— Par Jean-Marie Nol —
Dans les Antilles françaises, un malaise profond semble s’installer durablement, prenant racine dans la violence d’une certaine jeunesse en perdition , gangrenant le tissu social et mettant à mal les fondements mêmes de la démocratie locale. A mon avis le pic de la débandade générale n’est pas encore atteint et c’est pourquoi j’enfonce le clou . La violence, désormais quasi quotidienne en Guadeloupe tout comme en Martinique , apparaît comme le symptôme d’une société en décomposition silencieuse, où les repères collectifs s’effritent au même rythme que les espoirs de transformation économique .
Les Antilles françaises ont aujourd’hui mal à une certaine jeunesse à la croisée des chemins, entre désespoir, stigmatisation et potentiel refoulé.
Dans l’imaginaire collectif de l’hexagone, les Antilles françaises évoquent encore des images de plages paradisiaques, de soleil éclatant et de paysages luxuriants. Mais derrière cette carte postale séduisante se cache une réalité bien plus sombre : celle d’une fraction de la jeunesse antillaise en souffrance, en quête de repères et de perspectives, plongée dans un climat d’insécurité grandissante. Cette fraction importante de la jeunesse est à la dérive, et il y a urgence d’un sursaut collectif pour endiguer le phénomène de la violence responsable à coup sûr d’un prochain délitement total de la société antillaise.Ce climat délétère s’ancre dans une crise sociétale plus profonde : celle d’un tissu social déstructuré, miné par une jeunesse désabusée. Nombreux sont les aumôniers, éducateurs et observateurs locaux à pointer du doigt les causes profondes de cette explosion de violence : montée en flèche du trafic de drogue, prolifération des armes illégales, reconfiguration de bandes rivales qui transforment certains quartiers en zones de non-droit. Les prisons surpeuplées, devenues des incubateurs de violence plus que des lieux de réinsertion, ne font qu’aggraver le problème. À Baie-Mahault comme à Ducos, la surpopulation carcérale est chronique, les agressions entre détenus fréquentes, et les moyens de l’administration pénitentiaire notoirement insuffisants. Malgré des efforts d’agrandissement des structures, l’État semble à la peine face à une dérive qui dépasse le cadre strictement judiciaire.
Pourtant, au cœur de cette spirale se trouve une jeunesse qui, malgré tout, continue d’être jugée, cataloguée, réduite à des stéréotypes éculés. Mal éduqués, paresseux, violents : les qualificatifs négatifs à leur encontre abondent dans les discours publics, renforçant un sentiment de vérité mais aussi de stigmatisation. Rien de neuf sous le soleil des tropiques, dira-t-on, puisque ces critiques existent depuis la nuit des temps, comme en témoignaient déjà les plaintes de Socrate sur la jeunesse de son époque. Mais dans le contexte antillais actuel, ces jugements hâtifs occultent une réalité bien plus complexe et préoccupante.
Car cette jeunesse n’est pas qu’un problème : elle est aussi le révélateur d’un profond malaise structurel.
Sous le vernis d’un faux semblant de politiques publiques et de la réussite d’une autre partie de la jeunesse , force est de souligner qu’un malaise profond gangrène les sociétés guadeloupéenne et martiniquaise. La montée fulgurante de la violence parmi les jeunes n’est pas une simple dérive conjoncturelle, mais le symptôme d’une crise systémique. En 2025, les Antilles françaises sont à la croisée des chemins, et leur jeunesse, tour à tour stigmatisée et négligée, en incarne les contradictions les plus vives.
La violence, devenue quasi quotidienne, illustre l’effritement du tissu social. Homicides à répétition, prolifération des armes, trafic de drogue galopant : le nombre de morts par armes à feu ne cesse d’augmenter, les prisons débordent, les quartiers se transforment en zones de non-droit. Pourtant, cette brutalité n’est que la manifestation visible d’un mal bien plus insidieux : la désespérance d’une génération sacrifiée. Un quart des moins de 30 ans sont au chômage, l’éducation parentale est fragilisée, les structures d’accompagnement social débordées, et les perspectives d’avenir s’amenuisent au rythme d’un exil massif des jeunes diplômés et force est de souligner que c’est sans espoir de retour . Nous sommes bien en présence d’une faillite sociétale.
Face à cette réalité , les jugements à l’emporte-pièce — qui peignent une jeunesse « paresseuse » ou « irrécupérable » — ne font qu’alimenter la stigmatisation. Ils masquent une réalité bien plus complexe : celle d’une génération qui ne s’implique plus dans la vie politique et associative , mais qui n’a pas renoncé à rêver, mais pourtant qui se heurte à un système incapable de la porter. Les figures d’autorité traditionnelles victimes du vieillissement s’effacent, les familles sont souvent fragilisées, et l’encadrement éducatif ne suffit plus à compenser l’effondrement des repères collectifs. Et que penser de la faillite de l’éducation nationale ?
Une étude de l’OCDE, publiée mardi, révèle que les adultes français obtiennent des scores inférieurs à la moyenne en littératie, numératie et résolution de problèmes. Trois heures et onze minutes. C’est le temps passé tous les jours sur les écrans par l’ensemble des jeunes, soit 10 fois plus qu’à lire des livres. Résultat : Une nouvelle enquête vient de confirmer que trois jeunes antillais sur 10 sait à peine lire ou effectuer des calculs de base. Malgré toutes les réformes, l’école ne parvient pas à éliminer ce « noyau dur » de l’échec…
Dans ce vide éducatif , la tentation du décrochage scolaire, de la violence ou de la fuite dans les addictions s’impose de façon inéluctable.
Cette situation révèle une panne bien plus grave encore : celle de la pensée. L’émergence de discours populistes, d’idéologies identitaires creuses et la fragmentation des espaces de débat nuisent à toute construction d’un projet collectif. Les intellectuels, naguère vigies de la société antillaise, se font très rares. La pensée critique a cédé le pas à une cacophonie de prises de parole désincarnées, souvent amplifiées par les réseaux sociaux. À ce titre, la célèbre citation d’Umberto Eco résonne cruellement : « Les réseaux sociaux ont donné le droit de parole à des légions d’imbéciles… ». Ce brouhaha numérique, loin de structurer un débat d’idées, nivelle la pensée vers le bas et éloigne toute possibilité de se projeter lucidement dans l’avenir.
L’obsession de l’identité culturelle, recyclée jusqu’à l’épuisement, apparaît désormais comme une impasse. Il ne s’agit plus de glorifier le passé ou de ressasser les blessures historiques, mais de penser l’avenir, de construire un projet de société capable de fédérer à condition d’opérer sans plus tarder à une refonte du modèle économique actuel . Aujourd’hui, cette ambition fait cruellement défaut. Les jeunes peinent à s’impliquer, désabusés par l’inefficacité des politiques publiques et par l’absence d’un horizon collectif. Ceux qui pourraient incarner la relève sont bien souvent partis en France et à l’étranger , emportant avec eux talents et espérances.
Pourtant, tout n’est pas perdu. Des initiatives locales, encore trop timides, émergent : soutien à l’entrepreneuriat, valorisation de la diaspora, projets culturels innovants. Mais sans stratégie d’ensemble, sans vision prospective audacieuse, elles resteront anecdotiques. Ce qu’il faut, c’est une politique courageuse et intégrée, centrée sur l’autonomie économique , la formation, la relance économique de la production locale et la réinvention du lien culturel. Il faut aussi, et peut-être surtout, réinvestir le champ de la pensée, redonner à la jeunesse les moyens de comprendre le monde pour mieux le transformer.
Car si l’on veut que les Antilles cessent de subir leur histoire pour enfin l’écrire, il faudra offrir à leur jeunesse plus que des dispositifs techniques ou des discours compassionnels : un projet, une direction, une raison d’y croire. C’est sur le modèle économique qu’il faut s’interroger et agir et non seulement sur les institutions. À défaut, le risque est grand que ces territoires, privés de cap et de leur sève vive, sombrent dans un déclin inexorable — social, économique, mais surtout moral. L’avenir ne se devinera pas dans les lueurs d’une nostalgie, mais dans la capacité à imaginer un futur commun, et à en faire une nouvelle cause de référence économique à partager dans les prochaines années.
« Sé jan ou ka fè kaban aw ou ka domi ».
Traduction littérale : C’est de la façon dont tu fais ton lit que tu te couches.
Moralité : Les évènements actuels ne sont pas le fruit du hasard ou on récolte ce que l’on sème surtout au pire moment.
Jean-Marie Nol*