Centenaire de Frantz Fanon

Une étape importante dans la connaissance de Frantz Fanon, surtout en Martinique
Parlons d’abord des réalités chiffrées!

—RS n° 407 lundi 11 août 2025 —

L’extension du public touché
Par le nombre de films et documentaires sortis cette année sur Frantz FANON, (le film de Jean-claude Barny est resté plusieurs semaines à l’affiche à Madiana), par la tenue de trois colloques dans la seule Martinique, par l’évocation de ces colloques dans les médias, par le nombre d’actions pédagogiques réalisées dans les établissements scolaires, par les conférences, par les témoignages dans deux colloques d’un condisciple centenaire de Fanon, par la présence active d’un insoumis de la guerre d’Algérie resté fidèle à ses idéaux, Daniel Boukman, par les émissions dans les médias, par la sortie en première mondiale d’une pièce de théâtre de Fanon jouée par une troupe martiniquaise, (« les mains parallèles »), par les nombreux lieux en Martinique où se sont déroulés les évènements liées au centenaire (Sainte-Luce, Marin, Lamentin, Marigot, Saint-Pierre, Morne-Rouge, Fort-de-France, Schoelcher, François…), nous sommes entrés dans une nouvelle phase de la connaissance de Frantz Fanon.
Le Mémorial de 1982 sous l’égide du Cercle Frantz Fanon, le colloque scientifique international de 2011 de First Caraïbe, ne sont donc pas restés sans suite. Bien entendu, différentes organisations n’ont pas manqué durant des décennies d’inciter à la lecture de Fanon et à s’appuyer sur son exemple. La ville de Rivière-Pilote, son édilité et leMIM qui y dirigeaient, ont créé la bibliothèque Frantz Fanon, mis en place le prix Frantz Fanon, multiplié les évocations de Fanon. Fort-de-France et le PPM ont créé un Forum Frantz Fanon, une avenue Frantz Fanon. L’université a installé elle aussi, un forum en plein air, Frantz Fanon. La dénomination du lycée Frantz Fanon à Trinité, a fait l’objet de luttes comme à Fort-de-France, où il a fallu ferrailler contre la préfecture. En règle générale, les mouvements indépendantistes n’ont cessé d’écrire et de parler de Fanon.
Le GRS, pour sa part, a réalisé des meetings de masse (l’un associant Le CHE et Fanon, avec Olivier Besancenot à l’AMEP, l’autre à la salle Camille Darsières de la CTM avec notre regretté camarade haïtien Didier Dominique, et Christine Poupin du NPA, autour de l’ouvrage de Philippe Pierre-Charles, «Frantz Fanon, l’héritage ».
Cette année, d’autres évènements se sont tenus, et se tiendront dans le monde. En France, Fanon occupera une place de choix dans l’université d’été du Nouveau Parti Anticapitaliste (NPA-A).
Mais c’est en Martinique que le public le plus large aura, enfin !, été mis en contact avec la biographie et l’œuvre de Fanon à un niveau inégalé. C’est un fait politique notable. Cette extension du public touché va, logiquement et fort heureusement de pair avec un approfondissement et un renouvellement de la lecture de Fanon dans les milieux les plus politisés.

Approfondissement et renouvellement
Nous n’évoquerons ici que deux parmi les colloques réalisés cette année, faute d’informations complètes sur les autres rencontres (d’universitaires et/ou de praticien·ne·s de la psychiatrie).
300 personnes ont pu débattre deux jours durant avec, entre autres, deux parmi les plus éminents spécialistes vivants de la pensée de Frantz Fanon (Adam Shatz et Jean Khalfa) et avec la députée LFI, Danièle Obono dans le colloque enrichissant organisé par l’association First Caraïb du Pr. Aimé Charles-Nicolas.
La rencontre internationale organisée par le cercle Frantz Fanon, dans la droite ligne de son Mémorial (remontant déjà à 42 ans !), a permis cette fois pendant près d’une semaine, à quelques dizaines de passionné·e·s d’écouter et d’interroger des intellectuel·le·s et militant·e·s venant d’au moins trois continents, et de Martinique. Près de 300 personnes ont pu visionner dans la manifestation finale l’excellent documentaire de Mehdi Lalaoui qu’il s’agira maintenant de faire connaître à une échelle de masse.

Le retour actuel à Fanon frappé par deux choses
D’abord le rôle de Fanon psychiatre est bien plus mis en valeur, et le lien avec le combat politique est souligné, ce qui rétablit l’unité fondamentale de ce combattant de l’émancipation humaine, et contredit les visions trop réductrices chez certains du Fanon militant politique.
Ensuite, et les choses sont liées, les lectures actuelles de Fanon tendent à le sortir d’un certain enfermement nationaliste qui empêchait de penser les contradictions de l’épopée révolutionnaire de Fanon. Celle-ci en effet, s’est réalisée dans le cadre d’un combat indépendantiste radical sous la conduite du FLN, mais s’est achevée par la mise en place d’un régime nationaliste petit bourgeois autoritaire, loin des espérances fanoniennes.
Les dernières pages, prémonitoires des Damnés de la terre, la critique de la bourgeoisie nationale, ont été évoquées à plusieurs reprises dans la rencontre. L’accent mis sur la puissance subversive de ce dernier écrit, s’est accompagné d’une mise en valeur de son internationalisme en actes, plus forte que par le passé.

Pour le bon usage poursuivons le débat.
La consécration de Fanon comme penseur de la décolonisation et du danger néocolonial est faite. Sa statue en Martinique est érigée.
Il doit donc être plus facile maintenant de pousser plus loin, le débat sur ce qui mérite d’être abordé plus en profondeur pour les combats d’aujourd’hui. À l’heure du déchaînement de la violence coloniale et impérialiste, à l’heure où les dérives essentialistes montrent comment elles font le jeu de nos ennemis en leur servant sur un plateau la thèse abjecte de la guerre de civilisations, à l’heure où il faut faire face à la déshumanisation violente qui est l’essence même des dominations que nous combattons sans leur offrir une victoire idéologique en forme de miroir, nous avons besoin de Fanon. Nous avons besoin de revenir sur la complexité de sa pensée sur la violence du colonisé en révolte contre la violence du maître. Il faut sauver cette pensée des simplifications têtues qui en sont faites sans craindre d’en élucider les contradictions.
Nous avons besoin de développer sa critique quasiment charnelle des élites nationalistes pour la confronter non seulement aux bourgeoisies nationales corrompues et prédatrices qui constituent des relais zélés de la Françafrique, mais aussi pour la mettre en discussion avec des projets radicaux qui se présentent comme les ennemis déclarés du néocolonialisme.
Raphaël Constant, président actuel du cercle Frantz Fanon et dirigeant du PKLS, a exprimé l’idée que la place historique des Békés supprimait de fait, le problème de la bourgeoisie nationale chez nous. Cette affirmation est intéressante par ce qu’elle devrait entraîner comme conséquence stratégique pour notre combat, mais en réalité elle pose peut-être plus de problèmes qu’elle n’en résout. Il faudra y revenir.
Fanon a vivement brocardé la trahison de la gauche française de l’époque sur la question algérienne. De fait, à part des individualités remarquables voire littéralement héroïques, seul certaines organisations (trotskistes et libertaires) avaient mis toutes leurs forces dans le soutien aux insurgé·e·s algerien·ne·s.
Mais, il faut aujourd’hui approfondir l’analyse de cet abandon de l’internationalisme par la gauche traditionnelle pour voir comment contribuer à y remédier à un moment où c’est plus nécessaire que jamais.
Arrêtons-là pour le moment. Ces exemples suffisent à montrer que le Fanon dont nous avons besoin, est un Fanon vivant, non momifié, un Fanon qui interroge et donc accepte d’être interrogé !
Boostées par ce centenaire très riche, l’étude et la réflexion doivent continuer.