— Par Christophe Dejours* —
Dans la plupart des situations ordinaires, partager le risque est un leurre : l’entrepreneur prend des risques dans le registre de l’avoir, sur son capital ; le salarié prend des risques dans le registre de l’être, sur son intégrité physique et parfois mentale
L entretien qu Ernest*Antoine Seillière a accordé aux Cahiers de l assurance laisse perplexe. Il place la prise de risque du côté du bien. Il en fait l une des deux caractéristiques du libéralisme (à côté de la responsabilité) et la qualité, par excellence, de l entrepreneur moderne. Il divise la société en » riscophiles « , qui portent l esprit d entreprise, et » riscophobes « , qui, accrochés à leurs privilèges, refusent le progrès.
Mais emporté par son enthousiasme, le président du Medef commet quelques erreurs. Comment soutenir, par exemple, que » le premier rempart contre le risque, c est le travail » ? Est-ce une invitation à oublier les milliers de morts et de mutilés que produisent le bâtiment et les travaux publics chaque année, les malades qui se meurent de cancer par l amiante ou les solvants chlorés ?

Le Medef propose des réformes qui permettraient de se passer de ces spécialistes, en confiant leurs visites périodiques aux salariés à des généralistes libéraux, et leur travail sur le terrain à des techniciens du risque
Comment de telles énormités peuvent-elles devenir la référence obligée de tous les discours ? Si c’est vraiment la guerre, alors la fin justifie les moyens. On peut décréter la mobilisation générale, et s’il y a des victimes, c’est qu’il ne peut en aller autrement. La guerre économique vaut pour une absolution des puissants
Le paradoxe des activités ludiques, c’est qu’elles ont leur utilité : elles permettent, ici, de maîtriser l’angoisse ; là, de maintenir la vigilance, d’accroître la sensibilité et l’habileté professionnelle. Le plus surprenant, c’est que, souvent, les salariés en éprouvent de la gêne, de la culpabilité ou de la honte