« Barbershop Harmony », un concert très plaisant du groupe « Jane Tonix »

— Par Roland Sabra —

Une belle découverte au T.A.C. (Théâtre Aimé Césaire) ce 29 février avec «  Barbershop Harmony », prestation du groupe vocal « Jane Tonix », fondé il y a moins de cinq ans, en 2016, par Jane Harris. La cheffe de chœur d’origine anglaise, après avoir séjourné dans le Bordelais, s’est donc installée en Martinique avec dans ses bagages une passion pleine et entière pour un genre musical, ou plutôt une forme de chant a capella habituellement à quatre voix, qui connut ses heures de gloire aux États-Unis, à la fin du 19ème et au début du 20ème siècle, avant d’être submergée par le Jazz Age des années 1920 et la popularisation de la radiodiffusion. Jane Hjarris prend quelques libertés avec ce qu’on pourrait appeler la tradition du Barbershop, si tant est qu’une tradition fixée et définitive soit possible en la matière, en féminisant sa chorale, la tirant du côté des « sweet adelines » ( hommage à l’une des chansons les plus célèbres du style Barbershop) et en abandonnant le quatuor pour un sextuor, ou plutôt un sextet, sextuor étant réservé à la musique classique. Tout un chacun, sans être fin connaisseur de la spécialité, entend à l’écoute ce qui la différencie de la chorale classique. Mélodie et accompagnement ne sont plus réservés aux voix aiguës et graves. Le croisement entre lead et ténor est fréquent de sorte que la ligne mélodique n’est jamais portée par une seule voix. La formation « Jane Tonix » va jusqu’à distribuer le lead parmi les six choristes. La rythmique est l’objet d’une attention particulière en ce sens que chaque choriste se doit de donner une touche personnelle et authentique à l’interprétation du morceau, en jouant notamment sur des variations de tempo. La prononciation, quant à elle, met l’accent sur les voyelles et non pas sur les consonnes, comme dans la musique classique. Mais il fallait être, hier soir, un parfait polyglotte pour le remarquer.

Deux petites dizaines de chansons puisées dans la trentaine de leur répertoire qui balaie du 17ème au 21ème siècles ont été offertes au public. Si la dimension anglo-américaine domine, bien sûr, elle est accompagnée d’un effort vers le multilinguisme, français, slavon liturgique, portugais brésilien, etc. Le créole est aussi à la fête avec une très belle interprétation de la très célèbre « Fanm Matinik Dou » de Francisco Papito. L’entrée en matière se fait avec un superbe « Hit the road Jack » suivi de «  Java Jive », une déclaration d’amour pour essentiellement le thé, le café, et accessoirement quelques légumes. Le ton est donné. Pourtant le prospectus, au sens étymologique du terme, de présentation du concert précise que « Les textes racontent souvent des tranches de vie, des déclarations d’amour, des caricatures sociales, ou encore des récits à non-sens dont les rimes produisent un effet comique. ». Si trois des quatre thèmes ont bien été présents, la critique sociale elle, est passée à la trappe. La chanson réaliste, tout juste évoquée avec « Mon amant de Saint-Jean » est à la peine. Il y a là pourtant un registre avec d’autre part, les chansons que l’on dit « engagées », qui pourrait se faire entendre d’une toute autre façon. Et c’est sans doute le seul regret de cette soirée qui s’est pleinement donnée dans le registre du « gentillet » en parfait décalage avec le climat de l’époque. Après tout pourquoi pas ? Mais c’est oublier que le spectateur qui entre dans la salle de concert n’est pas vierge de toute préoccupation sociale. Le registre de la dérision s’est limité à l’évocation d’une première version de « Yesterday » dont ne subsiste aujourd’hui que la mélodie sur d’autres paroles, fort heureusement, et à un « Requiem des motards » qui balance d’ un « Kyrie eleison » vers le « Harley Davidson » de Gainsbourg. Bien vu!

Le regret exprimé ci-dessus n’a pas été semble-t-il celui de la majorité du public, qui après une  chaleureuse ovation et de nombreux rappels, a demandé que soit reprise le lénifiant « California Dreamin’ ».

Une dimension, parmi d’autres, du Barbershop, est prise en compte sur scène par le metteur en-scène Guillaume Malasmé, celle de la gestuelle et de l’occupation du plateau. Le genre a tendance à verser dans l’expression exagérée. Grimaces, sourires, mimiques, costumes concourent à la touche unique du Barbershop. G. Malasmé (L’Autre Bord Cie) a évité la spectacularisation de la prestation en jouant davantage sur la présence d’une voix Off qui commente et présente, d’un jeu de lumières et de quelques déplacements des choristes sur le plateau, pour leur permettre de souffler, de se désaltérer, de respirer.

Une soirée très agréable qu’il est possible d’accueillir chez soi puisque Jane Tonix se produit chez l’habitant avec des prestations personnalisées.

Fort-de-France, le 01/03/20

R.S.

Jane Tonix est composé de six solistes : Jane HARRIS, Louise Batby, Ariane Cairoli, Sophie Brenac, Hélène Chappart et Rodolphe Delarue.