Ces « 40% » qui rendent fous !

— par Yves-Léopold Monthieux —

Cet article vient en réponse aux réactions suscitées par la chronique précédente : « Retraites : qu’en est-il des Non-fonctionnaires ? » Mais les évènements se bousculent et au moment où j’écris ces lignes, la boucle semble bouclée. Plus française que la France, la Martinique s’est érigée en chef de file des « gaulois«  contre la réforme de la retraite. Forte de cet intégrisme, elle pourrait atteindre sinon dépasser le record de durée de la grève du Cartel des fonctionnaires, en 1952. Il s’était alors agi de justice et de dignité tandis que le spectacle donné aujourd’hui à la télévision révèle de curieuses finalités et, plus encore, des méthodes singulières de solidarité.

De la majorité « silencieuse«  à la majorité « compréhensive« .

Sur le terrain, des grévistes du service public non enseignant sont assurés de conserver en toutes circonstances l’intégralité de leurs salaires. Cette assurance est renforcée et élargie à la veille d’élections municipales aux personnels d’activités périscolaires : la collectivité mettra la main à la poche. Par tous moyens, les grévistes protégés empêchent l’accès aux établissements scolaires : pas d’école ouverte, point d’enseignants grévistes déclarés, impossible de les distinguer des non-grévistes. Donc tous dans la rue ! Quant aux parents d’élèves, ils sont présumés consentants. Entre leurs associations et les syndicats d’enseignants, il n’y a pas l’épaisseur d’un papier à cigarette. On verra plus tard pour les iches. Au nom d’on ne sait quelle résilience, à moins qu’il ne s’agisse de masochisme, une étape essentielle semble avoir été franchie par la société martiniquaise. Elle se sera donné une nouvelle image en même temps que sera apparue une nouvelle lecture de la grève. En effet, – le phénomène est aussi visible à propos des « activistes«  – la notion de « majorité silencieuse«  s’est muée en « majorité compréhensive« , tandis que du droit de grève on serait passé au « devoir de grève« , aux frais de la société.

Revenons au sujet de l’article, la sur-rénumération.

La lecture de ma dernière chronique s’est arrêtée, pour certains, à la ligne où la mention des «  40% «  apparaît, évitant de prendre connaissance des éléments d’information et des observations qui ont suivi. On songe au néologisme « titrologue«  appliqué aux lecteurs qui ne vont pas au-delà du titre, mais trouvent le moyen de faire tout un fromage sur le texte qu’ils n’ont pas lu. Le chiffon rouge rend aveugles et sourds des fonctionnaires qui sont à ce point obnubilés par la question, qu’ils ne s’aperçoivent pas que mon article ne parle nulle part de suppression.

Du chantage au largage au chantage à la « misère« .

Parlons-en donc, …de ces « 40%«  ! Le rappel de l’origine de cette bonification est un argument populiste et peu pertinent s’il est vrai que les raisons de sa mise en place n’existent plus. Le différentiel des prix entre la Martinique et la France n’est plus le même, tandis qu’en raison du chômage et du nombre de diplômés martiniquais, il n’est plus besoin d’attirer des fonctionnaires venus d’Europe. Encore que si cet avantage disparaissait, on ne jurerait pas que nombre de fonctionnaires martiniquais fussent les derniers à prendre l’avion pour la France.

Il est fait à l’auteur de ce papier le reproche puéril de faire des réserves à propos d’une situation dont il a profité. Sauf comparaison audacieuse, on pourrait dire la même chose des indépendantistes qui font usage des moyens offerts par l’assimilation ou à propos des bourgeois qui prônent la révolution. L’argument est mesquin et idiot ; il tient lieu de bouclier contre la pensée. En outre, sous prétexte qu’il y aurait de plus nantis qu’eux il faudrait les laisser tranquilles. Par ailleurs, la misérable évocation des îles voisines fait songer au travers reproché jadis aux « départementalistes » et qu’ont pratiqué en réalité tous les partis politiques martiniquais : le chantage au largage. A leur tour, les thuriféraires des « 40%«  pratiquent donc le chantage à la misère. Ne touchez pas aux privilèges des nantis, sinon les pauvres deviendront plus pauvres. Tartufe ! C’est vrai que Ste Lucie ne pourrait pas supporter deux mois de grève, remplir les bateaux de croisière et s’apprêter à faire un carnaval « casas brisas ».

Un autre argument tient à la crainte que le rappel de l’inégalité ne fasse dresser des martiniquais, les uns contre les autres. Il ne saurait mieux exprimer l’urgence qu’il y aurait pour ses auteurs de sauvegarder le statu quo. Ainsi que le rappelle Christian Louis-Joseph, « les rentiers n’ont jamais été du côté du progrès social et ils ont toujours d’excellentes justifications à leurs privilèges, y compris l’adhésion à la théorie du ruissellement… une partie de la population dispose d’un revenu (en termes de pouvoir d’achat) supérieur à celui de ses homologues de la même « métropole ». Comment peut-elle être solidaire du reste de la population ? Comment peut-elle vouloir, au-delà des mots, changer une situation dont elle bénéficie ? »

Qu’une partie des 40% soit immobilisée en faveur des plus modestes !

Selon l’allégorie du ruissellement née d’une théorie économique d’essence libérale, de même que les eaux coulent du haut de la montagne vers le bas, l’argent versé aux classes supérieures finit par atteindre les pauvres. Or l’argent défie l’effet de pesanteur et remonte souvent vers la source, à l’exemple de certaines espèces de crustacées d’eau douce. Par ailleurs, l’argent qui vient d’en haut est en partie frappé par la thésaurisation1 et l’effet d’évaporation. Dès lors, il n’y aurait rien de catastrophique qu’une partie des 40% soit immobilisée en faveur des plus modestes2.

Terminons par la réaction d’un lecteur éclairé :

« Ces défilés, piquets de grève qui n’ont pour conséquence que l’interruption depuis près de 8 semaines des enseignements auxquels ont droit les élèves de Martinique, de la maternelle à la terminale, et ses effets négatifs sur leurs apprentissages, rythmes et processus cognitifs. Ce sont en fait des pratiques aussi corporatistes et réactionnaires que les manifs des bourgeoises chiliennes lorsque tambourinant sur leurs casseroles neuves elles simulaient la pénurie pour en fait protester contre Salvador Allende. Ici plus grave, ce sont des jeunes en besoin d’éducation et d’instruction qui sont les boucs émissaires.

Le plus scandaleux c’est l’attitude des élus locaux pour qui une élection vaut bien le sacrifice d’une promotion de bacheliers. Enfin rigolage : alors qu’il existe une disposition à l’Education portant sur le « rattrapage »du mois de juin, mois d’examens à fort taux d’absentéisme dans les classes de secondes, premières, et peu respectée ; on nous promet la lune, c’est à dire la remise à niveau des élèves pour les 2 mois de grève. Mentir aux jeunes, c’est aussi décrédibiliser à leurs yeux, les institutions publiques…Qu’on prenne garde au retour du boomerang social. »

Fort-de-France, le 19 février 2020

Yves-Léopold Monthieux
 

1Une épargne importante qui provient des fonctionnaires et assimilés, improductive pour la Martinique, est détenue par les banques.

2Dans de précédents écrits, j’ai proposé qu’une partie de cette bonification (entre 5 et 10%) soit immobilisée en vue de la réalisation de grands projets déterminés par la collectivité.