Aux vertus qu’on exige d’une femme politique…(1)

— Huguette et Méliné Bellemare, de Culture Égalité —

Pendant des siècles, (voire des millénaires), dans le monde occidental, les femmes ont été écartées du pouvoir comme elles l’ont été du savoir, de certaines profession, de certains sports ou loisirs… lesquels étaient le monopole des hommes.

Aussi, aujourd’hui, la parité en politique, imposée par l’action des associations féministes, n’est toujours pas acceptée par un certain public et les femmes politiques sont étroitement surveillées.

Elles le sont pour leur tenue : telle est sifflée pour sa robe, une autre, épinglée pour sa chevelure bouclée… À tel point que certaines en sont réduites à tenter de se dissimuler sous de quasi uniformes !

Elles sont critiquées aussi pour leur ton : on attend d’elles qu’elles soient tout miel et tout sourire, sinon elles sont vite qualifiées d’hystériques (là où l’on admirerait, chez les hommes, le « franc-parler », une « saine et virile colère » !)

Du coup, dans les assemblées, elles hésitent à intervenir…. D’ailleurs, quand elles le font, leurs collègues masculins s’empressent souvent de profiter de ce « temps mort » pour bavarder entre eux, consulter leur téléphone, et même les interrompre !

Enfin, elles sont critiquées, bien sûr, dans l’erxercice de leurs responsabilités politiques :

Là, tout comme dans la vie professionnelle, elles doivent faire davantage leurs preuves, travailler deux fois plus que leurs confrères (que souvent la critique ignore, donc épargne). De toute manière, rapidement, les procès en incompétence pleuvent… Les procès en inexpérience aussi – c’est un comble !

Et les accusations peuvent aller jusqu’à des hypothèses, voire des « révélations » injurieuses sur « les vraies raisons » des succès électoraux de telle femme et de son accession à telle responsabilité…

Bref, dans les assemblées françaises et européennes(2), près de 75% de femmes élues déclarent avoir subi des violences sexistes pendant l’exercice de leur mandat : injures, harcèlement, moqueries, violences verbales et parfois physiques. (Pourtant, seule 1 de ces agressions sur 2 est signalée par les victimes et 1 sur 10 fait l’objet de mesures.)

De plus, les femmes sont discriminées dans la répartition des responsabilités politiques : les charges « confiées » aux femmes sont en général le soin, le social, la culture… tandis que les postes de gestion pure, les fonctions exécutives ou de chef de l’exécutif restent entre les mains des hommes. Et si en Martinique, par exemple, il y a de plus en plus de femmes élues, elles le sont surtout là où la parité est imposée par la loi. Aussi, dans notre pays, seules 6 communes sur 34 ont une femme comme maire aujourd’hui (9 seulement avaient une première adjointe en 2020). Aucune femme ne préside jusqu’à maintenant les trois communautés d’agglomération et une seule est vice-présidente…

Quelles sont les conséquences de tous ces préjudices ? Les femmes élues se sentent souvent « pas à leur place » – près de 50% d’entre-elles font cet aveu(2).

Elles peuvent se laisser aller à la lassitude, au découragement, parfois aussi au dégoût.

Ainsi, en Martinique, alors que deux femmes étaient députées lors de la législature précédente, en 2022 aucune n’a voulu se représenter et l’une d’elles, Josette Manin, ex-présidente du Conseil Général et ex-députée s’en est expliquée, dénonçant avec dignité un discours paternaliste :

« Et même dans [notre] groupe, on nous donne la parole comme une chance. Je ne suis pas venue pour avoir une chance mais pour travailler »

Effectivement, on peut se demander si décourager les candidatures féminines, ce n’est pas ce que cherchent (sciemment ou pas) certains censeurs : Ils utilisent la condescendance, la violence, les quolibets comme armes destinées à faire taire les femmes et à les consigner dans leurs foyers et dans certaines tâches. Un tel comportement s’inscrit tout simplement dans un très vieux courant masculiniste visant à maintenir l’exercice des responsabilités politiques dans l’escarcelle (et l’arsenal) du patriarcat.

Aussi, que les personnes de bonne volonté mesurent bien les enjeux. Critiquer telle action politique est le droit de tout.e citoyen.ne. Il est, en outre compréhensible que la situation de notre pays soit ressentie comme urgente et entraîne des débats passionnés. Mais ceux-ci devraient porter sur la pensée et l’action politiques, en aucun cas sur le physique et la vie privée des élu.es : voix, taille, couleur, sexe, orientation sexuelle, etc. Sinon, c’est s’en prendre aux droits attachés à tout être humain. C’est s’opposer au libre exercice de la démocratie. Et surtout, c’est jeter une lourde hypothèque sur l’avenir d’un pays que nous voulons construire égal et juste pour nous toutes et tous.

Oliwon Lakarayib nous rappelle qu’en 1949, Luce Lemaistre, socialiste martiniquaise, a été la première femme élue maire dans notre pays. Et que le porte-parole de ses adversaires, le journal gaulliste La Flamme, après l’avoir « reconnu charmante », tint à l’informer que « la direction d’une commune » était « une chose sérieuse » et non « un concours d’élégance ! »

Que cet ostracisme sous couvert de leçon a des accents actuels !…

Martiniquais.es, nous ne pouvons en être encore là, 75 ans après ! Encore un effort pour nous sortir de la misogynie ordinaire, comme de toute discrimination, et construire notre pays ensemble.

Fort-de-France, le 8 octobre 25

Huguette et Méliné Bellemare

Membres de l’association féministe « Culture Égalité »

 

(1) Ce titre est la paraphrase d’une célèbre réplique d’un personnage de Beaumarchais, dramaturge précurseur de la Révolution française : « Aux vertus qu’on exige d’un domestique, Votre Excellence connaît-elle beaucoup de maîtres qui fussent dignes d’être valets ? »

(2) Pour ces analyses, nous utilisons, lorsqu’ils manquent pour la Martinique, des chiffres et des témoignages recueillis en France et dans la Communauté Européenne, puisque c’est dans ce cadre que beaucoup de nos élu.es siègent ou ont siégé.