« Cette guerre que nous n’avons pas faite » de Gaël Octavia

— Par Selim Lander —

Après L’histoire du royaume de Mirpou de Stanislas Sauphanor, une pièce lauréate du concours jeune public d’ETC-Caraïbe présentée récemment à l’Atrium, voici une autre pièce couronnée cette fois par le prix ETC-Caraïbe Beaumarchais. On ne peut que saluer la chance qui est ainsi donnée aux jeunes auteurs antillais qui se sont fait remarquer par la qualité de leurs textes de les voir montés et joués devant leur public, ce qui ne les empêche pas de se produire également sous d’autres cieux.

Gaël Octavia a passé toute sa jeunesse en Martinique. Comme Congre et Homard, une pièce précédente de cette auteure déjà présentée ici, Cette guerre que nous n’avons pas faite se rattache par trop de références aux Antilles françaises pour que le public de l’Atrium ne se reconnaisse pas dans la figure du matamore imaginée par G. Octavia. Le sujet de la pièce ne peut que parler, en effet, à un peuple qui a (eu) des velléités d’indépendance et qui manifestait il n’y a pas si longtemps le désir de devenir maître chez lui (« Péyi la sé ta nou »). Car c’est très précisément de cela qu’il s’agit dans Cette guerre… Cela étant, il serait absurde de réduire la pièce à la situation des Antilles françaises. Pris au pied de la lettre, le texte ne dit pas où l’on se situe et, de fait, sa portée est universelle. Qui n’a pas au fond de lui une révolte rentrée ?

G. Octavia est une orfèvre en matière d’écriture théâtrale. Ses textes sont ciselés avec un poinçon très fin. On ne parle pas ici d’une langue qui serait un tant soit peu précieuse mais de la construction de la pièce. La langue, pour sa part, est ici celle d’un récit sans fioriture mais où affleure constamment un humour grinçant. Exemple :

« Au bout d’un moment, tout ça m’a semblé long. J’avais mal au pied – j’avais gardé les élégantes chaussures que tu m’as offertes pour mon anniversaire, chefs-d’œuvre d’un bottier milanais dont je pare mon pied rustique en l’honneur de tes repas du dimanche. Les orteils à l’étroit, le soleil qui tapait sur ma nuque embourgeoisée, ma chemise Saint Laurent trempée de sueur, je me suis découragée, Maman. »

La construction, quant à elle, nous fait passer par des retournements de situation successifs. Le guerrier n’est pas celui que l’on croit au début et il en va de même pour son copain pacifiste. Enfin tout commence ou presque par un enfant et tout s’achève sur ce même enfant, quoique pas tout-à-fait le même. Quant à la guerre, si elle n’aura pas été faite (mais ça le titre nous l’avait déjà appris), l’espoir d’une révolution ne sera pas complètement éteint. Disons pour terminer là-dessus que la forme est celle d’un monologue adressé (à la mère) ce qui permet d’introduire une sorte de dialogue.

Une pièce de théâtre ne se juge vraiment qu’à l’épreuve du plateau. Mais à ce niveau l’auteur n’est plus le seul responsable. Il a écrit son texte ; une équipe s’en saisit et le transforme en spectacle. Disons tout de suite que le passage à la scène est un succès. Cela tient d’abord à l’interprète, Vincent Vermignon, qui se montre particulièrement convaincant dans le rôle du faux reître. Grand, vaguement barbu, dans la défroque dépenaillée d’un soldat en déroute, fort en gueule tout en laissant paraître quand il faut la détresse intérieure de son personnage, il incarne à merveille le « guerrier » imaginé par G. Octavia. Un seul bémol : s’il est clair que ce texte le plus souvent véhément ne peut être distillé dans la lenteur, il ne faut pas confondre énergie et précipitation. Face au débit quelque peu débordant de V. Vermignon, nous goûtons d’autant plus les moments où – le plus souvent face au public – il prend le temps de s’exprimer à peu près posément.

La mise en scène de Luc Clémentin, très dynamique, est en adéquation avec le texte. Elle utilise le décor (signé Théodora Kanelli) qui se compose à première vue d’une table en fer à cheval, ouverte vers le public, encombrée des reliefs d’un repas. Cependant, à jardin, un guéridon recouvert d’une nappe trouvera son utilité  en devenant une table de bistrot, ce qui fera finalement deux lieux distincts entre lesquels le comédien pourra naviguer (accompagné par les lumières du régisseur Mathieu Bouillon) : le bistrot où le personnage rencontre d’autres « guerriers » de son acabit et la salle-à-manger de la mère, prospère entrepreneur. Des effets sonores (de Vincent Pourrageau) sont introduits à bon escient pour illustrer les récits des combats.

En conjuguant tous ces éléments, on réalise un spectacle qui a soulevé l’enthousiasme du public dans la salle Frantz Fanon – comble pour la circonstance – de l’Atrium, lors de l’unique représentation à Fort-de-France, le 12 mai 2017. Cette guerre que nous n’avons pas faite avait été créée préalablement à « Lilas en scène » en novembre 2016. Elle sera rejouée le 20 mai 2017 à l’Artchipel en Guadeloupe. Souhaitons-lui longue vie au-delà de ces premières représentations.