— Par Sabrina Solar —
Un rapport des Nations Unies met en lumière les obstacles auxquels sont confrontées les victimes exposées à des substances toxiques pour faire valoir leurs droits en justice. Dans sa conclusion, le rapporteur spécial formule une vingtaine de recommandations destinées à améliorer l’accès aux recours pour les personnes concernées.
Contexte local
Dans des territoires comme la Martinique et la Guadeloupe, les enjeux liés aux substances toxiques sont particulièrement sensibles. Le scandale du chlordécone, pesticide interdit mais utilisé pendant des décennies, a mis en lumière les difficultés des populations à obtenir :
- des reconnaissances officielles de responsabilité,
- des réparations concrètes (santé, environnement, indemnisation),
- un accès équitable à la justice.
Ce contexte rejoint exactement les préoccupations du rapport de l’ONU, qui identifie des lacunes systémiques mondiales, mais particulièrement présentes dans les régions colonisées, insulaires ou périphériques.
Objectifs du rapport
Le rapport du Rapporteur spécial des Nations Unies vise à :
- Renforcer le droit des populations exposées à des produits toxiques à accéder à la justice ;
- Proposer des lignes directrices concrètes pour garantir des voies de recours utiles (justice, réparation, information, participation) ;
- Lutter contre l’impunité des responsables (industriels, institutions publiques, etc.).
❗Constats qui résonnent fortement en Martinique et dans la Caraïbe
Le rapport met en lumière des problèmes qui sont particulièrement pertinents pour la région :
1. Faible accès à la justice environnementale
- Peu de tribunaux ou juges spécialisés.
- Procédures longues, coûteuses, souvent décourageantes pour les victimes.
- Délais de prescription injustes (ex : chlordécone : le poison persiste, mais les faits sont prescrits).
2. Obstacles à la preuve scientifique
- Les victimes doivent prouver un lien direct entre leur maladie et le produit (ce qui est complexe).
- Absence d’études indépendantes, transparence faible.
3. Information incomplète ou bloquée
- Les autorités ne fournissent pas toujours les données sur les risques (comme pour le chlordécone).
- L’accès à l’information scientifique est limité, ce qui entrave la justice.
4. Inefficacité des recours administratifs
- Les mécanismes d’indemnisation sont trop lents, partiels ou inexistants.
- Les entreprises responsables échappent souvent à toute sanction.
5. Impacts sur les droits humains fondamentaux
- Droit à la santé, à un environnement sain, à l’alimentation, à la dignité, tous mis en danger.
- Les populations les plus vulnérables (femmes enceintes, agriculteurs, enfants) sont les plus affectées.
✅ Lignes directrices utiles pour la Martinique / Caraïbe
Voici quelques recommandations du rapport de l’ONU particulièrement pertinentes :
1. Prolonger les délais de prescription
→ Pour permettre aux victimes de demander justice même longtemps après l’exposition (comme dans les cas de cancers ou contamination persistante).
2. Alléger la charge de la preuve
→ Les États doivent créer des présomptions légales ou faciliter la preuve lorsque des substances toxiques sont reconnues comme dangereuses.
3. Créer des tribunaux ou unités spécialisées
→ Former des juges, experts et avocats aux enjeux environnementaux et toxiques.
4. Assurer la transparence des données
→ Obligation pour l’État de publier toutes les données sanitaires, environnementales et scientifiques.
5. Reconnaître la responsabilité historique
→ Encourager les mécanismes de vérité, réparation et reconnaissance publique des préjudices causés.
6. Renforcer la participation des communautés locales
→ Les populations doivent être consultées et impliquées dans toutes les décisions concernant les substances toxiques et les réparations.
Quel impact pour la Martinique ?
Le rapport renforce les revendications légitimes portées par les associations, citoyens, collectifs et chercheurs aux Antilles :
- Une justice réparatrice, pas seulement symbolique ;
- Des règles adaptées aux réalités des pollutions anciennes et persistantes ;
- Une véritable reconnaissance des droits humains dans les affaires de pollution.
Il constitue un outil puissant pour interpeller l’État français, les juridictions nationales et internationales, et promouvoir des réformes législatives en faveur des victimes de pollutions toxiques.