Baâda le malade imaginaire et Candide l’africain

— Par Roland Sabra —

candide_africainToinette mesure un mètre quatre-vingt-quinze, pèse bien ses quatre-vingt dix kilos et porte une belle barbe noire. Monsieur Purgon est un féticheur. Candide ne vit pas en Westphalie mais fréquente la cour de sa majesté Toukguili de Gongonbili Gongoni. Les scènes sont agrémentées de chants en dioula et en moré, de danses traditionnelles rythmées au son de balafon, djembé et kora. Et c’est de Molière et Voltaire dont il est question !
La compagnie Marbayassa, par deux fois lauréate du grand prix national du théâtre burkinabé transpose Candide ou l’Optimisme et Le Malade imaginaire au cœur de l’Afrique contemporaine et c’est un pur bonheur.
Molière qui, dans sa pièce testamentaire, dénonce le despotisme de la médecine et l’obscurantisme religieux et Voltaire, qui s’en prend à la noblesse rétrograde et à l’optimisme béat, sont magnifiés dans une démarche qui célèbre l’universalité de leurs propos. Au delà des modifications mentionnées, le travail présenté fait preuve d’une grande fidélité aux auteurs. Dans Candide, la trame du récit voltairien est respectée, un griot assure la transition entre les scènes, dans Baäda les vers sont ceux de Molière. La compagnie Marbayassa s’est réellement appropriée ces deux textes. Elle les a fait siens, refusant de les poser comme venant d’une culture étrangère, dominatrice, coloniale et marqués à jamais du sceau d’une infamie consécutive à leur origine. Elle les a considérés comme des œuvres humaines dénonçant l’oppression en tous lieux et en toute époque. Ce faisant, elle concourt au dépassement des conflits de socialisation que nous connaissons aux Antilles : utilisation du français et du créole sur des registres séparés et qui jamais ne communiquent. Les études bourdieusiennes ont largement montré ce qu’il peut en être de la honte pour certains enfants d’acquérir des valeurs culturelles différentes de celles de leurs parents et du sentiment de trahison qui peut en résulter. La massification de l’enseignement et les problèmes qu’elle pose, abordés en termes de niveau, le rappelle à qui voudrait faire semblant de l’oublier. Comment s’étonner ensuite de la supposée schizophrénie martiniquaise ou guadeloupéenne, de ceux qui réclameraient l’indépendance tout en se revendiquant français ! Le travail de Guy Giroud, le metteur en scène, est une recherche de dépassement de cette problématique. Cette contradiction est parfaitement illustrée par cette une remarque d’un élève de seconde dans laquelle on retrouve toute la contradiction avancée : « « je kiffe trop Voltère mdame, c’était un black ? ». La première partie de la phrase salue l’universalisme voltairien quand la deuxième partie relève d’un rabattement identitaire.
C’est parce que l’ espèce humaine est une, et parce que l’intelligence est une que les œuvres de l’esprit sont universelles ; chacun peut s’en emparer ! C’est ce que fait la Compagnie Marbayassa avec une énergie, un plaisir de jouer débordant de générosité et avec une grande économie de moyens. Le tout se fait dans un univers poétique, comme « au bord du fleuve ». Le Malade se contente de la chaise d’Argan, Candide de trois bambous et d’autant de petites boites en bois. Les six ou sept comédiens jonglent en coulisses avec les costumes pour incarner la totalité des personnages. Ainsi, les deux pièces peuvent se jouer dans un village de brousse, un préau d’école, une salle des fêtes ou en tout lieu susceptible d’accueillir une réunion. A Avignon, elles se sont jouées à guichets fermés, avec des listes d’attente, des spectateurs sur les marches. A Ouagadougou, elles ont captivé l’attention d’une assemblée de plusieurs centaines de lycéens. Elles ont été jouées en Guyane, à Mayotte, lors de tournées internationales.
A quand la Martinique et la Guadeloupe ?

Avignon, le 23/07/2015

R.S.

Interprète(s) : Leon Zongo, Jules Gouba, Drissa Dembélé, Haoua Sangare, Wilfrid Ouedraogo, Bachir Tassembedo, Monique Sawadogo
Metteur en scène : Guy Giroud

Candide l’africain :