« Au travers des oliviers » (en persan : زیر درختان زیتون, Zir-e derakhtān zeytoun), un film d’Abbas Kiarostami

Mercredi 15 février à 18h 30 – Tropiques-Atrium

Comédie dramatique franco-iranienne réalisée par Abbas Kiarostami, sortie en 1994.

Avec Mohamad Ali Keshavarz, Farhad Kheradmand, Zarifeh Shiva
C’est le dernier volet de ce que l’on appelle la Trilogie de Koker, précédé par Où est la maison de mon ami ? et Et la vie continue.

Synopsis :
Une équipe de cinéma s’installe, parmi les oliviers, dans un village du nord de l’Iran qui vient d’être dévasté par un tremblement de terre. Keshavarz, le réalisateur du film, qui s’intitule Et la vie continue, est à la recherche de ses acteurs.
Le cinéma fait rêver les enfants d’une école. Ils participeront à la production ou assisteront au tournage. Mme Shiva, la première assistante, organise un casting. Les jeunes filles en voile s’imaginent déjà devant la caméra. Le réalisateur retient en particulier Tahereh et quelques-unes de ses amies. Hossein, un jeune maçon est engagé comme serveur par l’équipe et joue également un petit rôle dans le film. Il remplace l’acteur amateur qui devient bègue dès qu’il s’adresse à une femme.. Par le fait du hasard, sa partenaire est Farkhondé, la jeune fille du voisinage dont il est amoureux. Les parents de Farkhondé ont refusé le mariage car Hossein ne possède pas sa propre maison. Le tremblement de terre n’a laissé aucune maison intacte, les parents de la jeune fille sont morts… Au travers des oliviers, plusieurs fois, le garçon marchera obstinément pour obtenir cet amour qu’on lui refuse. Banalement, sa quête embrasse celle d’un peuple, celle d’un art, celle d’une manière digne d’être au monde.

Lire aussi et surtout(!) => « Au travers des oliviers » d’Abbas Kiarostami : Gigogne et vergogne »

La presse en parle :
Télérama par Vincent Remy:
Où s’arrête la vie ? Où commence le cinéma ? Réponses dans un film drôle et chaleureux de l’Iranien Abbas Kiarostami
En apparence, mais en apparence seulement, les temps ­ et le cinéma ­ ont changé : « Si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville, allez vous faire foutre », soliloquait Belmondo, filant au volant de sa voiture, dans A bout de souffle. « Je n’aime pas beaucoup les films, le cinéma et l’art en général. Mais si vous me trouviez un petit rôle, j’accepterais… », dit une voix sans visage, dans le camion bringuebalant d’Au travers des oliviers. Quel rapport entre ces deux citations ? A priori, aucun. Sauf qu’elles disent, de manière opposée, imprécatoire pour l’une, discrète pour l’autre, exactement la même chose. Chez Godard, un film empoigne la vie. Chez Kiarostami, une vie s’accroche au film. Au bout du compte, un constat commun, une même façon de prendre cinéma et vie à bras-le-corps, dans un même élan, et de les rendre aussi distincts qu’indissociables. Les fossoyeurs du cinéma ­ et les fossoyeurs tout court ­ peuvent déposer leur bêche. Le cinéma et la vie. Où commence l’un, où s’arrête l’autre ? Avec Kiarostami, comme avec Godard et quelques autres qui croient encore à leur travail de cinéaste, la question reste en suspens. Souvenons-nous : en juin 1990, le nord de l’Iran est dévasté par un tremblement de terre. Aussitôt, Kiarostami part à la recherche des deux enfants qu’il avait fait jouer, en 1987, dans Où est la maison de mon ami ? Le résultat ? Et la vie continue, tourné cinq mois plus tard. Kiarostami y reconstituait sa quête, mais c’est un comédien qui tenait le rôle du cinéaste. Devant sa caméra, dans les décombres d’une maison, un jeune homme, Hossein, racontait son mariage sous un « palastique », au lendemain du séisme, tout en houspillant sa jeune épouse pour une histoire de chaussettes égarées. Une séquence parmi d’autres, quatre minutes de Et la vie continue. Comme un séisme annonce de nouvelles secousses, ces quatre minutes ont engendré Au travers des oliviers. Où l’on découvre, cette fois, que le brave Hossein jouait un rôle, et un rôle qui lui déplaisait, puisqu’il était amoureux de sa partenaire, qui ignorait ses avances. On assiste au tournage de cette scène. Mais, puisqu’il s’agit de « démystifier » Et la vie continue, un nouveau réalisateur, joué par un nouvel acteur, a pris la place de l’ancien, redevenu simple acteur. Tous deux, évidemment, manipulés dans l’ombre par Kiarostami, qui s’offre le clin d’oeil d’une petite incursion dans l’image. Vous ne suivez plus ? Ce n’est pas grave : Kiarostami n’a jamais pu faire comprendre ce dispositif à son équipe. Pourtant, à l’écran, tout devient limpide… Coquetterie, que ce « film dans le film dans le film » ? Tout le contraire. Un seul exemple : celui de la fameuse scène conjugale. On tourne, donc. Hossein raconte son mariage sous l’oeil du premier réalisateur et devant la caméra du second. Il réprimande sa femme pour ses chaussettes égarées, comme on l’avait vu faire dans Et la vie continue. Mais maintenant, entre deux prises, on le voit s’excuser timidement auprès de sa partenaire : c’est le rôle qui le veut méchant, dit-il, mais la vie, si elle consentait à se marier avec lui, serait tout autre… Rien ne prouve, évidemment, que cette dernière vérité soit la bonne. Pourtant, c’est à celle-là qu’on veut croire. Parce que cette histoire d’amour entre deux comédiens amateurs n’est ni plus ni moins vraisemblable que leur première histoire, celle de leur mariage sous un « palastique », au milieu des morts du tremblement de terre. Parce qu’elle nous émeut, tout simplement, et d’autant plus qu’elle vient se superposer à cette première histoire, et non l’annihiler. Bref, cette vérité provisoire nous convient… Elle nous convient, mais nous n’en sommes pas dupes : de film en film, Kiarostami nous a appris à douter de tout, y compris de ses propres images. A cela, une première raison toute bête : « On croit pouvoir attraper le réel, mais on ne l’attrapera jamais », dit-il. Et une seconde, plus tordue : comme la famille de Close up, mystifiée par le faux réalisateur Makhmalbaf, on sait, désormais, qu’on n’est trompé que parce qu’on désire l’être… Au travers des oliviers pourrait se contenter d’être un film intelligent. Mais c’est, avant tout,un film vibrant de sensualité, drôle et chaleureux. On pense, parfois, aux Renoir, père et fils, peintre et cinéaste. Du second, Kiarostami tient le goût de la comédie humaine, l’amour des « petites gens » et ce souci de ne laisser personne sur le chemin : « Je ne crée pas, je choisis », dit Kiarostami, qui choisit, peut-être, mais n’écarte jamais. Lors de la première scène, celle, étonnante, du casting dans la campagne iranienne, il prend soin de demander son nom à chacune des filles qu’on ne reverra pas. Sauf, peut-être, dans un film ultérieur, puisque chaque silhouette est, chez lui, un premier rôle possible. Quant au peintre, c’est évidemment le dernier plan, splendide, qui l’évoque. Hossein et la jeune fille s’éloignent, disparaissent sous les oliviers et réapparaissent au loin, l’un toujours poursui- vant l’autre. L’oeil fixe ces deux personnages jusqu’au vertige, jusqu’à s’apercevoir qu’il n’identifie plus que deux taches en mouvement, deux touches de couleur abstraites. Que se passe-t-il à cet instant ? Mystère de la vie, et de l’art. Alors, « si vous n’aimez pas la mer, si vous n’aimez pas la montagne, si vous n’aimez pas la ville », allez voir ce film. Et si vous n’aimez pas beaucoup « les films, le cinéma et l’art en général », il se pourrait bien qu‘Au travers des oliviers vous fasse aimer la vie.

Libération par Olivier Seguret
Dans «Au travers des Oliviers», le réalisateur iranien parle de son métier de cinéaste et se pose en plus la question: comment être féministe dans son pays?

L’invraisemblable vérité de Kiarostami «Au travers des Oliviers», mise en scène, scénario, montage et production d’Abbas Kiarostami. Avec Hossein Rezai, Tahereh Ladania et Mohamad Ali Keshavarz. Durée: 1h43.

ON N’IMAGINE PAS Abbas Kiarostami proférer des sentences macabres. Pourtant, son opinion des acteurs est que «ceux qui jouent devant la caméra sont leurs propres cadavres et non pas eux-mêmes. On prend un être vivant, on lui enlève sa vie, et on le limite dans le cadre d’un plan. Il devient alors un être artificiel». Depuis vingt-cinq ans qu’il fait des films, tout le travail du cinéaste iranien consiste précisément à lutter contre cette vampirisation, cet emprisonnement des êtres acteurs. Son cinéma naît tout entier de la tension entre le vrai et le figuré: il tend infiniment vers la vérité, même si, bien évidemment, ce cinéma «n’est pas la vérité non plus: on croit pouvoir attraper le réel mais on ne l’attrapera jamais, alors on peut toujours aller plus loin». Mais pour vraiment apprécier ses films et son travail, il faut accéder à la demande implicite et préalable du metteur en scène: Kiarostami exige de nous que l’on adopte, avec lui, sur le monde et sur les choses, un regard de cinéaste. Tout son cinéma tient comme ça. Un cinéma du pied de la lettre, qui va à chaque film un peu plus loin vers l’invraisemblable vérité.

L’amour, la société et le cinéma Ainsi, on peut prendre les films de Kiarostami par n’importe quel bout, on se retrouvera toujours avec la même pelote, celle de la vie. Avec Au travers des oliviers, il va en effet encore un peu plus loin dans ce processus en nous proposant un cas très drôle et très épineux de la relation entre l’amour, la société et le cinéma: sur le tournage d’un film qui pourrait être de Kiarostami, le jeune Hossein fait sa cour à la belle Tahereh. Il est fébrile; elle est minérale. Il est bavard; elle ne pipe mot. Il l’adore; elle l’ignore, à moins qu’elle ne le feigne. Kiarostami, un cadreur fou Tout Au travers des oliviers tient en cela: le tournage de quelques plans, les déplacements de l’équipe entre un camp de base et le plateau, la mélopée assidue de Hossein à destination de sa douce et, environnant le tout, les grands blocs d’une nature colossale.

On savait déjà que Kiarostami était un cadreur fou: les façades, les portes, les rétroviseurs et les vitres des voitures sont pour lui les meilleurs passages entre les mondes du secret et de la r eprésentation, de l’ouvert et du fermé, du vu et du réfléchi. Cette fois, c’est sur les êtres qu’il accentue son regard, en se mettant personnellement en jeu à travers ce qu’il a de plus précieux: son intégrité de cinéaste, son honnêteté d’artiste et sa sincérité d’homme. A travers les figures emboîtées de trois metteurs en scène qui n’en font qu’un, le cinéma qui se fait sous nos yeux à l’écran est trois fois le sien.

En réalisant ainsi un film sur son métier de cinéaste, Kiarostami pourrait prendre le risque de pêcher par égocentrisme. Or c’est tout le contraire qui se produit: il met le principe de la création au service d’une histoire amoureuse aussi infinitésimale qu’universelle et l’opération pourrait bien, si l’on en croit la magie et le mystère du dernier plan, avoir à son tour transformé la réalité: il semble que l’histoire racontée dans Au travers des oliviers ait généré, au-delà du film, sa propre existence et que Hossein et Tahereh aient cultivé dans la vie l’amour qui germe dans le film.

Voilà quelques années déjà que Kiarostami résolvait sous nos yeux ébahis l’équation compliquée: «Comment peut-on être un bon cinéaste en Iran?». Il y ajoute désormais cette difficulté suplémentaire: «Comment peut-on être cinéaste et féministe en Iran?». Au travers des oliviers n’est pas à proprement parler un film féministe, il est d’une certaine manière mieux que ça: l’extraordinaire beauté des jeunes filles, leur timidité magnifique, leur incroyable maîtrise du silence, leur violence veloutée, l’autorité de leurs mères… Tout semble en permanence plaider en leur faveur, y compris l’intense frustration, génialement entretenue par Kiarostami, de ne jamais voir son héroïne s’exprimer frontalement. On voit le visage de Tahereh et, à d’autres moments, on entend sa voix; on ne la voit jamais parler.

«C’est filmé? Vous allez le montrer?»

C’est peut-être à la lumière de cette sollicitude particulière de Kiarostami à l’égard des femmes de son pays qu’il faut lire le prégénérique d’Au travers des Oliviers, où l’on voit un groupe de jeunes paysannes s’inquiéter de la présence d’une caméra («C’est filmé? Vous allez le montrer? A nous? A la télé?») et décliner néanmoins les deux faces de leur identité: leur visage et leur nom. Après le générique, la première image est celle d’une femme voilée conduisant fermement un camion sur les pistes boueuses de la région du Koker iranien…

Avoir-alire.com par Marie Bernard
Les personnages, profondément humains (et magnifiquement incarnés par des acteurs professionnels et amateurs) bénéficient d’un regard bienveillant, sensible bien que parfois distancié par une tendre ironie, celle qui empêche d’être dupe. L’ensemble de ces éléments donnent naissance à une œuvre splendide, d’une très grande puissance. Elle est tout entière résumée dans un dernier plan d’anthologie, d’une inoubliable beauté.