifestent une grande solidarité.

R.E : En tant qu’artiste installé depuis un moment à la Martinique, que penses-tu globalement de la scène picturale et artistique ? Qu’est-ce que tu penses du monde des artistes, de l’approche artistique en Martinique, du regard du public ?

C.H : Ah, comme on dit, lavi artis rèd. Il y a des talents qui restent cachés, c’est ça qui est dommage. Bon, effectivement, c’est pas évident tous les jours… Au début, c’était un peu timide, et puis on s’aperçoit de plus en plus que le Martiniquais s’intéresse à la peinture, à l’art. Je sens qu’il y a des gens qui viennent et qui ressentent véritablement quelque chose au contact des œuvres. Parce qu’après tout, un tableau c’est d’abord un ressenti. On essaie d’enlever tout ce qui est superflu et de garder le principal, le ressenti, la joie de vivre. C’est ce que j’essaie de représenter par le choix des couleurs, par exemple… Quand on me dit, même les jeunes qui me disent : « Ah, la couleur, c’est joyeux », pour moi ce n’est que du bonheur. Quand je vois que les tableaux plaisent, c’est ce qui fait ma joie d’artiste, même si on ne peut pas plaire à tout le monde. Mais c’est très bien comme ça, justement. C’est la vie… Et puis, d’un autre côté, je pense qu’entre artistes nous-mêmes, nous ne sommes pas assez solidaires… Je trouve que chaque artiste est dans son coin, qu’il n’y a pas assez de rencontres, de partages. Nous devrions pouvoir nous rencontrer plus souvent. Il est tout de même vrai que ce n’est pas évident, parce que chacun vit sans sa bulle. Nous sommes chacun dans notre bulle. Mais ça pourrait être enrichissant que nous échangions plus.

R.E : Tes thèmes favoris sont clairement évidents. On voit beaucoup de yoles chez toi, beaucoup de femmes, des scènes de vie typiques de la Martinique. C’est un parti pris, c’est un choix que tu as fait. Il y a aussi chez toi une certaine approche de la couleur en particulier. Comme tous les artistes peintres, tu es passionné de couleur…

C.H : Oui, il faut user des couleurs. J’essaie de mettre justement en avant ce côté joie de vivre que je ressens à travers la couleur. Après, je n’aime pas m’enfermer dans un style, c’est peut-être un défaut. Aujourd’hui, je vais faire un paysage, demain, je vais faire un portrait. On en apprend tous les jours. C’est aussi ça le but. On se lance constamment de nouveaux défis. Alors, soit on est content, soit on est surpris, soit on n’est pas content. Cela dit, on n’est jamais content de soi, totalement satisfait de soi. On garde toujours ce côté perfectionniste en soi.

R.E : Tu as aussi privilégié différents formats pour un choix plus large, en matière de prix, notamment. L’art accessible à tous… Il y a aussi chez toi cette démarche qui se veut commerciale, qui soutient véritablement la vie de l’artiste.

C.H : Je n’aime pas le côté commercial. Moi, je fais des petits formats, des grands formats. Je peux faire des petits tableaux pour faire des essais, par exemple. Ce n’est jamais intéressant de refaire le même tableau. Je vais refaire le même thème, avec des variations. Sur la montagne pelée, par exemple, je vais changer, je vais peut-être prendre le même élément, mais tout autour, je vais changer, je vais composer autre chose, on retrouvera une autre ambiance, un autre univers, une autre atmosphère.

R.E : Alors, venons-en maintenant aux cours particuliers.

C.H : Oui, les cours particuliers… Ainsi, je n’ai pas l’impression de travailler, je m’amuse en transmettant. Donc, les cours de dessin et de peinture, je trouve que c’est formidable. Quand tu as des gens qui veulent dessiner, mais qui se disent “je ne sais pas”. Et puis, finalement, les choses deviennent simples, parce que tout est lié d’abord à l’écriture. On fait un O, un A, c’est du dessin. Après, il y a le fait de former un geste que l’on connaît déjà. Puis, éduquer la main, l’œil aussi, parce que tout est observation. Le peintre débutant a toujours tendance à sauter les étapes. Tiens, je vais dessiner une bouteille, hop, je dessine la bouteille directement. En cours, avant de dessiner une bouteille, on va raisonner, savoir comment on va la dessiner. On va suivre une technique ou une méthode. Passer par un carré, un rectangle. Quand on regarde la nature, tout est très géométrie, tout est symétrie. C’est du pur bonheur quand tu vois un élève progresser.

R.E : Dernier sujet à aborder, les jus frais locaux. Un petit plus de l’atelier-galerie ?

C.H : Les jus… Les jus… D’où est venue cette idée du jus ? Qui, effectivement, rajoute un petit plus quand même.

R.E : C’est de la convivialité ? C’est de la découverte ?

C.H : J’ai un peu vécu dans la restauration. C’était avec mes parents qui tenaient un restaurant. J’y faisais des petits extras, ça m’a permis de connaître un peu ce métier. C’est presque un virus, la restauration. Donc, c’est partager une passion, d’abord. Partager une passion, partager un sentiment, une émotion. C’est un art aussi. Et puis, j’ai voulu faire un produit d’appel. Je me suis aperçu que de proposer des jus attirent d’autres gens. Ah ben tiens, ils passent un moment ensemble, sympa. Et avant de partir, ils vont prendre une petite carte postale, ou un tableau, ou autre chose… Il y a des gens qui viennent pour les tableaux, et puis ils prennent un jus. Oui, les jus, c’est plus de convivialité. Il y a des gens qui viennent juste pour un jus. Ils ont passé un moment sympa. Ils ont aimé mon jus et ils reviennent.

Infos Plus

Atelier-Galerie Aux Couleurs Locales. Exposition-vente, cours de dessin. Ouvert tous les jours de 9h à 18h. Entrée libre. Adresse : 4, rue des Arawaks, Le Diamant. Contact : 0596. 68. 65. 54/0696. 45. 04. 47. Site Internet : www.claude-henry.fr.