« Célimène et le Cardinal » : l’émancipation est toujours en devenir

— Par Roland Sabra —

celimene_&_le_cardinal-_afficheIl est des textes de théâtre dont il semblerait qu’ils aient été écrits autour d’un personnage. C’est le cas de cet objet nommé « Célimène et le Cardinal ». Gaëlle Billault-Danno est la septième comédienne à endosser le rôle de Célimène dans la pièce de Jacques Rampal écrite en 1992 et qui se veut une suite en alexandrins, au Misanthrope de Molière. L’idée n’est pas neuve. Georges Courteline en 1905 avait créé La Conversion d’Alceste, elle aussi en alexandrins et bien avant, en 1791 peu de temps avant d’être guillotiné, le révolutionnaire Fabre d’Eglantine avait écrit Le Philinte de Molière, ou la Suite du Misanthrope, une comédie en 5 actes et en vers. On n’oubliera pas, au cinéma cette fois, en 2013, Alceste à bicyclette, le film de Philippe Le Guay , où Lambert Wilson et Fabrice Luchini jouent alternativement le rôle transposé d’Alceste et celui de Philinte.

Célimène a pris vingt ans d’âge. La mondaine, la coquette, la séductrice sans attaches a épousé un riche marchand, dans le cadre très classique d’une alliance entre une aristocratie désargentée et une bourgeoisie en manque de reconnaissance. Sous le masque de l’épouse et mère de famille exemplaire subsiste et demeure l’impertinente éprise de liberté et d’égalité. Alceste l’atrabilaire amoureux, s’est contraint plus par raison que par goût à prendre le froc. Et cela lui a réussi puisque le voilà devenu Cardinal mais sous la soutane sommeille l’éternel misanthrope enamouré. Il annonce sa visite à Célimène et la confrontation a lieu. C’est de cela dont il est question dans le texte de Jacques Rampal et que restitue avec régal la mise en scène de Pascal Faber.

Célimène n’a rien perdu de son goût prononcé pour la réplique bien sentie et ce qui pourrait paraître de l’impertinence et qui n’est en réalité que son refus de toute soumission féminine à un ordre masculin fut-il représenté par un homme en robe. C’est l’éternel combat entre la liberté de penser et l’archaïsme moralisateur au service d’un pouvoir qui ne se prive d’aucun abus pour se perpétuer. L’Alceste de Rampal n’est pas tant un mélancolique dont le comportement relèverait de la nosologie comme la prudence politique de Molière incitait à le présenter, ni même un Tartuffe bigot et libidineux, qu’un représentant d’un ordre établi, institué et puissant : le clergé. Sous la défense du dogme (religieux) perce la tyrannie ( politique). Cette pièce en alexandrins de bonne facture et d’une modernité sans contretemps, est donc on ne peut plus actuelle comme en témoignent les débuts de ce siècle qui s’avance sous le manteau étouffant de l’obscurantisme. Rien n’est jamais acquis. L’émancipation est toujours en devenir.

Gaëlle Billault-Danno en Célimène excelle dans le rôle. Pétillante et malicieuse, vive et spontanée elle sait ménager des effets de surprise et tenir la dragée haute à cet inquisiteur nostalgique d’un dix-septième siècle qui s’épuise. La palette des registres que son personnage convoque est assez large pour qu’elle puisse mettre en valeur des talents qu’on ne peut lui contester. Pierre Azéma en Alceste est moins bien servi par un balancement entre deux attitudes, celle de l’amant et celle du personnage social qu’il s’est construit pour s’en défendre, tout en l’utilisant pour parvenir à ses fins.

La mise en scène de Jacques Rampal se situe dans la lignée de ce que nous propose habituellement le Théâtre Aimé Césaire ( T.A.C.) de Fort-de-France, à savoir des thématiques progressistes présentées de façon très classique. Certains diraient même pépère. Ce théâtre, en rien révolutionnaire, en rien moderniste mais solide, délicieusement conservateur dans sa forme et reflet d’un humanisme non contestable, a au moins un mérite, celui d’exister et les spectateurs martiniquais, dans la période de vaches maigres de ces dernières années consécutivement à la crise du CMAC, aujourd’hi terminée, lui en savent gré.

Fort-de-France, le 19/04/2015
Roland Sabra

Célimène et le Cardinal

Une pièce de : Jacques Rampal
Mise en scène :Pascal Faber
Assisté de Bénédicte Bailby

Comédiens :
Gaëlle Billaut-Danno
Pierre Azema
Costumes : Nathalie Vignon
Lumières : Sébastien Lanoue